lundi 29 juin 2009

LGF surveille un examen: Le Retour (part Four)

Quand tout le monde est sorti, Machin, qui est un gars méthodique, s'aperçoit qu'au total tous les étudiants de grec ont dû se rajouter à la main sur une liste d'émargement qui compte pourtant un bon gros paquet de noms. Bizarre, ça. Il fronce les sourcils, il remue des papiers, il prend l'air songeur, bref, il manifeste l'intention évidente d'éclaircir la question. Je me chuchote in petto qu'à mon avis éclaircir avec juste son cerveau le méga barnum de cette fin d'année c'est à peu près aussi réaliste que d'essayer de traduire Démosthène après une cuite à la vodka, quand je vois soudain Machin marquer l'arrêt façon braque de Weimar devant un terrier. Il a une enveloppe non décachetée entre les mains et les veines de son front palpitent doucement. Je m'approche, intriguée, mais je ne saisis pas encore le sens du regard un peu fixe de Machin. Il décachète mécaniquement l'enveloppe, sort un sujet, compare le sujet sorti avec le sujet sur lequel ont composé les étudiants partis, compare la liste d'émargement vierge à celle sur laquelle ils ont rajouté leur nom… et je comprends. Oh merde ! Ils ont composé sur un mauvais sujet ! Ils avaient "grec niveau 1 bis" et on leur a distribué le sujet "grec niveau 1", à peu près quarante fois plus facile. Et ils n'ont rien dit, les bougres ! Faut dire que le nom du prof est le même, le nom du cours aussi, le nom du niveau aussi, il faut juste savoir que les étudiants qui font "droit privé" sont en niveau 1 bis alors que "droit public" et "droit des affaires", c'est niveau 1. Limpide, surtout quand on a 8 sujets à distribuer en même temps, à des étudiants dont la moitié se plaignent bruyamment de ne pas avoir été avertis de la tenue de l'examen, tandis que l'autre moitié est incapable de dire quel sujet ils souhaitent vu qu'ils n'ont souvenir ni du nom du prof, ni de l'intitulé d'un cours auquel ils ne sont jamais allés de l'année. Machin attrape une feuille de brouillon (rose, pas le choix, et puis c'est raccord avec la grotesquerie surréaliste de l'ensemble de la séquence) et s'assied à une table vacante avec une tronche à faire cailler du lait frais. Il étale ses guibolles, dégaine son Reynolds feutre à bille noir écriture souple, pousse un soupir de bûcheron canadien, et entreprend de se fendre d'une belle petite bafouille pour expliquer au prof de grec pourquoi toutes les copies qu'il va trouver dans son enveloppe sont outrageusement bien réussies, et pourquoi en revanche tous les étudiants ont émargé sur une autre liste que la sienne… Pendant ce temps-là, partagée entre le fou-rire et l'explosion de colère, je fait mine de veiller sur le labeur des autres, tâche pas totalement exténuante dans la mesure où, au bout d'une heure, il ne reste plus que quatre étudiants dans la salle.

Arrivent les sept heures du soir, fin officielle de l'épreuve. Il ne reste plus dans la salle aux vitres embuées qu'un unique étudiant, qui relit sa copie en y ajoutant d'un geste nerveux quelques corrections de dernière minute. Avec Machin, on a libéré la collègue germaniste qui avait déjà raté deux trains pour rentrer dans ses pénates, et je remballe mécaniquement brouillons, sujets, listes d'émargement et copies inutilisées en surveillant le retardataire du coin de l'oeil, vaguement impressionnée par le sérieux du mec qui utilise posément l'intégralité du temps qui lui est imparti, drôle de vigie dans l'océan de bouillasse. Pendant ce temps, Machin achève de rédiger une autre lettre, pour expliquer à un autre prof que que les copies de son paquet viennent d'étudiants qui ont explicitement réclamé son sujet (et qui donc connaissaient son nom, probablement pour avoir assisté à une de ses séances, aussi incongru que ça puisse paraître) mais dont les noms figurent en fait sur la liste d'émargement d'un autre prof dont, à l'inverse, personne n'a réclamé le sujet. Une affaire presque banale. Comme il paraphe sa bafouille ubuesque d'une signature rageuse, l'ultime étudiant se lève, range ses affaires dans son sac, étire son interminable carcasse dégingandée, et s'approche de nous en souriant, sa copie à la main. Il émarge, nous salue d'un hochement de tête dans lequel je devine une once de compassion, et quitte la salle pour gagner des endroits ombragés où la bière est fraîche et l'existence, sans nul doute, plus raisonnable qu'entre nos murs. Nous voilà seuls, épreuve finie, calvaire terminé.

