mardi 31 mars 2009

LGF en AG (1er essai)

« Je me demande quand même si, juste par esprit de contradiction, je ne vais pas me mettre en grève : au moins, ça m’occupera, moi qui ne fais rien. Rien de rien. », écrivais-je, il y a peu. Je ne croyais pas si bien dire…

Parce que, il faut bien savoir une chose, pendant une grève, il y a souvent des AG, et moi, les AG, ça ne m’intéresse pas trop. J’ai mieux à faire : rester dans mon bain, ou musarder chez Séphora au lieu de faire cours. Encore mieux, j’ai découvert aujourd’hui que le colis de cosmétiques reçu l’autre jour contenait un échantillon conçu pour les universitaires comme moi, d’une crème ultra-hydratante exprès pour les mains (dont je m’occupe amoureusement, because of the hypertrichose palmaire). Une structure non grasse, qui pénètre la peau en profondeur et la laisse douce et lisse… Le truc incroyable, c’est que c’est vrai ! Je peux m’en tartiner les mains, et deux minutes après, hop, je peux tourner les pages de mon livre ou faire des avions avec les copies de mes étudiants sans laisser des taches de gras partout. On me dira : on peut se tartiner les mains en AG. Ce n’est pas faux. D’ailleurs, je me suis fait la même réflexion, et c’est pour cela que l’autre jour, j’ai décidé d’assister à une AG.

En fait, ce matin-là, j’avais réalisé un truc très désagréable. Depuis quelque temps, dès le réveil, je n’ai qu’un réflexe, tout à fait néfaste à la santé de mon hypertrichose palmaire : ouvrir ma boîte e-mail. Je ne prends même plus le temps de vérifier mes ongles, encore moins celui de faire pipi, non, je fonce sur mon ordinateur, et je laisse mes petits doigts agiles au vernis écaillé pianoter fébrilement le clavier tout en me dandinant sur place (parce que ma vessie, elle n’est quand même pas extensible). Certes, c’est un signe indubitable d’addiction, mais il y a aussi une question de timing : pendant que ma messagerie « Outlook » récupère les 487 mails (« Compte rendu AG de jeudi », « Re : compte rendu AG de jeudi », « Re : Re : compte-rendu AG de jeudi », et ainsi de suite, jusqu’à épuisement) envoyés par les collègues entre 22h et 6h du mat’ (à croire qu’eux aussi sont devenus insomniaques), j’ai le temps d’aller me soulager et, accessoirement, de me dire « mais qu’est-ce qui te prend, pauvre feignasse ? » (je vous raconte pas la tête de mon hypertrichose palmaire, je l’ai jamais vue aussi rabougrie).

Mais c’est pas l’tout de décider d’aller à une AG. Il faut encore la trouver. Et ça, les profs de fac, ils savent pas faire. Pour ma première AG, j’avais reçu 50 mails pour me rappeler le jour et l’heure (ou les collègues savent que je suis une feignasse, ou ils abusent de la fonction «Répondre à tous»), et j’ai constaté, en posant mon pied orné de rouge incarnat sur le seuil de la fac, que je n’avais pas noté où ça se passait. J’ai erré dans les couloirs, monté et descendu les escaliers, ouvert et refermé cinquante portes (« Oh, pardon ! » - qu’est-ce qu’il fait celui-là ? cours un jour de grève ?), découvrant l’étrange sensation de l’adrénaline qui montait peu à peu à mon cœur de feignasse (enfin, n’exagérons rien : je ne suis pas la grosse feignasse par hasard, je résiste bien aux ambiances anxiogènes). Au bout d’une heure de ce petit jeu, j’ai laissé le champ libre à mon hypertrichose, qui se bat, elle, pour ne pas être en grève, et je suis rentrée me coucher.

Après une sieste réparatrice et l’indispensable bain post-sieste, je suis retournée voir mes mails : en fait, la salle n’était précisée nulle part.

lundi 30 mars 2009

LGF fait cours (3)




Les jours où j’ai cours, lasse de l’amer repos où ma paresse offense mon devoir, je me lève de (très) bonne heure pour parvenir à l’accord parfait dans mon maquillage, qui rehaussera la couleur discrète masquant mes cheveux blancs (c'est dur d’être une feignasse) et celle de mes ongles impeccablement limés. Ensuite, je fais le vide dans ma cervelle (pas très dur : il suffit de se prendre pour un directeur de cabinet en temps de crise), et je prends un petit-déjeuner léger, un bavoir géant en plastique autour du cou, des fois que ma tartine de Nutella voudrait laisser des traces sur la surface immaculée que sa blancheur défend (celle de ma chemise). Quand je sors, de l’éternel azur la sereine ironie accable la grosse feignasse que je suis : et dire que je vais aller m'enfermer, avec un temps pareil, alors qu’on serait si bien dehors, à se balancer dans un hamac, à humer l'odeur d'herbe fraîchement coupée des pelouses du parc…

Mais non, il faut aller faire le guignol :
a. devant un amphi bondé d’étudiants aussi avachis que chevelus pour le CM de L1 ;
b. devant 35 étudiants non moins avachis pour le TD de L2 ;
c. devant les candidats alertes et aiguisés de l’agrégation interne.

Non, ce n’est pas un QCM, c’est le programme de ma matinée (sans pause, siouplaît, parce que là, on a un problème de salles, et après, un dixième des étudiants a cours de langue, donc on est coincés, et l’après-midi, c’est réservé aux UE libres — décision de notre bien aimé doyen assisté de son conseil —, donc on peut pas faire autrement, vous comprenez ?). Je dois donc m'appuyer 330 minutes de cours consécutives, et j'aimerais bien vous y voir, tiens. Essayez donc de parler à voix haute et devant un auditoire modérément passionné par vos propos pendant ne serait-ce qu'une grosse demi-heure, et là vous verrez si votre eye-liner est vraiment waterproof. Mais quand il faut aller au turbin, n'est-ce pas, la pire des feignasses doit bien payer un peu de sa personne. Et puis bon, je l'ai choisi ce boulot, non ?

Me voilà donc descendant à pas comptés la pente de l'amphi pour gagner, tout en bas, la minuscule estrade qui m'est dévolue, en tâchant de ne pas me tordre une cheville, et en gérant avec un doigté sublime né d'une longue pratique une démarche alerte et nonchalante, presque détachée, comme si l'on me tirait d'une haute rêverie pour me rappeler à ma condition de passeuse de savoir.
Bref, je crée une ambiance du tonnerre, je suis une sorte de pythie classieuse, une sibylle parfumée, glamour à mort mais hyper profonde, et le moindre de mes battements de cil est calculé pour promettre aux étudiantes envieuses les trésors de la littérature emballés dans la fine fleur du vrai chic parisien. Puis je prends place sur l'estrade (c'est le premier moment critique : là, il ne faut pas se casser la gueule, trois marches mais inégales bien entendu, sinon ce serait trop facile), et j'essaie d'allumer simultanément, avec la désinvolture dédaigneuse du pilote de ligne qui fait ça tous les jours, l’ordinateur, le micro, les lumières et le vidéo-projecteur de l'amphi. C'est le second moment critique. Ça passe ou ça casse.

Invariablement, il y en a au moins un qui ne marche pas, de préférence le projo qui ne reconnaît pas l’ordi, et donc ton diaporama, que t’as passé une semaine à le préparer amoureusement, et qui faisait quand même un merveilleux support pour allumer des petites lumières dans les regards bovins de ton public (8h30, c’est quand même vachement trop tôt, non ?), eh ben tu peux te le coller où tu veux, d'autant que désormais une clef USB 1 giga ça se glisse n'importe où. Mais je parviens tout de même à conserver un flegme quasiment britannique pendant qu’un étudiant va chercher Bobby, ou Roger. Eh, ça fait toujours dix minutes de perdues (de gagnées), et ça, c’est quand même pas rien quand tu vois ta centaine d’étudiants de L1 une heure trente par semaine sur 12 semaines. Comme disait ma grand-mère (à propos de l'écossage des petits pois, certes, mais ça s'applique quand même) : c'est toujours ça de plus en moins.
Puis Bobby arrive, je salue Bobby, je range mon poudrier incrusté aux armes de l’Université, Bobby me réexplique pour la quinzième fois de l’année la combinaison de touches pour basculer l’écran (mais c’est bien ce que j’ai fait, je vous assure), et le cours peut commencer.

Le micro me pose un problème. D’abord, je ne peux pas bouger à travers la salle pour exhiber ma nouvelle paire de chaussures (des babioles en simili-croûte d'iguane avec une bride cirée à froid hypra-choucarde, on dirait que j'ai les chevilles d'Ava Gardner, c'est péché de planquer un truc pareil derrière le bête contreplaqué du bureau). Ensuite, je ne sais pas où mettre mes notes : entre le micro et moi, ça fait des parasites ; un peu à côté du micro, je m’attrape un torticolis ; sous le micro, je dois loucher de très déplaisante façon pour ne pas voir le micro. Bref, gnaime pas les CM avec micro. L'authentique feignasse est une artiste, pas un présentateur télé, bon sang. Enfin, je me lance.


(à suivre...)

dimanche 29 mars 2009

Billet TLF

La culture, c'est comme l'amour. Il faut y aller à petits coups au début pour bien en jouir plus tard. Du reste, "est-il vraiment indispensable d'être cultivé quand il suffit de fermer sa gueule pour briller en société?" dit judicieusement La Rochefoucauld, qui ajoute: "La culture et l'intelligence, c'est comme les parachutes. Quand on n'en a pas, on s'écrase."

Toujours P. Desproges,
Vivons heureux en attendant la mort

samedi 28 mars 2009

Billet TLF: à méditer...

"La littérature est à la civilisation ce que la queue est à la casserole: quand il n'y en a pas, l'homme a l'air con"

José-Maria Téfal, Résistances
(cité par P. Desproges, Vivons heureux en attendant la mort)

vendredi 27 mars 2009

LGF fait cours (2)



C’est important, cette transmission des valeurs, avec mes étudiantes.

D’autant plus important que, par ailleurs, je les impressionne drôlement sur le plan intellectuel. Je dois d'ailleurs remercier le ministère, qui m'a aidé à ouvrir les yeux sur l'obsolescence tragique de mes méthodes et de mes corpus. Je m'échinais à décortiquer Montaigne, je m'acharnais à éclairer Gracq, je batifolais avec d'absconses princesses ; les étudiants suaient et soufflaient en tâchant de me suivre sur les sentiers escarpés de la littérature, et chaque semestre le paysage se jonchait des petits cadavres tièdes de leurs cortex surmenés.

Heureusement, le ministère, dans son infinie sagesse, m'a ouvert les yeux sur le sens véritable de la démocratisation des études universitaires : non, Montaigne, Gracq et Madame De ne sont pas pour toutes les papilles. La vraie démocratie, ça n'est pas de fatiguer tout le monde avec vos élucubrations sur des livres que personne ne lit plus : la vraie démocratie, c'est d'investir vos années d'apprentissage et de patient labeur dans des objets accessibles au commun des mortels, nom d'un pédagogue ! Oh, bien sûr, je me suis mise en grève, par conscience professionnelle (je ne pouvais pas sans me déjuger totalement laisser passer une aussi belle occasion de buller, enfn, quoique, j'ai pas tant bullé que ça entre les AG, les cours alternatifs et les prises de têtes par mails interposés), mais en réalité, voilà exactement le langage qu'il fallait tenir à une feignasse comme moi.

C'est que, voyez-vous, préparer un TD sur Gargantua ou sur La Recherche du Temps perdu, c'est beaucoup de travail, et sacrément de temps perdu d'ailleurs. Ça signifie par exemple qu'il faut se farcir – outre le bouquin lui-même – des tonnes et des tonnes de lectures critiques, et tout ça pour quoi ? pour arriver à pondre trois commentaires de texte et deux exposés. Non, c’est vrai, la littérature, c’est vraiment pas rentable.

Fini, ces âneries. Désormais, il faudra prouver la démocratisation des savoirs par l'exemple, il faudra bouger avec son siècle, il faudra plonger dans la vraie vie : à moi, les TD consacrés à de profondes ruminations socio-littéraires sur Nadine de Rotschild. Le bonheur de séduire, l’art de réussir : le savoir-vivre du XXIe siècle (Robert Laffont, 2001) : voilà ma nouvelle bible. Bien sûr, ce sera un peu pauvre sur le plan de l’analyse littéraire, mais je complèterai avec Megève, un roman d'amour (Albin Michel, 2004), et puis on y apprendra l’essentiel pour survivre dans la nouvelle économie de la connaissance (d'ailleurs, tous les universitaires devraient le lire, ça leur éviterait de commettre des impairs avec leur président ou leur ministre). Je pourrai aisément bluffer les auditeurs en parsemant le cours de notations érudites (qui se souvient que Nadine, avant de devenir baronne Rotschild, a fait en 1956 une apparition dans Ce soir les jupons volent, de Dimitri Kirsanoff ?).

Ensuite, j'enchaînerai avec un cours magistral sur l'image de la femme dans les pages cuisine de Cosmo, 20 Ans et Biba : enfin du comparatisme qui veut dire quelque chose ! Enfin de vraies questions, de vraies valeurs, de vraies vérités ! Et tout ça pour un maximum de dix minutes de préparation, comment refuser une aussi chouette modernité quand on est, tous les spécialistes le clament, une authentique feignasse d'universitaire ?

Cependant, comme j’aime à me renouveler, je proposerai parfois aussi une exploration de l’utopie poudlarienne, une approche socio-linguistique du personnage de Voldemort, ou une analyse sémiotique des matches entre Gryffondor et Serpentard…

Oui, bon, bref. En attendant l'avènement de cette néofac massifiée et béate, hélas, un cours, ça se prépare longtemps à l’avance, ça se médite, ça se reprend, ça se peaufine. Pouvez pas imaginer l'horreur, pour une feignasse comme moi.

(à suivre)

jeudi 26 mars 2009

LGF fait cours (1)

Toute à la préparation de mon mol colloque, j’en aurais presque oublié que je suis militante MLF (Mouvement Littéraire des Feignasses). Je fais donc cours à des étudiants de Lettres, ou plutôt, trois fois hélas, à des étudiantes, parce que des garçons, dans cette filière, il n'y en a pas lerche. Impossible de tester l'effet magique d'Impulse sur des amphis pleins de jeunes mâles chargés de testostérone.

Drame des lettres : la filière s'est féminisée depuis des décennies déjà, et je me prends parfois à rêver de proposer, le soir, dans des amphis drapés de tentures grenat, qu'illumineraient de place en place les lueurs tremblotantes de chandelles complices, des cours d'initiation aux subtilités de la littérature, exclusivement réservés à la partie XY de la population. J'y ferais découvrir les subtilités de Vaugelas et les sophistications de Rotrou à des aréopages de sénateurs trapus, de banquiers velus, de chefs d'entreprise à l'orthographe en déroute, de ministres au bac bidon. Tout ce qui nous gouverne de viril et d'assuré viendrait y prendre une magistrale leçon faite de nuances, de flexions, de contre-exemples et de méandres, et ce public plus adulte, aux épaules carrées, apporterait une double consolation à mon narcissisme et à mon hypertrichose égalements éplorés.

Je suis sûre qu'ils adoreraient m'entendre parler de la Princesse de Clèves. Sous les effets conjugués d'un blush impeccable et d'un subjonctif imparable, leurs yeux s'embueraient, leurs certitudes frémiraient, et Nicolas lui-même viendrait me voir à la fin, ému, révélé à lui-même, merci, merci, vous m'avez montré la voie et la lumière, je comprends désormais que la vraie littérature seule peut sauver notre monde des méfaits de la performance vaine et du profit imbécile, il m'offrirait son coeur et un carton de vernis à ongles coûteux, et Carla ne s'en remettrait jamais, ah ah, elle déciderait de se retirer à jamais au couvent de Notre-Dame du Perpétuel Chagrin, et consacrerait dorénavant sa vie à laisser des exemples de vertu inimitable, tandis que je deviendrais Ministre-Muse de la Culture et que je boirais du champagne millésimé dans de classieux coquetèles avec Christian Bigard et Jean-Marie Clavier.

Mais je m'égare. La vérité, c'est que j'ai face à moi, aujourd'hui comme hier, 74,9% d'étudiantes, 20,3% d'étudiants, et une fraction incompressible d'individus au sexe indéterminé couverts de cheveux gras que ma morale réprouve (car on peut contester l'archaïsme des frontières du genre sans pour autant négliger le minimum vital de soins capillaires au jojoba, flûte!).

Bon, cela étant, l’avantage d’avoir des étudiantes, c’est qu’on peut profiter des TD pour parler chiffons. C’est pour elles profondément réconfortant de découvrir que je suis une femme comme les autres, avec mes forces (toujours le vernis parfaitement assorti à mes tenues) et mes faiblesses (le fard à paupières, c’est là que je pèche). On n'imagine pas le temps que les étudiants passent à scruter, détailler, évaluer l'apparence physique de leurs profs. Ils savent que la vraie leçon que nous leur enseignons est une leçon de vie. Et, le jour pas si lointain où on s'avisera de leur demander de nous noter, j'aime autant vous dire que les futées comme moi, qui soignent amoureusement le moindre détail de leur présentation, partiront avec une longueur d'avance dans la grande course au classement.

Tenez, un exemple : les repérages. Tout le monde vous dira que ce qui compte, pour réussir un cours, c'est une bonne préparation : âneries cacochymes ! tragique anachronisme ! Ce qui compte, pour réussir un cours, ce sont les repérages. Tout est dans le repérage. Ainsi, j’essaie toujours de réserver les meilleures salles, celles où il y a du soleil et de la place pour installer mon transat, celles dont les baies vitrées subtilement tamisées font à mes pommettes délicatement poudrées un halo digne d'un réflecteur Harcourt.



Et je fuis, en revanche, les cagibis étriqués dont le néon bleu qui grésille donne un teint de flétan mort à la plus pimpante des bimbos ; j'évite les salles pourries qui donnent sur le parking souterrain et envie de se flinguer. L’obscurité et les relents d’essence, c’est un coup à dépigmenter ma colo, et surtout c’est un milieu hostile pour mon chemisier blanc. Très important aussi, le chemisier blanc. Issu d’une patiente et intense réflexion, menée depuis mes tout débuts d’apprentie feignasse. Quand je fais cours, je m’autorise toutes sortes de fanfreluches – chemise, tunique, chemisier, bustier, top, blouse, cardigan, T-shirt à col rond, en V, tunisien, avec manches bouffantes ou papillon… Mais pour la couleur, hors du noir et du blanc, point de salut.

Il est loin le temps où, naïve et fraîchement débarquée de ma province natale, j’allais faire cours en chemisier mauve, bleu ciel ou vert amande : rillettes sous les bras, ça ne pardonnait pas. Depuis, je m’en tiens au noir et blanc, associé à mon bon vieux déodorant Narta fraîcheur Cologne (après des dizaines d’essais, ça reste le must) : très important pour la concentration et la bonne conduite du cours, de ne pas se laisser distraire ou perturber par ses glandes sudoripares, portes ouvertes au traumatisme et à la dépression enseignante. Je recouvre le tout d’un gilet facile à enlever (pas le pull où tu risques de révéler ton nombril joliment piercé en l’enlevant ; ça, je le laisse à mes – toujours aussi rares – étudiants mâles), et je l’assortis à une jupe ou un pantalon fluides, qui laissent deviner mes jambes superbement galbées, et des chaussures ouvertes, qui permettent à mes fans de découvrir toutes les nuances de mon nouveau vernis et de courir se l’acheter à la sortie du TD.


(à suivre)

mercredi 25 mars 2009

LGF monte un colloque (phase 3: la com') III

Dit comme ça, ça a l'air tellement cool que du coup je prends le temps de lire mon horoscope avant de m'y mettre: “Votre rythme va se trouver bloqué par des éléments extérieurs et il vous faudra bien vous adapter. Ne vous laissez pas détruire par des idées pessimistes !” Pessimiste, moi? Mais tout roule, allons! Bon, je m'y mets. D'abord, plier l'affiche en deux. Tiens, je dégage un peu mieux le bureau, et voilà, bord du haut contre bord du bas, là où sont les logos.
Là où sont les logos?… Hé, les logos?! Les logos que j'avais amoureusement téléchargés pixel après pixel auprès de chaque service de com de chacun de mes augustes financeurs? Où sont mes LOGOS?! Bon sang, mais sur mon ordinateur, la dernière fois, ils apparaissaient, j'ai vérifié au moins mille fois! Qu'est-ce c'est que ce bazar, au moment où j'allais avoir fini, enfin, presque commencé? Je déboule à l'imprimerie. Roger vient de finir son service, Kevin a une décharge syndicale, il reste juste Bertrand, le stagiaire. La larme à l'œil, je demande à Bertrand s'il sait où sont passés mes logos.


“Ah!” Soupir fataliste de Bertrand. “C'est les plug-in. Enfin, pas les plug-in directement, mais dans la conversion de format, vous voyez, avec InDessin — mais ça le faisait d'ailleurs aussi avec Pikchureshoup, peut-être pire même —, quand on exporte vers un périphérique, enfin pas vraiment un périphérique, mais dans le protocole, si à l'arrivée, vous voyez, on est en EPS, alors que vous, chez vous, ben vous travaillez sur un écran RVB, mais la machine, elle, elle convertit en CMJN, vous me suivez? Eh bien, au moment où on exporte, enfin, pas exactement au moment où on exporte mais je simplifie, ben c'est là.” C'est là quoi, je demande? “Ben, c'est là que les logos ont sauté, probablement.” Et je fais quoi, moi, là, avec mes logos sauteurs?


— “Ah, re-soupire fataliste Bertrand (je sens que Bertrand, il en a un peu marre d'être stagiaire). Là, ben, soit vous refaites les affiches. Mais ça va être cher. Soit je vous imprime 250 petits logos de chaque et vous les collez à la main. Mais je peux vous les massicoter, hein, si vous préférez… C'est pas long, remarquez; tiens, votre collègue, en Espagnol, le mois dernier, le logo du Conseil Général avait viré de couleur, c'était plus le bon Pantone, et vous savez, au CG ils sont vétilleux. Eh bien, elle les a fait colorier par ses enfants, au feutre. En une après-midi ils avaient fini, vous savez!”

mardi 24 mars 2009

LGF monte un colloque (phase 3: la com') II

Geneviève est une femme de parole: un quart d'heure plus tard, je l'ai, le carton d'enveloppes. Un peu poussiéreux, le carton, mais qu'importe le flacon… Les enveloppes sont parfaites: solides, grandes, on peut glisser dedans l'affiche juste pliée en deux, rabattre la bande gommée (ah, zut: elles sont un peu vieilles: la bande gommée ne colle plus), tourner du même geste l'enveloppe pour coller l'étiquette adresse — ah, du coup, mon regard tombe sur l'en-tête. Zut, les enveloppes sont vraiment un peu vieilles, je me demande si Geneviève parlait du bon déménagement, ou si elle n'a pas confondu avec son grand-père; en tout cas à l'époque où ces enveloppes ont été commandées le logo de la fac était un grand “E” vert (le président d'alors trouvait que le vert était le symbole même de la libération des forces du désir et de la création) alors que maintenant c'est un “&” bleu (le président d'aujourd'hui considère que l'esperluète, aussi appelé le “et commercial”, incarne à merveille l'esprit de l'économie de la connaissance et du lien, dans laquelle notre université est destinée à briller). Je tergiverse le temps d'un raccord de vernis (je me suis bousillé un ongle en ouvrant le carton), pour décider que basta, je garde les enveloppes à E vert, en espérant juste que ça me fera pas perdre la subvention du Conseil de la Faculté.