C'est alors que Machin, qui tient toujours à la main la copie que le grand escogriffe lui a tendue, éclate d'un rire hystérique. Je lui prends la copie des mains pendant qu'il s'affale sur le bureau qu'il martèle du poing en pleurant. Et je comprends, en survolant la copie soigneusement rédigée d'une grande écriture souple, que l'étudiant a traité sans broncher un sujet sur "les images de l'homosexualité dans la Rome impériale" alors qu'il avait manifestement appris par coeur, et donc cherché à recaser de force, sans paraître trouver un seul instant l'exercice incongru, le cours sur les transformations de la métaphysique dans la pensée allemande après Hegel. On est partis en courant, avec Machin, et on ne s'est arrêtés de courir qu'une fois arrivés dans la gargote incroyable juchée derrière la fac sur un remblai, où l'on s'est proprement finis au picon-bière jusqu'à la nuit.

Les examens, c'est crevant, je trouve.

dimanche 28 juin 2009

TLF: Une Université au crépuscule / Un pays à l'aube

Amérique, fin de la Première Guerre Mondiale.
L'agent Danny Coughlin, issu d'une famille irlandaise, est le fils aîné d'un légendaire capitaine de police de Boston, Thomas Coughlin. La scène se passe lors d'un repas de famille, en présence d'Eddie McKenna, meilleur ami de Thomas Coughlin depuis l'adolescence.

"Eddie McKenna supervisait les Forces spéciales, mobilisées lors des défilés, des visites de dignitaires, des mouvements de grève, des émeutes et des troubles civils en tout genre. Sous sa direction, la brigade était devenue à la fois plus puissante et nébuleuse, une sorte de police à l'intérieur de la police qui maîtrisait la criminalité, disait-on, « en allant à la source avant que la source aille là où il faut pas ». [...] Il regarda Danny de l'autre côté de la table en pointant sa fourchette vers lui.
- T'as appris ce qui était arrivé hier pendant que vous étiez occupés à faire Dieu sait trop quoi dans le port ?
Danny remua prudemment la tête en signe de dénégation. Il avait passé la matinée cloué au lit par la gueule de bois qu'il avait récoltée au coude à coude avec Steve Coyle la veille au soir. Nora apporta le dernier plat, des haricots verts à l'ail encore fumants.
- Ils se sont mis en grève, déclara Eddie McKenna.
- Qui ? demanda Danny, qui n'avait pas encore l'esprit très clair.
- Les Sox et les Cubs, répondit Connor. On y était. Joe et moi.
- Je les enverrais bien se battre contre le Kaiser, moi, décréta Eddie McKenna. Toute cette bande de tire-au-flanc et de bolcheviks !
Connor éclata de rire.
- T'aurais dû voir ça, Dan ! Les spectateurs se sont déchaînés...
Danny sourit, essayant d'imaginer la scène.
- Tu me fais pas marcher ?
- Non, c'est vrai ! renchérit Joe d'un ton tout excité. Les joueurs étaient remontés contre les propriétaires des équipes, alors ils vouaient pas sortir sur le terrain et les gens se sont mis à balancer des trucs et à crier.
[...]
Eddie McKenna se tapota la panse en reniflant.
- Au moins, j'espère que ces rouges perdront les médailles remportées aux Series ! Moi, le simple fait de leur donner des « médailles » juste pour avoir participé à un jeu me rend malade. Mais bon, pas de problème. De toute façon, le base-ball est mort. Quand je pense à ces feignasses qui n'ont pas les tripes d'aller se battre pour leur pays... Et Ruth est le pire de tous. Tu sais qu'il veut frapper, maintenant. Dan ? Je l'ai lu dans le journal ce matin - il ne veut plus lancer, il dit qu'il va faire grève si on ne l'augmente pas et si on l'oblige à rester sur le monticule. Tu ne trouves pas ça incroyable ?
- Ah, dans quel monde on vit ! s'exclama Thomas Coughlin, qui prit une gorgée de bordeaux.
- Et qu'est-ce qu'ils réclamaient? demanda Danny après avoir jeté un coup d'oeil aux hommes autour de lui.
- Mmmm ?
- Ces joueurs. ils avaient bien des revendications, non ? Ils n'ont pas fait grève juste pour le plaisir, j'imagine.
- Ils ont dit que les propriétaires avaient changé leur accord, intervint Joe. (Danny le vit froncer les sourcils en essayant de se remémorer les détails. Joe, passionné de sport, était certainement la source d'information la plus fiable autour de cette table sur tout ce qui touchait au base-ball.) Du coup, les joueurs ont pas eu l'argent qu'on leur avait promis et que toutes les équipes ont toujours eu pendant les Series. Alors ils ont fait grève.
Il haussa les épaules comme s'il estimait cette réaction parfaitement logique puis entreprit de découper sa dinde.
- Je suis d'accord avec Eddie, déclara le capitaine Coughlin. Le base-ball est mort. Et il ne ressuscitera pas.
- Oh si ! lui assura Joe d'une voix vibrante d'émotion. Tu verras.
- Le problème dans ce pays, conclut son père en choisissant dans son arsenal de sourires le modèle désabusé, c’est qu'on estime normal que tout le monde veuille du travail et décide de se mettre en grève quand ça devient trop fatigant."