Mais, arghh, en me penchant un peu sur ce foutu logo vert, je vois que l'adresse non plus n'est pas bonne, ni d'ailleurs le nom de la fac, et que le numéro de téléphone n'a que six chiffres (je tente le coup en rajoutant les deux préfixes en vigueur dans la ville; peine perdue: ça sonne dans le vide). Bon, faisons un point rapide: est-ce que c'est grave, au fond, si j'envoie les affiches de mon colloque dans des enveloppes tamponnées d'un E vert qui précisent "Faculté des Langues Classiques, rue de l'école vétérinaire" (avec un numéro de téléphone fin René Coty), alors que lesdites enveloppes devraient arborer un & bleu et la mention “Unité de Formation et de Recherches Langues, Arts, Lettres et Communication, Campus de la Jaunisse” (oui, je sais, mais c'était un lieu-dit, on n'a pas pu y couper)? Franchement, est-ce que c'est grave?

Raccord de vernis sur l'autre main (je n'aime pas quand c'est dépareillé), et je décide que non. On n'aura qu'à rajouter dessus un coup de tampon avec les nouvelles coordonnées, et c'est tout. Ou alors un coup de blanco bien placé entre les deux oreilles, et hop, le tour est joué.Bon, me voilà, donc, trônant à mon bureau, flanquée d'un carton de GRANDES enveloppes qui furent jadis auto-collantes, d'étiquettes adresses imprimées diligemment par Geneviève d'après ma liste de copines, de belles lettres à l'en-tête du & bleu qui précisent à mes destinataires que l'affiche ci-jointe présente le colloque le plus audacieux qu'on ait vu depuis le précédent quant à la question si controversée de l'otium. Le tout méticuleusement disposé selon les préceptes de l'Organisation Scientifique du Travail, de sorte que j'y passe le moins de temps possible, vu que j'ai pris rendez-vous à 16 heures pour un régé, ma couleur commence à se faner. C'est pas dur: à gauche, tu saisis une affiche, tu la plies en deux, juste au dernier moment, hop! Tu glisses une lettre entre les deux épaisseurs, et tu enfournes le tout à droite dans une enveloppe que tu a pris soin de placer ouverture vers toi. Ensuite, fastoche, tu appuies bien du plat de la main sur la bande gommée — ah, non, c'est vrai, elle colle pas. Bon, là tu déroules un morceau de scotch. Il est où le scotch? Tu retournes l'enveloppe, hop! Un coup de tampon pour la nouvelle adresse (ah, poisse, si tu mets le coup de tampon sur l'en-tête d'origine, c'est tout illisible, mais si tu mets à côté, ça crée la confusion, bon, faudra prendre un feutre à tableau et rayer la vieille mention), une étiquette adresse, et roule ma poule!

lundi 23 mars 2009

LGF monte un colloque (phase 3: la com') I

Tout est bien qui finit bien: Kevin est revenu de congés, a débloqué le code de son PC, m'a imprimé fissa les 250 affiches Otium avec la couleur flashante qui doit normalement provoquer un électrochoc chez n'importe quelle feignasse. Je tente le coup illico sur mon directeur de département: raté, ça ne provoque chez lui qu'un inexpressif frémissement de la paupière, je suis à deux doigts d'être déçue. Et puis non: un je ne sais quoi d'hystérie flotte ce matin autour de ma personne, ça doit être l'après-shampoing "tonus cheveux matures", j'ai comme décidé de ne me laisser entamer par rien. Même ça m’exalterait presque. Je vais passer au secrétariat rafler une grosse poignée d'enveloppes et expédier en deux coups de cuiller à pot un mailing inter-sidéral, il ne pourra échapper à personne au sein de cette galaxie que ma fac organise le tip-top raout du moment sur l'otium. Je suis galvanisée par les avancées spectaculaires de cette entreprise, je ne me reconnais même pas moi-même, j'espère que quelqu'un pense à faire des photos.


Une demi-heure après (oui, le temps de passer prendre un petit café tranquille, on ne se lance pas à sec dans l'aventure, et puis rompre le rythme trop brutalement, y'en a des à qui ça a pu être fatal, ce serait trop bête, si près du but), me voilà installée à mon bureau, entourée de tout ce qui va me permettre de travailler à mon plan de com: les enveloppes, d'abord, grandes, pour qu'on n'ait pas à plier l'affiche en huit — au secrétariat, ça les a bien un peu embêtés, ma demande: ben, des enveloppes si grandes, non, on en avait pas. Si, si, ça se fait, mais nous, on n'en commande pas. Parce que personne ne nous en demande. Oui, mais moi, là, je vous en demande, et vous n'allez tout de même pas me dire que dans une fac qui pond du colloque à la cadence d'une machine à saucisse Handtmann il n'y a pas quelque part une réserve de GRANDES enveloppes!


Je ne sais pas si c'est la référence à la machine à saucisse, mais Geneviève tout à coup se souvient que l'autre fois, dans le déménagement — non, pas le dernier, celui où on a abattu la cloison qui séparait le secrétariat “langues” du secrétariat “lettres”en faisant sauter du même coup le réseau qui était coulé dans la paroi, non, pas non plus le précédent, quand on avait érigé une cloison entre le secrétariat “lettres“ et le secrétariat “langues anciennes”, mais celui d'avant encore, quand on a déménagé de l'aile ouest qu'on cédait au service du personnel pour venir s'installer dans l'aile est que libérait le service du personnel — Roseta opine: oui, maintenant ça y est, elle voit quel déménagement, celui où on avait perdu les cartons avec les copies de première année, celui où le bureau du chef de département s'est retrouvé tellement petit qu'on a dû céder au doyen les deux fauteuils qui ne tenaient plus dedans, celui où les bureaux des enseignants se sont transformés en LE bureau des enseignants, et où finalement on a dû céder aussi au doyen deux armoires, un bureau et trois blocs tiroirs qui ne tenaient plus entre le porte-manteau et l'interrupteur. Ça y est, tout le monde voit bien de quel déménagement il s'agit. Avant que les brumes de la nostalgie ne s'emparent des esprits je reviens à la charge avec mes enveloppes et Geneviève se souvient qu'en effet, lors dudit déménagement, elle a “sauvé” un carton d'enveloppes de grande taille (confondu avec le carton des copies de première année? Je reste cependant extrêmement discrète sur ce coup-là), et qu'il doit bien être encore là, quelque part, pas loin. Elle va me le trouver, elle me l'apportera dans mon bureau. Enfin, dans LE bureau.

dimanche 22 mars 2009

La Grosse Feignasse ouvre les portes (suite et fin)

Laissé tomber le prospectus avec les machins écrits tout petit. Préparé le nécessaire pour la causerie aux lycéens de première. Alors, voyons, de quoi je vais leur parler à ces ados, pour que ça leur paraisse sexy, les Lettres ?

Puis d'un coup je me suis dit : pauvre sotte! "parler", comme si c'était "parler" la clé du succès!

J’avais de toute façon préparé mes claquettes et mon paréo de soie aux couleurs rayonnantes, des fois que des papas séduisants accompagneraient leur progéniture, mais je n’en aurai même pas besoin.
De mes ongles désormais parfaitement polis-vernis, j'ai tapoté sur mon clavier, de mes mains soigneusement poncées-adoucies, j'ai caressé le mulot, jusqu'à produire un Pouerpoïnt hyper glamour sur les études de lettres. Je n'ai gardé que l'écume de la crème du glam. Evacués, les TD à cinquante-douze, les semestres qui ne font que deux mois et demi, les règles byzantines de compensations des unités de valeur. Evacués aussi, les bouquins abscons à lire, les références aux sacro-saintes bibliographies, le poncif sur l'excellence, la valeur-travail, la réflexion personnelle… pas glam, pas glam, pas glam, tout ça, coco!
Au terme de cette opération de cosmétique — et le cosmétique, ça me connaît! — le programme des études de Lettres n'a rien à envier à un “Fashion Fair testeur général” de chez Parce que je le vaux bien. Un fond d'écran saumon foncé, sobre et de bon goût. Un léger camaïeu de prune pour les titrages, assorti à mon fard à paupières (j'avais choisi “regard mystérieux” pour la journée POU). Je teste le déroulé de la chose: une merveille! Le fondu-enchaîné nous ballade glissando d'une bibliothèque universitaire lumineuse (il y a même des étudiants avec des portables, ça laisserait presque supposer que derrière il y a des prises pour qu'ils puissent les brancher) à la librairie locale spécialisée en littérature et assidûment fréquentée par des étudiants aux grands fronts et aux yeux candides, qui sont venus là en laissant derrière eux l’affreux Relay de la gare, qui ne propose que de l'Amélie Lévy et du Paolo Musso, avec de petits excursus dans des lieux aussi photogéniques qu'improbables: l'opéra, le théâtre, le magasin Parce que je le vaux bien, le cinéma d'art et essai…

J’ai réfléchi aussi à une jolie épigraphe, une chouette citation que je pourrais mettre en tête de mon ppt. J’ai pensé à un truc un peu osé, une citation inspirée de Jean-Marie Bigard (« un chercheur en littérature néo-latine, c’est un peu comme un deuxième trou du cul : c’est rigolo, mais ça sert à rien ») ou du petit Nicolas (Nicolas le Petit, peut-être, ce serait mieux) lui-même (« Dans les universités, chacun choisira sa filière, mais l'État n'est pas obligé de financer les filières qui conduisent au chômage. (…) Vous avez le droit de faire littérature ancienne, mais le contribuable n'a pas forcément à payer vos études de littérature ancienne si au bout il y a 1000 étudiants pour deux places. (…) Le plaisir de la connaissance est formidable mais l'État doit se préoccuper d'abord de la réussite professionnelle des jeunes. ») Ça m’aurait aussi permis d’expliquer pourquoi ils vont devoir payer 3 000 euros d’inscription pour se crever les yeux sur des textes latins, et d’ajouter pour les rassurer que l’agrégation de lettres classiques, paix à son âme, ça mène à tout, vu que Christine Albanel et Xavier Darcos ils l’ont tous les deux et qu’ils font des trucs absolument formidables (mais si on va par là, on peut même dire qu'on peut foirer toutes ses études et faire Président quand même).

Finalement, j’ai assorti l’écran d’accueil à mon transat, avec un sobre « Travailler plus pour gagner plus ». J'ai évité soigneusement tout ce qui pourrait effaroucher ces feignasses-qui-s'ignorent-encore-mais-ça-ne-saurait-tarder: cours dispersés aux quatre coins de la ville qui te ratatinent les ongles de pied, TD de langue vivante à 50 où tu peux même pas installer ta serviette de plage, étudiants obligés de faire Espagnol parce que le TD d'Allemand a lieu en même temps que le CM obligatoire de littérature française, absence de boutiques de cosmétiques dans un rayon de 200 m autour de la fac… J'ai effacé d'un coup de mulot magique tous les lieux super moches et dopés à l’amiantostérone (à peu près tous les amphis, les deux tiers des salles de cours, la cafète, le restau U et 75% des cités U, sans parler des taudis sans fenêtres loués à prix d'or en ville par des particuliers sans scrupules), tous les moments d’abattement profond (la semaine où l’on essaie désespérément de se bricoler un emploi du temps qui tienne, avec pour chaque cours, si possible, le nom du prof, le site, et, luxe suprême, le numéro de la salle; les matins frileux de novembre où l'étudiant se casse le nez sur une porte close parce que le prof a oublié de venir / est parti en colloque sans penser à prévenir / s’est cassé la binette de son transat en voulant attraper une bière / est malade et a prévenu mais la secrétaire, elle est en formation et n'a pas pris le message / a choisi de demander une salle moins pourrie sans que le service des salles ait eu l'idée d'en avertir les étudiants). Ah la vie universitaire! Si c'est pas un miel pour les feignasses, quand même... Depuis le 6 mai 2007, s'est même renforcé un rituel qui me permet des siestes et des séances de barbotage prolongés dans ma rutilante baignoire: les deux / trois / quatre semaines de blocage de la fac par des groupuscules gauchistes / ultra-gauchistes / MLF (Mouvement de Libération des Feignasses) / anarchistes / anarcho-syndicalistes / libertaires / anti-fascistes, pas contents / fâchés / opposés à la loi LRU / l'augmentation des frais d'inscription à l'université / le CPE / l'expulsion des étrangers / la hausse du prix du vernis à ongles / la réforme des concours / le port de la Rolex avant 50 ans / la recherche bling-bling / le mépris (je me sens soudain atteinte de flemmingite aiguë, tant la liste est longue). Tout ça, oublié, le temps du visionnage extatique d'un pouerpoïnt qui n'est finalement pas sans rappeler un épisode un peu mou de La Croisière s'amuse

Tiens, ça me donne une idée, je vais m'habiller tout en blanc comme le commandant Stubing. Je serai juste plus femme-femme que lui, mais avec le même sourire ultra-blancheur éblouissant qui guidera de sa lumière les pauvres lycéens paumés dans le dédale de bâtiments conçus en dépit du bon sens cher à Nicolas le Petit. La journée POU, cette année, ça va avoir du chien!

samedi 21 mars 2009

La Grosse Feignasse ouvre les portes




Ce week-end, c'est les Portes Ouvertes de l'Université. Malheureusement, notre président aime les acronymes. Chaque début mars commence donc la saison des conversations vaseuses du genre:
— Tu t'y colles, toi, cette année, au POU?
— Ah, non, je me suis déjà farci le Salon du Morpion en janvier.

Pas de chance, cette fois, c'est mon tour (mais j’ai eu le droit de venir avec mon transat). En plus, God bless notre président: cette année, il a fait imprimer de magnifiques petits prospectus qui nous dispensent d'avoir à inventer quoi que ce soit à dire aux visiteurs. Entre deux étapes de ma French Manucure, je me suis laissée aller à le parcourir des yeux, le machin. C'est mignon comme un dépliant des Jeunesses au Plein Air, jaune et vert avec des papillons multicolores qui volent. C'est sûr, ça donne super envie de venir faire des études ici. Ça doit être frais et gai, avec des belles filles aux dents saines qui croquent dans des pommes en tapotant négligemment leur ordinateur portable, un coude posé sur le gazon impeccable d'un campus de sit-com.

Ils ont tout bien mis dans l'ordre, les gars du prospectus, pour qu'on comprenne bien comment ça se passe, une année à l'université. Ça commence par la pré-rentrée, ça se termine par les examens, et entre les deux, on voit des tas de photos de bâtiments flambant neuf aux verrières de technal, une bibliothèque qui ne sent pas le chien mouillé, et une salle informatique avec des dizaines de Mac dernier cri — là, je pense qu'ils ont un peu fait flamber la carte bleue, au service de la com, parce que des photos comme ça, il a fallu les acheter, ou alors on nous cache des trucs dans cette maison.

Le Jet Set Shine mettait un peu de temps à sécher, j'ai donc laissé traîner mon regard sur les petits machins écrits entre les photos. Instructif, très instructif ! J'ai appris, par exemple, que dans cette université qui me nourrit, et ce, à l'insu de mon plein gré, il y avait des Enseignants Référents qui étaient chargés d'un suivi personnalisé d'une groupe d'étudiants, tout au long de leur cursus. Là, il faut reconnaître, je suis un peu soupe-au-lait, j'ai failli me vexer. Quoi? Des enseignants référents dans ma fac, pour suivre mes étudiants, et on ne me dit rien? Appelez-moi le chef du département, le doyen, le responsable du service des études!

Et puis je me suis dit, ma cocotte, du calme, ça te vaut rien au teint de te faire de la bile. Le doyen, il a dû vouloir t'épargner tous ces soucis; les gars qui suivent les étudiants depuis leur entrée à la fac jusqu'à l'obtention de leur licence, ça doit être des collègues qui sont pas là depuis longtemps, ils ont pas pensé à te dire, ou alors ils viennent pas souvent, ou alors ils parlent une langue étrangère et vous vous êtes pas compris, si ça se trouve le type qui t'a demandé de lui passer le bol à sucrettes, à la cafète, en serbo-croate, eh bien en fait il voulait pas du tout les sucrettes, il t'informait juste que désormais il était l'enseignant référent de tes étudiants de première année jusqu'à ce qu'ils aient leur licence. Voilà, pas de quoi en faire un drame.

Mais je m'étais bêtement énervée sur ce coup-là, et voilà, patatras, une trace sur mon Jet Set Shine. Le temps d'une inhalation de dissolvant et d'une nouvelle couche de vernis, j'ai continué les petits machins écrits. Là, j'ai failli tomber de ma chaise. Enfin, de mon transat. En fait, non, j'ai pas du tout failli tomber, je suis bien calée avec des coussins, mais tout de même: dans ce machin Jeunesse au Plein Air jaune vert et bleu, c'était écrit aussi que les étudiants bénéficiaient de "groupes de soutien animés par des tuteurs" (réussite en licence ga-ran-tie !) et de "séances de travail privilégié en groupes de 25 étudiants". Là, j'ai retourné le prospectus de Vacances Heureuses, pour vérifier que derrière on trouvait bien le & bleu de ma fac. Parce que du tutorat, et des groupes de 25, j'avais pas souvenir d'en avoir vu ici, moi. 25, c'était plutôt le nombre d'étudiants à qui je refusais l'entrée dans mon TD d'Expression Française une fois que les 45 chaises réglementaires étaient occupées. Ils les ont vus où, les groupes de 25?

Pas trop eu le temps de creuser la question, si je voulais avoir le temps de coordonner les orteils aux ongles de mains, fallait pas traîner.


(à suivre...)

vendredi 20 mars 2009

Billet TLF: "mon mari passe tout son temps de libre à lire"

Lu dans un moment d'égarement et dans Figaro Madame:

« Je n’ai pas attendu mon mari pour connaître Johnny Hallyday, l’écouter ou aller le voir en concert. Il ne m’a pas attendue pour écouter Barbara. Il y a ce fantasme concernant la droite, et mon mari en particulier, à savoir : un monde inculte. La culture, c’est tout le monde, et tout le monde peut revendiquer ses goûts, ses lectures. Un jour, j’ai lu un article sur le fait que mon mari ne lisait pas. Ce monsieur qui a écrit l’article doit visiblement vivre avec nous puisqu’il prétend que mon mari n’a jamais lu un livre ! Alors que mon mari passe tout son temps de libre à lire. En ce moment, il est plongé dans les Mots, de Sartre, Alexandre Dumas et les pensées de Marc Aurèle, qui sont très intéressantes puisque c’était un empereur philosophe. Cet été, mon mari, à côté de moi, lisait Aragon. Autrement, nous regardons des DVD dès qu’on a un peu de temps : un dimanche, nous avons enchaîné Qu’est-il arrivé à Baby Jane et Casablanca, nous étions fascinés… »

Carla pourrait quand même remercier les généreux donateurs du Sarkothon, auxquels j’ai décidé de m’associer en envoyant cette pièce unique, ce chef d’œuvre de bibliophilie que j’ai pris soin de photographier avant de le glisser dans un beau carton.




jeudi 19 mars 2009

TLF

Hier, c'était la journée nationale du sommeil, et aujourd'hui c'est manif.

Voilà...

mercredi 18 mars 2009

La Grosse Feignasse monte un colloque (phase 2: l'affiche) II

Là, Roger tourne la tête d’un air dubitatif vers ce que j’avais pris de prime abord pour le porte-manteau embarrassé du personnel, mais qui dissimule en réalité, sous l’empilement de vestes, blousons, cartons de ramettes et suppléments sportifs du journal local, le bureau de Kevin. Aux étagères avoisinantes des toiles d’araignées font de frissonnantes pendeloques. Entre les coupes du Sporting club de Saint-Saturnin-les-Coquelicots, des tombereaux de photocopies sont tassés, écrasant les boîtes en carton râpé de toners d’imprimantes périmées depuis des lustres, qui s’écroulent à leur tour sur une pile d’affiches pour le colloque 1977 sur le multiculturalisme radical, elles-mêmes parsemées de mégots (c’étaient des offrandes abandonnées, des débris que l’on brûlait).
Moment de fusion complice avec Robert : non, pas envisageable de chercher si mon CD n’est pas quelque part dans ce no man’s land kevinien, d’abord moi j’ai mon hypertrichose qui me démange, et justement lui, Roger, c’est bientôt l’heure de sa RTT et ça, c’est sacré. Je tente (mais qu’est-ce qui me prend ? d’où est venue cette obstination dans l’effort alors que tout concourt à me renvoyer vers le délice de mon inaction ordinaire ?…) une dernière suggestion : et si Kevin, avant de partir en congés, avait copié le contenu de mon CD, InDessin et tiff-jpg-postscript, sur son ordinateur, là, juste devant nous ? On pourrait peut-être, je ne sais pas moi, dire à la machine juste à côté de l’imprimer, ça prendrait tout juste une demi-journée de plus, plus la RTT de Roger, on resterait tout de même dans des délais raisonnables ?… Roger alors m’assène le coup de grâce : « C’est sûr mais c’est que c’est l’ordinateur de Kévin, ça ! Et il a mis un code, rapport à la confidentialité des données… ». Ah, le plat crétin, ah l’informe abruti, ah le gros con !

Des jours comme ça, c’est pas la peine d’insister. Le fatum, le kairos, je sais pas moi, c’est des trucs vraiment dégueulasses. C’est peut-être mon Roger qui a raison, moi aussi j’ai besoin de RTT. Je souhaite bon repos à Roger et je repasse dans mon bureau me poudrer le nez (c’est fou ce qu’il fait chaud, à la repro, ça assoupit et ça faire luire la narine), non sans prendre garde à éviter le doyen qui glisse d’un air patelin dans le couloir — bonheur d’avoir un bureau à double entrée, porte arrière sur l’ancienne cage d’escalier qui desservait le deuxième étage mais qui a été désaffectée à la construction de l’ascenseur pour personnes à mobilité réduite et qui désormais donne sur un mur aveugle dans lequel la Commission Hygiène et Sécurité a obtenu, après moult palabres et réunions de concertation, qu'il soit percé une issue de secours. Je m’éclipse à l’anglaise, adieu colloque, logos, affiche et InDessin. Voilà amplement l’heure de ma séance de Non Impact Aerobic, une activité qui, me vantait le prospectus glissé dans le supplément « Ongles et peaux mortes » de l’Information grammaticale (n° 67, trentième année, Spring-summer 2008, uniquement sur abonnement), « permet de se sentir exister dans l’instant présent, en harmonie avec soi et avec les autres ». Je me sens déjà en hyper-harmonie avec Roger, je pressens une extatique séance de Nia…

mardi 17 mars 2009

La Grosse Feignasse monte un colloque (phase 2: l'affiche) I

Arrive enfin le grand jour. Non, pas le Vrai Grand Jour, celui des petits fours et des discours inauguraux mais le jour tout de même où les affiches bricolées sur InDessin avec le logo qui va bien sortent enfin des presses de l’Imprimerie (ne pas oublier la majuscule de déférence) de l’Université. Avec un petit pincement d’angoisse, et une lime à ongles (j’aime pas attendre), je me rends à l’heure dite au service repro (ce service dont le nom seul suffit à faire trembler le plus téméraire d’entre nous : c’est bien simple à la fac, il y a deux personnes avec qui tu ne peux pas te fâcher, c’est Roseta, la secrétaire qui s’occupe de ton groupe de L2, et Kevin de la repro). Bref, j’arrive, enfin, pas à l’heure dite, c’est assez impoli, ai-je appris depuis que je travaille ici : il faut courtoisement laisser un délai d’une petite demi-journée entre le moment où Kevin te garantit que « oui, oui, pas de problème, ce sera fait » et le moment où Roger t’annonce que « ah, ben non, je les trouve pas vos travaux… ah, ben si, ils sont là, il les avait pas mis sur la pile. Bon, ça vous va dans une petite heure ? ».