© Dennis Lehane, Un Pays à l'aube, Editions Payot / Rivages, 2009, p. 98-101

vendredi 26 juin 2009

LGF surveille un examen: Le Retour (part Three)

C'est ce moment qu'a choisi la petite germaniste pour nous glisser à l'oreille d'un air gêné : "Donc, on ne leur dit pas que l'épreuve, en fait, elle n'est pas valide ?…" Hein ?! Machin sursaute, je frémis, la spécialiste de Schiller poursuit sur le même ton : "Ben oui, en fait je l'ai appris juste là en allant chercher les sujets. Vu que les étudiants ont été prévenus trop tard, certains même pas prévenus, eh bien en fait cette épreuve n'est pas valide, enfin si elle est valide mais ceux qui auraient manqué cette épreuve, on leur en fait une autre dans quinze jours, alors au fond ceux-là, s'ils ne se sentent pas prêts, on pourrait peut-être leur dire de pas composer ce soir, et de revenir dans quinze jours ?…" Machin éructe : "Mais enfin, dans quinze jours, c'est l'épreuve réservée aux étudiants de la fac de Lettres, et celle-ci est pour les étudiants de la fac de droit et de la fac de médecine, qui doivent avoir tout bouclé mi-juin, le président avait tout de même été formel ?" La germaniste reprend, de plus en plus gênée : "Euh... en fait, non, dans quinze jours ce sera aussi pour ceux de médecine et de droit, enfin, ceux qui auront manqué l'épreuve aujourd'hui. Ceux de la fac de Lettres, en fait, ce sera en septembre…"


Machin calcule dans sa tête, je le vois. Au bout d'un instant on comprend qu'il calcule combien de sujets d'examen il a déjà pondu pour ce cours de PIPOTI : un pour l'examen de première-session-normale, un autre pour l'examen-de-première-session-décalé (à cause de trois étudiants en stage dans un hôpital psychiatrique le jour de la première-session-normale, date de stage fixée depuis des mois, bien avant le chamboulement du calendrier d'examen, ah oui, désolé, il faut organiser une première session "bis", on est confus confus confus), un troisième pour l'examen de deuxième session pour les juristes mais sans les prévenir, un quatrième pour les juristes qui auraient raté la session de rattrapage, un cinquième pour la session de rattrapage des littéraires… On se dit que ce qui serait bien, c'est de faire une sorte de "permanence" d'examens. On en ferait un toutes les semaines. Le jeudi, de 5 à 7. Viendrait qui veut, quand il se sentirait prêt, qu'il n'aurait pas examen de grec ou squash à la même heure. Une sorte de stabulation libre des examens, quoi. C'est vrai, pourquoi on se fait chier avec des convocations, des plannings affichés trois semaines avant, toutes sortes de rigidités qui empêchent nos cursus de se déployer librement dans le vaste espace libéral de l'économie de la connaissance ?… Allez, prenons les paris : à partir de la rentrée, une douzaine de circulaires vont nous suggérer de valider les enseignements "au fil de l'eau", au fur et à mesure que les étudiants se sentiront prêts ils iront se présenter à l'examen de cette semaine-là, hop là, une bonne chose de faite, ça leur laissera du temps pour se mettre à la paléographie des langues ougaritiques ou au macramé sur boyaux de ragondin, la fac est là pour vous rendre libres, bande de larves.

C'est pas tout, ça : pendant que Machin roulait des yeux dans les orbites, un gaillard s'est mis à agiter la main. Je m'avance avec un paquet de feuilles mais non, il n'en veut pas une de plus, il veut juste savoir s'il a le droit de partir. Je consulte Machin du regard, Machin consulte sa montre, on fait un rapide calcul (qu'est-ce qui est inscrit dans la procédure normale d'examen, et qu'on pourrait soumettre à une légère torsion à la baisse pour s'adapter à la situation présente, hmm ?) et on décide en même temps que oui, vu le climat, il peut se barrer. Le gars plie bagages, nous rend une copie d'exercices de grec à peine griffonnée, Machin lui fait bien replier le coin anonymeur pendant que je cherche dans laquelle des 8 enveloppes de sujets je vais trouver la liste d'émargement correspondant au groupe du jeune candidat. Ça y est, je retrouve l'enveloppe avec le sujet sur lequel il a composé, j'en extirpe une liasse agrafée de 10 à 12 pages qui a l'air d'une liste de noms, et voilà notre impétrant qui cherche son nom. Il balaie du regard les 12 feuillets une fois, deux fois, puis nous regarde d'un air de chien battu. Comme d'habitude, un peu accablés, on lui dit de rajouter en bas à la main son nom, sa section d'origine, et de signer, sans oublier son numéro d'étudiant. Le gars finit par sortir, d'autres étudiants assez peu inspirés par les exercices du PIPOTI de grec se lèvent, rendent leur copie, cherchent leur nom, tiens, ils ne le trouvent pas non plus, bon, tant pis, ils se rajoutent à la main…

(à suivre...)

jeudi 25 juin 2009

LGF surveille un examen: Le Retour (part Two)

C'était sans compter les petits arrangements avec la Grande Machine auxquels se livrent toutes les autres Genevièves sauf la nôtre. Si on se souvient (épisode précédent) que plusieurs étudiants devaient avoir leurs résultats d'année le lendemain de l'examen de PIPOTI, on comprend aisément que l'une ou l'autre des Genevièves diligentes de l'une ou l'autre filière ait pu être tentée d'inventer une note parfaitement farfelue en lieu et place de celle que je m'apprêtais laborieusement à inscrire au fronton d'une copie somptueusement décorée de rouge, sous la lumière jaunâtre de ma lampe de bureau. Eh oui, c'est humain : plutôt que d'attendre un hypothétique mail qui lui livrerait à temps (ou pas) les notes de ce PIPOTI dont elle ignore tout, plutôt que de laisser en stand-by tous les relevés de notes incomplets alors que des hordes d'étudiants l'assaillent quotidiennement pour savoir quand aura lieu la proclamation des résultats, hop, notre Geneviève un peu excédée fignole une petite note de sa composition, mettons un 10, tiens, ça ne mange pas de pain, et elle peut ainsi éditer plus tôt le diplôme dont finalement, tout le monde a bien compris qu'il était désormais la seule et unique finalité des études supérieures.

Eh, oh, ne faites pas les étonnés : franchement, au bout de quatre trois mois de grand soir, on a bien compris que la victoire du front des feignasses était aussi complète que discrète. Dorénavant, on saura qu'une Université ne dispense pas une formation, un enseignement, des savoirs, une culture, de la réflexion, de l'esprit critique, ta ta ta, fini ces sornettes inquantifiables et flottantes, une Université, mon bon monsieur, ça produit des diplômes. Tant que le morceau de papier sort bien carré bien complet bien tamponné au bout de la machine, tout va bien, on est dans les objectifs, les petits gars. Et on a beau dire, fabriquer chaque semestre une pile de papier tamponné avec des notes inventées par Geneviève, ça nous prendra moins d'énergie, moins de temps et moins de neurones que de bâtir un cours d'agrégation, animer un séminaire de master, ou concevoir 24h de formation méthodologique pour des premières années. Vous voulez qu'on rationalise ? On en prend le chemin, voyez...