Donc, avec ma petite demi-journée de mou, je me pointe au guichet « retrait des travaux ». Ah, Kevin n’est pas là. Mais pas de problème, Roger, lui, va me sauver la vie, comme dix-sept fois par semestre. Il commence par pas les trouver, mes affiches, Roger. « Vous êtes sûre que vous les avez bien déposées ? ». Ben tiens, non, je passais par là et je me suis dit tiens si j’allais em... la France qui se lève tôt en lui demandant de me rendre des travaux que je n’ai pas déposés ! Mais non, c’est une blague, mon Roger il me connaît, il aime bien me faire monter comme le lait sur le feu, je le vois qui se fout de moi avec un demi-sourire et je fais mine de rien en repoussant les petites peaux là et là au bord des ongles pendant qu’il remue des tas de sujets d’examens — théoriquement classés top secret mais qui volent tout de même au vent mauvais —, des piles de polys au bord de l’effondrement, quelques mégalithes de dossiers de psychologie du développement — ceux-là, on apprend vite à les repérer, à cause des dessins d’enfants à problèmes sur chaque page ; c’est toujours assez rigolo à voir avec le papa tout bizarre, la maman sans bras et la maison de traviole — et un himalaya de brochures « réussite en licence » (les fameuses brochures en couleur dont, entre collègues, nous avions tant parlé l’an dernier, et qui n’ont été prêtes que le lendemain du jour où on devait les distribuer, bref, bonnes à pilonner désormais).

« Dites voir » — je sursaute, revoilà mon Gégé — « ces affiches, vous les avez déposées quel jour précisément ? » Là, le Roger, j’ai l’impression que c’est plus tellement qu’il me fait marcher, il a viré gris pâle. En vieille routière des services repro, je prends un ballon d’oxygène et lui ré-expose posément en une phrase aussi dense que compréhensible — une sorte de tirade sublime : « C’est en ces lieux funestes, que je vins déposer / Mardi, avant midi, le nécessaire CD » — l’historique de la chose, que je suis venue donc mardi dernier, avec un CD contenant mon extraordinaire affiche créée sous InDessin et enregistrée sous les mille et un formats imaginables qu’une imprimerie pourrait avoir la fantaisie d’utiliser, avec la séparation de couleurs moulée au bol, le PDF machin, les polices idoines, l’image en quarante cinq millions de pixels sous format TIFF, jpg, gif et tutti quanti… mais j’ai à peine le temps d’énumérer les innombrables ravissements des standards informatiques en vigueur que le Roger se frappe le front. « Un CD ? mais pourquoi ? vous n’aviez pas d’original ? » Ben si un original j’en avais bien un, mais non je l’ai pas donné, parce que Kevin, justement, jugeait qu’imprimer à partir d’un fichier, ça serait vraiment plus bath, pour mon colloque, les rouges plus rouges, une douceur comme au premier jour, le Dash 3 de l’impression numérique, juste pour voir si les couleurs d’origine peuvent revenir… « Ah, mais c’est embêtant, ça. Vous l’avez encore, le CD ? » Hum, il me semble que je viens de dire que le CD, je l’avais donné à Kevin mardi dernier, et que, justement, peut-être, si on demandait à Kevin… « Oui, bonne idée — note Roger tout à coup fine mouche — mais Kevin, là, il est parti en congés ! » Ah ?… Pour longtemps ?… Quinze jours ? Au début du semestre, tout de même. Oui, en effet c’est ennuyeux. Je n’ai pas insisté. Ça devenait glissant et puis si quelqu’un pouvait comprendre les vacances, c’était bien moi. Mais Kevin, il l’a sûrement laissé quelque part sur son bureau, le foutu CD, non ?

lundi 16 mars 2009

La Grosse Feignasse monte un colloque (phase 1, III)

Après, il reste juste à vérifier que la mairie va bien distribuer les mallettes en plastique bleu ciel avec un choix de dépliants publicitaires, de plans du quartier piéton et de crayons siglés (sans quoi un colloque n’est pas VRAIMENT un colloque). Autant dire que, pour une feignasse, j’avais explosé mes objectifs. C’est quand même un truc à tomber de son oreiller : deux ans de boulot, putain deux ans, si c’est pas contre-nature, ça ! Alors que j’aurais pu, je ne sais pas, réserver mon chalet estival (ça occupe deux doigts, sur Internet, et ça en laisse huit autres pour la lime à ongles et le durcisseur) ; ou reclasser toutes mes photos de Palavas en laissant ma couleur prendre ; ou même, soyons fous, avancer un peu dans la rédaction d’un livre qui ne sera pas pris en compte dans mon avancement et qui sera pilonné douze mois après sa parution. Bref, j’aurais pu me consacrer à de vrais trucs de feignasses, au lieu de gravir cet Himalaya d’emmerdements. Tiens, les demandes de subvention : non seulement les neuf dixièmes des conseils que m’avait donnés le service ad hoc étaient faux ou périmés (forcément, avec des procédures qui changent automatiquement tous les quinze mois, c’est un risque à courir, ça doit expliquer aussi pourquoi ils sont tous jaune pâle, dans ce service), mais en plus il faut s’enfiler d’interminables déjeuners de travail plus ou moins utiles, pour convaincre tel conseiller, tel sous-directeur, tel sous-membre de commission de l’intérêt du projet (et ça, c’est très mauvais pour la ligne : on mange en parlant, paf, on est ballonné). Le plus fatigant, au fond, c’est de répondre encore et encore à cette interrogation que tous mes interlocuteurs semblaient considérer comme essentielle : « et le grand public ? ». J’ai vite perdu le goût des efforts surhumains qu’il fallait faire pour répondre à ça. Pourtant il aurait fallu. Mais je n’ai pas une nature de VRP. J’ai une nature de feignasse, et contrariée, qui plus est. Rien que d’y repenser, une énorme lassitude m’abat…

Bref, j’étais donc là, immobile et interloquée. Il fallait faire l’affiche. La grande affaire. Une affiche, ça se compose. Moi, avec mes six mille heures de vol en maquillage d’une seule main, l’idée me séduisait plutôt. Je me voyais déambulant parmi des rangées de petites mains, drapée dans une étole en soie sauvage, le brushing impeccable, lunettes à la Lagerfeld sur le nez, distribuant des conseils artistiques avec un rien d’accent autrichien. Eh bien figurez-vous que la réalité est nettement plus prosaïque. La grande question, c’est d’abord le placement des logos des gentils bailleurs de fonds. Là, attention, on m’avait expliqué par le menu à quel point cet aspect négligé de la composition d’une affiche était « vachement important » (je cite de mémoire). Si le logo de la Région est un chouille plus petit que celui du Département (mais un chouille, hein, genre quelques pixels), fini les bons euros, le prochain colloque y’en a plus rien valoir du tout. Alors je m’y suis mise, forcément. J’ai passé une tenue appropriée (un petit ensemble urban walking en téflon bicolore avec des fentes surpiquées pour l’aération pendant l’effort, une paire de converses vintage chinées à Barbizon pendant un colloque sur la peinture paysagère, des mitaines de golf pour pas choper froid aux doigts en recomptant les pixels), et j’ai calibré mes logos. A un moment, j’ai bien eu l’idée d’en coller un dans chaque angle, mais on m’a rétorqué que la charte graphique l’interdisait. La charte ? Mais elle est où, cette charte, à la fin ? Partie avec Bobby, visiblement, comme les clefs de l’armoire à cartouches d’encre, et le code secret du scanner à plat du deuxième.

Enfin, j’ai pris mon courage à deux mains, et un bol de pistaches dans l’autre (logique : le blog de la grosse feignasse est codé sous spip), et j’ai fait tout ça depuis mon canapé. J’ai compté les pixels, j’ai calibré les logos, j’ai choisi l’image principale. Ah, l’image, choix difficile. J’ai fini par m’arrêter – c’est le cas de le dire – sur celle d’un universitaire des premiers temps. Ah, les temps anciens, c’était tout de même autre chose. On savait partir en colloque dans le confort minimum, tout de même.

dimanche 15 mars 2009

Billet TLF: Nostalgie, quand tu nous tiens...

"C’était le moment tant attendu des petits et des grands, humbles personnels IATOS comme mandarins chargés d’honneurs. Les vacances universitaires. A l’époque où l’enseignement supérieur avait encore un parfum de nonchalance aristocratique, l’une des plaisanteries qui y couraient consistait à dire, par exemple à l’un des nouveaux élus faisant son entrée : « Savez-vous quelles sont les trois grandes raisons de travailler à la faculté ? » Devant le silence du naïf cherchant des pensées élevées qui auraient pu avoir été formulées par il ne savait quel grand esprit, on lui vendait la mèche : « Juillet, août, septembre, cher collègue, voilà les trois grandes raisons. »
Epoque bien révolue, tant la montée du nombre d’étudiants, l’imbrication croissante des enseignements, la paperasserie exponentielle, l’insuffisance chronique de personnel administratif et, plus globalement, le bordel complet qui régnait dans l’usine à gaz de la fac avaient grignoté le temps libre qui jadis pouvait être consacré aux recherches personnelles ou à la thèse – la petite, puis la grande, puis la complémentaire, enfin toutes ces sortes de choses qui vous occupaient agréablement les étés jusqu’à un âge avancé. "


© Pierre Christin, Petits crimes contre les humanités, Métailié, p. 152



samedi 14 mars 2009

Billet TLF: "Singuliers colloques"

En fait, sur le bord de ma baignoire et sous la couverture hyper tendance signée Mme de La Fayette, je cache en général de bons p'tits polars...

"Lorsqu’il découvrit le lieu où se déroulait le colloque sur « Littérature et Peinture : traces romaines », organisé par l’université La Sapienza, Simon ne put s’empêcher d’éprouver un petit pincement au cœur. Il ne partageait pas le patriotisme universitaire du président Goulletqueur pour son campus mangé aux mites. Mais tout de même, ça faisait un choc de découvrir, sur le sommet paisible de l’Aventin, au milieu des lauriers roses, des pins parasols et des cyprès, un cloître parfaitement harmonieux au centre duquel glougloutait une fontaine (dépourvue de canettes de bières, faut-il le préciser ?) entourée de citronniers aux fruits gonflés. On avait beau avoir pris l’habitude de la misère des lieux français dévolus à l’enseignement supérieur, où régnait toujours un remugle proche de celui des anciens magasins d’Etat soviétiques Gastronom n’abritant que des conserves avariées, on ne pouvait s’empêcher d’éprouver un sentiment de honte mêlé de jalousie en découvrant les murs ocres du déambulatoire, les salles d’études vastes et fraîches, le parfum d’un rosier. "


© Pierre Christin, Petits crimes contre les humanités, Métailié, p. 162-163



vendredi 13 mars 2009

La Grosse Feignasse monte un colloque (phase 1, II)

En fait non, le tout tout début, ç’a été de trouver une idée de colloque. Moi, ça m’intéressait pas plus que ça, de monter un colloque, j’aime mieux monter l’escalier pour soigner le galbe élégant de mes jambes. Mais si si, c’est important pour ton CV, d’avoir organisé un colloque, allez, faut t’y mettre. Donc je m’y suis mise, tout en enduisant généreusement mes ongles de dissolvant (je voulais tenter un truc un peu plus trash que d’habitude, du vernis bleu, ou même noir, comme Rachida Dati, ça, c’est vraiment la classe, j’ai juste pas la bague qui va bien, toujours rapport à mes émoluments de lémurien). Sur quoi je pouvais bien faire un colloque, feignasse que je suis ? Bon, on a compris grâce au titre ci-dessus que j’avais trouvé le truc tip top, à la fois à la mode (l’otium, c’est tendance, en tout cas à l’Université) et en parfaite concordance avec mes propres aspirations. Et puis, en latin ça en jette.