Mais revenons à nos moutons - enfin, à nos étudiants. Que s'est-il passé lorsque les vraies notes attribuées par le vrai prof de PIPOTI sont arrivées dans les secrétariats où tout plein de Genevièves fatiguées de quatre mois de bronx permanent avaient déjà inventé d'autres notes, factices, pour remplir les relevés ? Et même, plus précisément : que s'est-il passé lorsque les vraies notes étaient plus basses que les fausses ? Eh bien il se trouve que certaines Genevièves ont haussé les épaules et omis de préciser aux quelques dizaines d'étudiants en question que, euh, bon, finalement, tout compte fait, ils avaient eu une sale note, et qu'il fallait qu'ils aillent passer le fameux rattrapage. Conséquence imparable : lesdits étudiants, pas au courant, ne se sont pas déplacés, et lorsqu'avec Machin (eh oui, Machin s'y recollait encore avec moi ce jeudi) nous sommes arrivés dans la salle du rattrapage, au lieu des cent trente-sept étudiants théoriquement convoqués ce jour-là, ils étaient exactement vingt.

Vingt, et pas contents, d'ailleurs. Très mécontents que l'épreuve de rattrapage ait lieu moins de quinze jours après l'épreuve initiale ; très mécontents de n'avoir appris leur mauvaise note (ils n'ont pas tous de splendides et maternantes Genevièves…) qu'à l'usure et en faisant le siège de leur Geneviève, voire de la boîte mail du prof ; très mécontents d'avoir appris par le plus pur hasard la date, le lieu et la salle de l'examen. Certains, la veille. Certains autre, le jour-même. Bref, ils faisaient un peu la gueule, les rattrapables. Faisant fi de leur mécontentement, et forts de l'assurance que donne le sentiment de n'agir qu'entre les bornes sacrées définies par le Code des Examens, Machin et moi (et il y avait aussi un demi-prof de grec et une germaniste : pour vingt candidats, ils avaient mis le paquet…) avons procédé à la laborieuse distribution des copies, du brouillon et enfin des huit sujets différents. Puis petit coup d'œil sur la montre, "vous avez deux heures, silence désormais", air de componction, on se la jouait un peu, avec Machin.

(à suivre...)

mercredi 24 juin 2009

LGF surveille un examen: Le Retour (part One)

Vous vous souvenez de mon examen "twilight zone" de la dernière fois ? Eh ben, jeudi, on a rempilé. Non, pas les chaises ! On a re-surveillé un examen. C'est un truc, ça s'appelle la "deuxième session", et les syndicats étudiants ont inventé ça pour donner une seconde chance à des étudiants qui, ayant raté leur examen la première fois, en mettent en gros coup pendant quelques semaines sur la matière en question afin de réussir brillamment la deuxième fois. C'est un grand pas en avant pour l'égalité des chances, la responsabilisation des étudiants, et l'augmentation tendancielle du taux de réussite aux examens, dont on a désormais bien compris, nous autres feignasses, qu'il serait prépondérant parmi les facteurs pris en compte pour nous allouer nos chiches subventions de fonctionnement annuelles. C'est pour ça que cette session s'appelle aussi "session de rattrapage" : non seulement les étudiants y "rattrapent" leurs sales notes, mais nous autres feignasses y "rattrapons" aussi bien les étudiants eux-mêmes, pour afficher des taux de passage pas trop scandaleusement bas, ouh là là, qu'après on pourrait nous accuser de faire de la sélection, t'es pas bien ou quoi ? La ministre a dit 50% d'une classe d'âge au niveau licence : parole de feignasse, le rattrapage n'a jamais aussi bien porté son nom...