Ensuite, en effet, il avait aussi fallu monter (encore ce verbe impitoyable) le projet scientifique, choisir le comité scientifique, contacter ces quelques heureux élus, écrire un à un à la petite trentaine de colloquants retenus (je jette un voile pudique sur la scène d’une rare violence que constitue la sélection desdits colloquants), gérer les egos des uns et des autres avec la même balance à neutrons qui sert à équilibrer les gars vraiment savants et les gars vraiment puissants dans le comité scientifique, repérer les éventuels filous, débusquer les vrais médiocres, éliminer impitoyablement les serial-annuleurs-de-dernière-minute, monter (toujours ce verbe impitoyable) le programme final, élaborer le budget, pardon : les budgets (selon les différents scenarii : option subventions généreuses, option voilure réduite, option nous-sommes- heureux-de-vous-cracher-dans-la-poche), réserver les hôtels, négocier les tarifs, régler la question (incontournable, fondamentale, dont dépendent la réussite et la renommée du colloque) du traiteur (9h07 un lundi matin : « allô, ici Corinne, de la Charcuterie-Traiteur Sanzot, c’était pour savoir si on pouvait remplacer les feuilletés au boudin par des canapés à la confiture de porc, c’est 0,13 € de plus par canapé, est- ce que ça rentre dans votre budget de rat ? ») et finaliser (pardon, il a fallu que j'apprenne aussi ce verbe) le tout. Voyez le tableau. Imaginez la torture pour ma flemme, le retard sur mes séances d’UV, l’abandon de mes cheveux qui fourchent, mes ongles qui se dédoublent, mes séances d’exfoliant qui passent à la trappe… Mais ce n’était pas fini. Restait la partie que je préfère : les relations publiques.

Eh oui : une fois la bête à peu près construite sur le papier, une fois le dossier en trois exemplaires gravés sur marbre transmis au Bureau de la Qualité de la Recherche pour attribution de subventions (« ah, on ne vous avait pas dit que la date limite, pour le dossier, c’était lundi dernier ? Vous n’avez pas eu notre mail ? Ben, notre mail d’hier soir, oui, c’est ça, pourquoi ? »), il reste à se tourner vers le milieu « local » : institutions, collectivités territoriales, associations, bref, les « partenaires » indispensables qui vont apporter à ces calembredaines universitaires le sacre de la vraie réalité ancrée dans la société civile. Alors il faut imaginer des manières de convaincre les élus locaux de l’intérêt de la manifestation (ce qui signifie souvent qu’il faut intégrer dans ladite manifestation une dégustation de produits locaux ou organiser une visite des ruines célèbres du département pour les conférenciers, ou mettre en place une exposition sur le thème du colloque). Là, il faut faire gaffe. Le jour où le type du Conseil Général m’a appelée, je sortais de mon bain, un masque à l’argile sur la figure, toute amollie par les huiles essentielles, pas sur mes gardes. Je lui ai répondu d’une voix de gorge, façon Lauren Bacall dans Key Largo. Quand il a commencé à me demander à quoi je pensais pour valoriser la région dans le cadre de ma manifestation scientifique de haut niveau, je lui ai proposé de faire sauter le doyen à l’élastique depuis la flèche de la cathédrale pour symboliser le courage que représentait l’entrée dans l’économie de la connaissance. Je rigolais, moi. Il a fallu six mails et quatre coups de fil pour que je parvienne à expliquer que, bon, c’était juste une carabistouille. Ah, oui, c’est carré-carré, un colloque, attention.

jeudi 12 mars 2009

La Grosse Feignasse monte un colloque (phase 1, I)

"Je prévois une Iliade de maux..."


"Comment ça, c’est moi qui dois faire l’affiche du colloque ? Mais j’ai pas touché un pinceau depuis l’école primaire, moi ! On n’a personne dont c’est le boulot, de faire l’affiche ?

- Tu sais bien que depuis que Bobby est parti, on doit faire ça nous- mêmes. Et puis tu déconnes ou quoi ? Personne ne te demande de toucher à un pinceau. Tu fais l’affiche sous InDessin."

Sous qui ? Qu’est-ce que c’est que ça, InDessin ? (par précaution, je murmure cette dernière phrase à la fois in petto, à mi-voix et pour moi-même, vaguement consciente que je trahis là un scandaleux manque de Maîtrise des Technologies de l’Information et de la Communication Electronique, alors que bon, c’est tout de même le 8e des dix points du cahier des charges de la formation des enseignants édicté par le Soviet Suprême du 19 décembre 2006, un peu de sérieux, bon sang). Et comment ça Bobby, il est parti ? Parti où ? J’ai dû rater un épisode.
Gêné par mon silence persistant, le collègue reprend :

" Tu verras, c’est tranquille, InDessin. Si tu connais Pikchureshoup, ça va tout seul.
- Mais je ne connais PAS Pikchureshoup!
- Arrête ton char ! T’as l’agreg et tu connais pas Pikchureshoup? A quoi ça sert, les concours ?

Ben, à l’époque pas si ancienne où je les ai passés, ça ne servait pas à apprendre le maniement d’outils informatiques aux noms grotesques qui se démodent un tout petit peu moins vite que les baskets de mes étudiants de 2e année. Ça aussi, évidemment, je le garde pour moi. Je soupire, exténuée, et je lâche l’affaire :

"Bon, c’est d’accord, je m’y mets. Tu peux me graver Pikchuremachin sur un disque ?
- Pas de problème. Et je te prépare un modèle d’affiche. Allez, je file. A plus.

Je reste un temps immobile, interloquée. Commet une feignasse de mon espèce a-t- elle pu avoir l’idée saugrenue de se lancer dans une aventure pareille ? Monter un colloque… quelle idée, aussi ! Une modeste journée d’études aurait fait l’affaire. Rien que le verbe aurait dû m’alerter : « monter » un colloque, tout de même, ça fait peur. On monte une montagne (horribile dictu – oui, je sais, je me la pète un peu), on monte à l’assaut (horribile visu), on monte de quelques places dans le classement de Shanghai (horribile auditu) : j’aurais dû me douter que « monter un colloque », ça ne s’appelait pas comme ça par hasard. D’ailleurs, cette fichue métaphore a sa raison d’être : monter un colloque, c’est un peu comme monter un mur, parpaing après parpaing, mais sans mortier ni fil à plomb. Un château de cartes en béton, qui mille fois manque s’effondrer. Et puis, il faut dire que c’est vivement contre-indiqué pour mon hypertrichose : c’est toujours au moment de se repoudrer le nez qu’il faut se mettre au travail – enfin, plus exactement, aux travaux.

Au début, on m’a demandé de trouver un titre, pour l’annonce. Ben oui, l’annonce : dans la mesure où notre boulot de feignasses de profs commence désormais un peu avant le 1er septembre pour s’arrêter un peu après le 20 juillet, notre boulot de feignasses de chercheurs est obligé de se loger dans les interstices, d’empiéter sur des cours, de chevaucher des conseils, de se glisser entre les dossiers. Résultat : il faut commencer à faire de la pub pour un colloque douze à quinze bons mois à l’avance si l’on veut avoir la moindre chance d’y obtenir les intervenants les plus intéressants, et surtout d’y glaner un peu de public (tant il est vrai que rien n’est plus mauvais pour le moral qu’un colloque dont les orateurs sont plus nombreux que les auditeurs…). Donc, le titre. Ça ne m’avait pas éreintée, ça, d’ailleurs. Le titre, il s’était imposé presque naturellement : « Otium, feignants et feignasses, des rois fainéants à l’oisiveté de Montaigne ». Mais ce n’était que le début.

mercredi 11 mars 2009

On s'la coule douce en colloque (3)

Seulement, cette causerie, ça n'ouvre droit qu'aux Bonnes Grosses Nuits d'hôtel. Si on veut être remboursé aussi du trajet, ça suppose d'en faire un peu plus, par exemple assurer une présidence de séance. Je suis toujours volontaire. Ça, rien que de penser que c'est considéré comme un boulot, je m'étire d'aise! Ça consiste tout simplement à s'asseoir à côté de celui qui parle, pour qu'il ne se sente pas trop seul, et à lui désigner la montre discrètement au bout d'un moment, pour lui redonner courage en lui montrant que c'est bientôt fini.

Pour enrober le tout et ne pas trop laisser voir qu'on est payés à rien foutre, il faut quand même essayer de "rebondir" (oui, je sais, le mot est dégueulasse, ça fait penser à du mouvement) à chaque intervention. Moi, j'ai un truc imparable, et qui me tient éveillée en plus (parce que oui, j'ai oublié de dire: le seul inconvénient à être président de séance, c'est qu'il ne faut pas dormir, c'est pile la place où ça se voit): je note à la volée une ou deux citations du gars qui parle (bon, pas Genette ou Ricoeur, parce que tout le monde les a déjà mises dans sa propre communication), et je lui demande d'un air fin, pour relancer le débat (c'est pareil, "relancer", j'aime pas trop comme verbe, ça soulève le coeur un peu, non?…), si ce qu'il a voulu dire, c'est bien ça, et est-ce qu'il n'y aurait pas un paradoxe à penser que…? J'aime bien le coup du paradoxe, ça en bouche un coin à tout le monde, et le gars qui vient de parler essaie de s'en dépatouiller un moment, ça me laisse le temps de penser à ma prochaine question, sauf si une des feignasses avachies dans l'amphi fait mine de lever une paupière, dans ce cas je ne la loupe pas et fais signe de lui porter le micro, avant qu'elle se rendorme.

Ça n'a l'air de rien, comme ça, mais ça demande un peu de doigté, un peu de technique. Par exemple, la dernière fois, en notant mes citations, j'avais pas fait mouche, et au moment de reprendre la parole pour faire sentir combien tout ce qu'on venait d'entendre était pertinent, et ô combien ça élevait le débat et comme ça remettait profondément en jeu tout ce qu'on croyait savoir sur le sujet, voilà que mon œil tombe sur les notes que j'avais prises d'une main molle, et làs! J'avais pris des citations inutilisables. Par exemple, j'avais noté "peu importe" — c'est vrai, le type l'avait dit, ça, mais va construire une phrase avec un paradoxe à base de "peu importe", toi! Comme quoi, feignasse, c'est un métier.


Un colloque a TOUJOURS lieu dans un Centre de Recherches hyper classe.
C'est intellectuellement nécessaire.

mardi 10 mars 2009

On s'la coule douce en colloque (2)

Déjà, le moment de l'appel à contribution me distrait un peu dans mon planning de finger training (eh, avoir de jolies mains, c'est du boulot). C'est pas de taper dix lignes sur mon clavier qui me pèserait vraiment, mais tu risques toujours de te casser un ongle, on n'y pense pas assez. Mais bon, les Bonnes Grosses Nuits d'hôtel, ça motive, alors je m'arrange toujours pour trouver un angle hyper astucieux sous lequel aborder la question soulevée par les gentils organisateurs, et hop, l'affaire est dans le sac, acceptée pour le colloque. Normalement, une fois que j'ai l'accord, il me reste tout juste le temps de me préparer physiquement à la chose. Ben oui, la condition physique est déterminante dans ces choses-là. Ne rien laisser au hasard.

Plusieurs mois à l'avance, traitement de fond: masques, peeling, et du repos, beaucoup de repos. De temps à autre feuilleter négligemment un bouquin, du bout de l'auriculaire, pour faire prendre l'air aux pages. L'odeur de renfermé, c'est tout ce qu'il y a de plus vulgaire en colloque.

Environ huit semaines avant l'événement, commencer les préparatifs proprement dits. Se refaire une couleur (un truc léger, tout ça doit avoir l'air naturel). Penser à faire assouplir les cals sous le talon — on ne sait jamais, inopinément, pendant le colloque, tu peux avoir à montrer ton talon, on n'est jamais trop prudent. Nettoyage de peau, pas agressif surtout, ne pas brusquer l'épiderme. A l'occasion, jeter deux-trois idées sur le papier.

La semaine qui précède, entrer dans le vif du sujet. Préparer son sac, pour être sûr de ne rien oublier. Penser aux vêtements chauds (rien de plus bête que de grelotter au fond de l'amphi, alors qu'on pourrait être confortablement lové dans une étole en pur pashmina), aux vêtements légers (rien de plus bête que de transpirer à la tribune, alors qu'on pourrait faire de si jolis mouvements de bras avec une légère chemise un peu floue), aux lunettes de soleil (LE type qu'on ne veut plus voir depuis notre soutenance de thèse risque d'être là lui aussi). Ne surtout pas oublier le nécessaire de pédicure (parce qu'en trois jours, on finit par venir à bout de la manucure), quelques revues, un tout petit oreiller qui tient dans la serviette en cuir. Mettre la dernière main à sa causerie: rédiger le texte, puis le dé-rédiger pour le transformer en notes qu'on ne sera pas tenté de lire servilement; mettre au point les notes de bas de page, parce qu'il y a toujours un vicieux qui demande la date de publication du machin dont on n'a cité que trois syllabes, mais pour lui c'est super important de savoir s'il a été publié à l'automne 1653 ou plutôt au début de l'hiver 54); illustrer par des exemples bien choisis qui extirperont les autres feignasses de leur léthargie, parce que ya pas de raison qu'on se la coule douce pendant que je parle à l'amphi; traduire les citations en bon français; enfin dans le cas hélas où l'exposé doit être accompagné d'images, scanner les images (si on a les originaux), courir après les originaux (si on les a pas), négocier les droits de citation (avec contorsions), préparer le powerpoint, légender les images… Enfin minuter le tout pour pas que ça dépasse, ferait beau voir qu'on en fasse plus que le strict minimum!

(à suivre)

lundi 9 mars 2009

On s'la coule douce en colloque (1)

Moi, j'aime les colloques. J'ai plusieurs raisons d'aimer les colloques, et elles sont toutes bonnes.

D'abord, un colloque, c'est loin.

Bon, pas forcément les Bahamas non plus, mais loin. Inaccessible même. Ce qui fait que tu dois arriver la veille du début, et même des fois partir le lendemain de la fin. Donc si tu calcules bien tu commences et tu termines par une Bonne Grosse Nuit à roupiller à l'hôtel, aux frais de la Péqueresse! C'est pas joli ça?…
Oui, il arrive que ça ne soit pas aux frais de la Péqueresse. On m'a raconté que des scientifiques étaient financés par leur labos pour aller assister à des colloques, mais j'ai pas voulu le croire! Nous, on a de la moralité: les labos, en Lettres, ils ne nous paient pas le roupillon. Ils paient le roupillon de ceux qu'on invite. C'est plus élégant, je trouve. A charge de revanche. Un colloque, ça se rend.
Donc, si tu as de la chance, la Bonne Grosse Nuit d'hôtel du début, et la Bonne Grosse Nuit d'hôtel de la fin, elles te sont financées par la fac qui t'invite. Autant en profiter à fond. Moi, j'essaie d'arriver vers les 5 heures de l'après-midi, histoire de jouir convenablement de toutes les commodités. Et je ne dis rien du trajet en train: avec un peu de chance là encore, tu fais le trajet en Corail, ça te met dans les 4 ou 5 heures de chemin de fer, pain bénit pour l'hypertrichose!

Dit comme ça, évidemment, ça risquerait d'attirer vers la profession des hordes de va-nu-pied… Mais si on regarde dans le détail, tu dois quand même un peu payer de ta personne.

Le tarif de base, c'est de faire une "communication". Avec un peu de chance, ou un peu de métier, tu choisis les colloques stakhanovistes, ceux où la causerie de chacun ne dure pas plus de vingt minutes. En tirant bien, tu peux descendre à 15 et suggérer des commentaires (dans ce cas, c'est pas mal d'avoir distribué discrètement quelques questions à des copains répartis dans la salle, ça te permet de briller tout en prenant un air pénétré juste avant de répondre). L'ennuyeux dans l'affaire, c'est que ça ne s'improvise pas totalement. C'est même un peu longuet, comme affaire, si on y réfléchit bien.



(à suivre)

dimanche 8 mars 2009

L'Effet Néant

© Reiser, Fous d'amour, Reiser et Editions Albin Michel S.A., 1984

(La Grosse Feignasse, fidèle à elle-même, a eu la flemme de demander l'autorisation aux ayants-droit, mais elle s'empressera de retirer cette planche s'ils lui en font la demande.)


Aujourd'hui, journée de la femme!

Pour fêter ça, je vais punaiser au-dessus de ma baignoire ce mot doux de Jean-François Dhainaut, président de l'AERES, qui dans son infinie délicatesse a compris que Nous-Les-Femmes, ce qu'on voulait, c'était surtout pas de se rajouter des tâches suantes d'évaluation de la recherche, mais bien de siroter du curaçao sur la terrasse en attendant que Milou revienne de son comité d'éva:

“les femmes en plus de leur métier doivent s’occuper de la maison, des enfants. Elles n’ont donc pas de temps à consacrer à l’Aeres

Vraiment, JF, merci, mille mercis.
(que ferait-on, Nous-Les-Femmes, sans des hommes comme vous?)

samedi 7 mars 2009

Travailler plus pour gagner plus, vraiment?

Eh, faut pas rêver, la feignasse, elle va pas pondre un billet par jour. Mais comme il lui arrive de lire du bout des orteils, elle trouve parfois des trucs intéressants, du style:

"La notion même de travail est en train de pourrir, avec ce qu’elle impliquait de conquérant et de productif : dans ce monde déjà tourné et retourné de fond en comble, le travail ne s’attaque presque plus nulle part à la nature brute, mais uniquement au travail humain précédent. […] L’instinct sent qu’une perversion particulièrement maligne, et qui tôt ou tard, obscurément, sera punie, s’attache à cette rage de défaire pour refaire, qui tourne à vide et ne moud rien.
Je rêve quelquefois d’un nouveau Sermon sur la montagne qui ferait briller aux yeux du monde, avant qu’il soit trop tard, l’éminente dignité non plus des pauvres, qui s’éloignent, mais des Paresseux. Tant de mains pour transformer ce monde, et si peu de regards pour le contempler !" (Julien Gracq, Lettrines)

C'est pas beau, ça?

vendredi 6 mars 2009

La Grosse Feignasse part en vacances (partie III)




C’est là que je commets l’erreur, LA faute de débutante, je devais pourtant savoir — un geste inconsidéré, guidé sans doute par la curiosité de vérifier si on ne me propose pas de nouveaux tests de lotion calmante pour la peau du dessous du genou (j’ai participé à un test pharmaceutique, j’ai bien conscience de faire avancer la science en prêtant mon corps) : je relève ma messagerie. Et là, tombe en silence une rafale assassine de mails en provenance de tous ces affreux tire-au-flanc déjà partis, eux, en pause pédagogique : le doyen qui me demande si j’ai bien pensé au bilan du programme Réussite à la Faculté que nous devons remettre à la rentrée (ben non, tiens, je n’y avais pas pensé, mais ça tombe pile-poil, la valise a une poche extérieure, j’y glisse le dossier) ; la bonne copine qui me remercie avec effusion d’avoir accepté (j’ai fait ça, moi ?…) de lire la première partie de sa thèse parce que là, vraiment, elle ne sait plus quoi en penser, et grâce à moi elle peut partir en vacances l’esprit tranquille (ben tiens, et la partie de thèse à télécharger, 120 pages !), et encore merci, smack smack ; le collègue qui me rappelle que dans le cours que nous avons monté ensemble, c’est mon tour d’assurer trois séances, il serait donc bien que je poste sur l’environnement numérique de travail mon planning et ma bibliographie, et que je lui envoie par la même occasion mes suggestions pour les évaluations finales, afin qu’il en assure la coordination; la responsable de acquisitions de la BU qui m’annonce que pour les prochaines commandes la date limite est le premier mars, à cause du changement de logiciel de gestion, et que je dois par conséquent dresser au plus vite la liste des ouvrages que je souhaite faire acquérir pour la prochaine année académique ; et enfin pas moins de dix-sept étudiants qui me demandent : si j’accepte qu’il m’envoient leur dossier par mail vu qu’ils n’ont pas pu assister à la dernière séance parce qu’ils avaient la grippe (mais sans attendre ma réponse, ils joignent ledit dossier) / si je peux les recevoir parce qu’ils aimeraient changer de groupe de TD pour des raisons qu’ils ne peuvent vraiment pas exposer par courrier / si je peux les recevoir parce qu’ils aimeraient changer de filière pour des raisons qu’ils ne peuvent vraiment pas exposer par courrier / si je peux les recevoir parce qu’ils aimeraient changer de master pour des raisons qu’ils n’ont vraiment pas envie d’exposer par courrier.


Les bras m’en tombent. La machine s’emballe, télécharge des pièces jointes, me demande où archiver les documents. Ma valise me scie le bras (mais pourquoi est-ce que je l’ai encore à la main, elle ?), je la lâche brutalement, oubliant qu’il y a deux bouquins dedans. Elle me broie le pied. Je m’assieds en gémissant, d’une main malhabile attrape le tube de crème Pieds sensibles. Mon Dieu, faites que la pause soit terminée, qu’on reprenne enfin le rythme assoupi des semaines de travail…


jeudi 5 mars 2009

La Grosse Feignasse part en vacances (partie II)




Un dernier tour dans l’appartement pour m’assurer que je n’ai oublié ni les sachets de tisane Nuit tranquille ni les boules quiès, et voilà que mon regard tombe sur une grosse enveloppe arrivée au courrier en début de semaine, et abandonnée à peine ouverte sur le guéridon de l’entrée. Damned ! le bouquin que je dois commenter pour la Revue de Critique Littéraire ! Vite, un coup d’œil au courrier glissé dedans : “en vous remerciant… votre accord… très honorés… voudrez bien… 5000 signes … dernier délai”. Dernier délai, mais ça veut dire qu’il faut que je le fasse cette semaine de VACANCES ? Il reste un nano-interstice entre les copies de première année et le bord de la valise, j’y fourre le truc, ils se sont pas gênés d’accepter cette thèse à peine réduite, 500 pages, de mon temps…

Il est temps que je parte, mon humeur de vacancière en viendrait à se ternir. Quelle poisse, la valise est trop lourde maintenant, et là ça fait une bosse, je vais me faire mal en la traînant, il vaut mieux que je prenne le temps de la refaire. La mort dans l’âme, je retire un polar (sur la plage, je lirai la thèse, tiens), je replie soigneusement le pyjama en shashi, j’arrange le tout. En allant reposer le polar sur le bureau, mon regard tombe sur le manuel publié par cette fille qui veut entrer dans l’équipe de recherches que je coordonne cette année (c’est une coordination tournante, c’est malheureusement mon tour). Zut : j’avais dit que je lui ferais ma réponse une fois que j’aurais lu ce qu’elle a écrit — c’est vrai, ça : on ne va pas prendre le risque de recruter une bosseuse, une stakhanoviste de la note de bas de page, elle va nous plomber notre moyenne, il faut donc que je m’assure au préalable que c’est pas une de ces fourmis laborieuses qui mettrait une ambiance épouvantable dans l’équipe. Je pose son manuel contre la trousse de toilette, et tant que j’y suis j’hésite : puisque j’en suis à alléger le bagage, crème pour les mains, ça peut faire aussi les pieds, non ? Au fond, les pieds, ce sont d’anciennes mains, si on y réfléchit bien (oui, à l’échelle géologique plutôt, pas à l’échelle cosmétique).

J’en suis là de mes tergiversations quand un épouvantable souvenir me traverse l’esprit : est-ce que je n’aurais pas, totalement imprudemment, ou anesthésiée ce jour-là par l’abus de tisane Nuit tranquille (j’en prends aussi le matin, avant les réunions de labo, pour me mettre au diapason), accepté de participer à cette journée d’études au mois de mars ? Le temps de fouiller dans les papiers accumulés sur le bureau (les mains pleines de crème pour les pieds, histoire de vérifier si je fais bien de prendre la crème Spécial mains sèches pour les pieds aussi, ou si je ne devrais pas plutôt prendre la crème Pieds sensibles qui ferait aussi les mains), l’abominable vérité apparaît dans toute sa cruauté : oui, j’ai accepté de participer à cette damnée journée sur Joyce et la métempsychose. Et mars, si on y réfléchit bien, c’est quasi demain. Là, il va falloir faire un choix drastique : je retire de ma valise les trois flacons de lotion “repos du cheveu”, “repos du cuir chevelu” et “masque velours apaisant” et je les remplace par mon ordinateur portable: mon dossier «Joyce-métempsychose » doit être dedans, pas le temps de vérifier.

En bougeant l’ordinateur de la place qu’il occupait sur mon bureau, j’exhume deux rapports de stage des étudiants de master. Ah, je les avais complètement oubliés, ceux-là ! Bon, foutu pour foutu, et puisque le soin capillaire apaisant-reconstituant reste à la maison, je cale les rapports de stage entre le portable et la thèse, et je boucle la valise. Là, c’est la dernière fois que je touche à ce bagage, je pars en vacances, un point c’est tout !

mercredi 4 mars 2009

La Grosse Feignasse part en vacances (partie I)



Ouf, enfin ce soir je suis en vacances. Enfin, il faut dire “pause pédagogique”, parce que “vacances”, ça ferait trop congés payés — alors que nous, rien à voir, c’est une pause, certes, mais elle est avant tout “pédagogique” : en quelque sorte, c’est un repos professionnalisé. Quasi sur prescription médicale, quoi.

Question hypertrichose, ça tombe vraiment bien, ce repos professionnel, parce que faire semblant de travailler m’exténue. Alors que là, pendant une semaine, plus besoin de feindre : c’est une injonction de l’Université, “ne faites rien”, far-nien-te, la totale glande votée en conseil d’administration ! Je vais en profiter à fond.

Mon programme est déjà calé (j’y songe à vrai dire depuis la précédente pause pédagogique) : le matin, levée tard, puis ne rien faire. L’après-midi, sieste, suivie d’un repos. A huit heures, coucouche-panier. Soigner mon hypertrichose. Rien d’autre. Que dalle. Le vide absolu.

J’ai juste glissé dans ma valise, entre pyjama et réveil (et puis non, le réveil, je le laisse), le dernier bouquin de mon ancien directeur de recherches, il est sorti la semaine dernière, je me régale à l’idée de le lire en me limant les ongles de pied, à peine 400 pages, il est en petite forme cette fois-ci. Voilà, une semaine à rien bouiner, avec juste un seul pauvre bouquin à feuilleter, l’extase.

Au moment de partir, je me souviens que les étudiants de première année m’ont rendu les travaux que je leur avais demandés, et qu’ils les attendent très probablement pour le jour de la rentrée (corrigés, il va sans dire) — l’étudiant de première année est une feignasse inaboutie: il tend imperturbablement vers l’inertie béate, s’y abandonnerait volontiers, mais par sursauts velléitaires il lui arrive encore de se libérer de longs jets de pensée molle exprimée dans de longues phrases informes, qu’il nous faut donc corriger si nous voulons faire advenir à la conscience cette feignasse qui s’ignore en eux. Je glisse donc le paquet de 50 dossiers critiques sous le bouquin du ponte, en prenant garde à ne pas froisser mon pyjama en shashi mercerisé.

mardi 3 mars 2009

Cauchemar du 22 février: cette fois, c'est peut-être vraiment la fin

Et c'est là qu'intervient le troisième bénéfice de ma nouvelle acquisition. En m'aidant à définir un nouveau champ de recherches plus conforme à l'esprit du temps, elle m'a ouvert des horizons. C'est génial : avec ce truc, je peux écrire des tonnes d'articles à toute vitesse en ne travaillant quasiment pas, puisque l'essentiel du boulot consiste à répéter ce que tout le monde sait déjà. Pendant que je tape au kilomètre des pages et des pages d'articles aussitôt expédiés aux quatre coins de la e-République des lettres, la machine me répète en permanence « publish or perish ! publish or perish ! » ; et ce qui est fabuleux, c'est que j'ai même retrouvé un vieux spray Narta qui me permet de faire tout ça sans transpirer. Je suis prise de fièvre, je rédige sans arrêt, pas une seconde pour réfléchir.

En huit jours, je suis citée partout dans Google, des blogs reprennent mes articles, on va peut-être même me traduire en anglais. Je suis devenue en un rien de temps spécialiste de « l'influence de l'univers de Harry Potter sur les chansons de Mireille Mathieu et les sketches de Jean-Marie Bigard, étude comparée des valeurs essentielles véhiculées dans ces trois oeuvres » ; il est même question que je prononce une intervention de 12 minutes dans un colloque international sur les figures modernes de la culture, l'été prochain, à Dubaï. Je suis une chercheuse bling-bling, le top de la feignasse, la rolls de l'hypertrichose. Maintenant, même avec un masque au concombre, j'aurais l'air d'être en train de penser ; c'est sublime ; je crois que je vais aller acheter des substituts de repas.

Et puis mes collègues, à qui j'ai montré mes dernières productions, m'ont juste fait cette remarque : «tu vas être recrutée pour écrire les discours présidentiels ». J'ai d'abord pensé que c'était parce qu'ils étaient jaloux, et puis j'ai réfléchi. Des heures d'activité fébrile, creuse et hypnotique ne m'ont pas encore fait tout à fait passer le goût de la sieste, l'amour du bouquin langoureusement médité, à plat ventre sur une peau de bête, devant la grande cheminée du salon. Je me suis frotté les yeux, et j'ai vu l'état lamentable de mon bureau : hyper-rangé, rien ne dépassait, il n'y avait pas même une pile de livres au pied de mon fauteuil pour menacer de s'écrouler sur les derniers brouillons d'une conférence urgente.

Et là je me suis dit : ma vieille, tu déconnes. Ton hypertrichose palmaire est précieuse, tu dois la cultiver. Où sont les lenteurs d'antan ? Les idées ruminées, mains croisées sur le giron, les yeux perdus dans les reflets de l'écran ? Les introductions vingt fois réécrites, jamais satisfaisantes, entre deux théières de Pétales de Printemps ? Les projets de recherche échafaudés dans un demi-sommeil, orteils en éventail pour que le durcisseur sèche, pendant que le soleil fait des taches claires dans les moulures du plafond ?


Prise d'une mélancolie souriante, redevenue moi-même, j'ai rapporté ma super machine chez le vendeur. Il a tenté de me démontrer qu'il n'avait pas le droit de la reprendre, mais je lui ai opposé une inertie souriante durcie au feu des conseils d'UFR. Il a fini par soupirer exactement comme la SurMachine quand je tapais un imparfait du subjonctif, et il m'a laissé emmener un vieil ordi d'occase, qui souffle comme un hippopotame. Mon banquier m'a lâché les basques, j'ai pu réinvestir dans une trousse de survie (cinq flacons de vernis à ongle, un peu de poudre, du blush, un soin contour des yeux, une verroterie pour les oreilles, des galets régénérants pour les bains chauds), et je me suis même offert une folie (une chouette édition de Rabelais et deux gros pots de glace au chocolat blanc et aux brisures de cookies). Je suis rentrée chez moi, j'ai fait une bonne sieste sur mon ordi tout pas neuf, suivie d'une «bathroom session ». Qu'est-ce que c'est chouette, dites donc, Alain Souchon, avec la réverbération de la salle de bain : « la boîte a coulé / mais pouce / on va se la couler / douce. / La pilule, on va se la dorer / J'ai le parachute, chut, doré ».




lundi 2 mars 2009

Cauchemar du 22 février: ça se poursuit...

Quand même, il a bien fallu démarrer la bête. J'ai ouvert le capot, ça rutilait pis qu'au Fouquet's, ça bourdonnait d'un air suffisant comme un TGV nain. Les tempes bourdonnantes, j'ai créé un fichier et je me suis mise à rédiger, la gorge sèche, un compte-rendu de réunion sur les nouvelles stratégies de l'innovation pédagogique pour contrer les conduites d'échec des étudiants multi-redoublants en premier cycle. J'avais le sentiment que la machine, tout en faisant mine d'afficher docilement les mots que je tapais précautionneusement sur le clavier tout neuf, m'observait en douce. J'avais raison. Soudain, elle interrompit ma frappe d'un gracieux « bling-bling » assourdi, et le mot que je venais de saisir brilla fugitivement. Je le contemplai, fascinée. C'était le mot « innovation ». Il redevint doucement noir et familier.

Le coeur battant, craignant de comprendre, je tapais « performance » : « bling-bling ». Puis « évaluation » : « bling-bling » derechef. « Réforme » : pareil. Au fond, ça ressemblait un peu au virus qui avait peut-être tué mon vieux compagnon de route crasseux et poussif, sauf que ce virus-là n'en était pas un. C'est intégré, exprès. Ma nouvelle machine possédait une fonction remarquable: elle m'aidait à bien penser. J'ai remercié in petto le vendeur pour sa clairvoyance : ça, les bénéfices de mon nouvel achat, je ne pouvais effectivement pas les ignorer. Je me suis amusée pendant des heures à chercher les suites de mots qui déclenchaient le maximum de jolis « bling-bling » de félicitations. Un coup de génie de la recherche, ce truc. L'alliance de Pavlov et de Steve Jobs.

Mais ça n'en est pas resté là. Hélas, quelques jours plus tard, j'ai dû accepter de prendre quarante-huit heures de retard dans mon programme « yoghourts brassés et graines germées » pour refaire tout mon planning d'enseignement du semestre. Parce que, si la SurMachine me félicitait doucement lorsque je lui soumettais les « bons mots », elle avait des réactions peu équivoques quand je tâchais d'avancer la préparation de mes cours.

Par exemple, si je commence à citer la Princesse de Clèves, elle aboie « imbécile ! » d'une voix neuilléene. Si je me mets à construire une argumentation, ça devient « ça m'emmerde ! oooh, que ça m'emmerde ! ». Si j'essaye de réserver des places à la Comédie Française, le logiciel plante, et une horrible voix geignarde répète « casse-toi, pov'con ! casse-toi, pov'con! » jusqu'à ce que je redémarre (là, j'avoue que j'ai été bluffée : je ne savais pas que cette phrase était libre de droits). J'ai bien tâché de contourner les interventions permanentes de cette mécanique ultra-sophistiquée, mais il faut avouer que ça devenait usant, sans compter que je n'avais plus mes cosmétiques habituels pour m'aider à m'évader de ce monde cruel dans une orgie de sels de bains et d'onguents coûteux.

Alors, j'ai cédé : j'ai tourné le dos aux insultes et, sublimant dans le travail (ce mot !) mon addiction aux acides gras poly-insaturés et aux divers usages de la gomme de karité, j'ai courageusement entrepris de laisser la machine me guider pour élaborer un nouveau projet de recherches, entièrement innovant, réformé de fond en comble, performant en diable. Je tâtonnais, et la bécane me gourmandait en sourdine, ou me cajolait gentiment, m'indiquant par l'alternance de l'aigre et du sucré les voies qu'il fallait que j'emprunte et celles que je devais définitivement délaisser.

Au bout d'une demi-journée de pseudo-travail, même pas décoiffée, je pus enfin déterminer les trois axes de recherche que la programmation de la SurMachine m'indiquait comme potentiellement porteurs étant données mes spécialités : j'avais en effet atteint les plus grandes concentrations de délicats « bling-bling » en analysant un texte vraiment « porteur de valeurs » et dont « la vertu éducative est avérée » (Harry Potter), puis en ébauchant une lecture sémiotique de l'humour tout en finesse de Jean-Marie Bigard (« la salope sauvage, tu la vois tourner du cul au loin, mais tu la tires jamais »), et enfin en abordant la vision du monde développée dans les chansons de Mireille Mathieu (« Un monde joli est un monde / Où l'on vit sans peur ») et de Carla Bruni (« tout le monde a cherché quelque chose un jour / mais tout le monde ne l'a pas trouvé »).