En règle générale, la "deuxième session" est plutôt 1° après la première (non, ne riez pas, nulle évidence n'est superfétatoire dans le grrrrand vortex de l'alma mater), 2° différente de la première (ben oui, on ne va pas demander aux étudiants de composer une seconde fois sur les mêmes sujets, on a tout de même malgré les apparences un reste de sens du ridicule), 3° assez éloignée de la première pour que l'idée même de réviser puisse avoir la moindre consistance. Autrement dit, une fois les examens passés, on donne leur note aux étudiants, et ceux qui n'ont pas eu la moyenne re-bûchent quelques semaines et viennent re-plancher pour essayer de décrocher leur UE, donc leur diplôme. Bon, nous, cette année on a un peu customisé le concept. D'abord, pour que ça soit plus drôle, cette année on n'a pas donné leurs notes aux étudiants, de sorte qu'ils ne savaient pas s'ils avaient loupé, donc s'ils devaient venir à ce examen de rattrapage. Ah on est comme ça, nous autres enseignants-chercheurs : jamais les derniers pour la poilade.

Enfin, si on veut être honnêtes, c'est pas vraiment qu'on n'a pas donné les résultats. Non, au contraire, on les a donnés, et on les a même donnés remarquablement vite, vu les circonstances. Mais voilà : les secrétaires étaient débordées, même un brin à cran si on regarde bien ; et les notes de PIPOTI à redistribuer dans la grande machine à pondre des diplômes, ça les faisait qu'à moitié rire. Elles l'ont fait, pourtant, diligemment, parce que nous, on a une chance du tonnerre : Geneviève & co, elles sont épatantes, diligentes et souriantes. C'est pas tous les département qui ont ça, et nous, on les garde jalousement. Donc Geneviève et ses colocataires du bureau 403A, elles ont versé notre tombereau de notes dans le Grand Entonnoir à ventiler les ECTS, et normalement, au bout du bout des tuyaux qui irriguent l'alma mater, ça devait parvenir à d'autres Genevièves qui auraient serti ces notes de PIPOTI dans de frétillants relevés de notes encore lacunaires, de sorte que tout ça s'allume avec un éclair neuf et annonce d'une petite voix claironnante "diplôme complet !", avant d'ajouter, le cas échéant : "bouh le gros nul !", et hop l'étudiant dûment stigmatisé par voie officielle aurait su qu'il devait se préparer à passer le fameux rattrapage.

(à suivre…)

mardi 23 juin 2009



Frères et soeurs feignasses, notre juste lutte a enfin triomphé !


Avec l'arrivée de Luc Chatel au Ministère de l'Education Nationale, ce sont des semaines et des mois de combat qui finissent enfin par porter leurs fruits !


Pensez donc :


1° d'une part, ce type s'est fait un nom au gouvernement comme secrétaire d'Etat au Tourisme ! Au Tourisme, bon sang ! Ça y est ! L'Education Nationale est enfin rattachée au Tourisme ! Officiellement ! Glo-o-o-o-ria, je n'arrive pas encore à réaliser : c'est officiel, désormais !


2° d'autre part, Luc Chatel a commencé par dix années d'expérience professionnelle, avant d'entrer au gouvernement. Et vous savez où il les a accumulées, ces dix années ? Non ? Chez L'Oréal ! Siiii ! L'Oréal, la vache ! Enfin un type qui va traiter nos vrais problèmes de feignasses ! Enfin quelqu'un de vraiment compétent sur les vrais sujets !


Ah non mais c'est encore mieux que l'élection de Barack Obama, ce truc...



Un petit clin d'oeil au "Bar du vent"


A la bloggeuse du "Bar du vent" (que je remercie pour son gentil hommage), je présente ma propre feignasse encore plus feignasse que moi...
(ah, et si vous êtes allergiques aux poils de chat, allez donc prendre un anti-histaminique approprié ici - âmes sensibles et poétiques comme la mienne, s'abstenir).

dimanche 21 juin 2009

Sacré Gustave!


Bon, hé, ça s'appelle "Paresse et luxure", j'y peux rien, moi!
(bon, y en a qui disent que ça s'appelle "Le Sommeil", mais ce n'est pas mal venu non plus)
(et à votre avis, c'est laquelle, Paresse?)

vendredi 19 juin 2009

LGF surveille un examen (fin)


La sortie fracassante de Cerbère a cependant fait son petit effet parmi nos ouailles, et les étudiants affluent au bureau, brandissant leurs copies étiques (mais bon, sang, où passe tout le papier qu'on leur distribue ? ils le mangent ?!) dont je gère le flux aléatoire avec une maestria longuement affutée au tri bimensuel de mes fiches-cuisine, quand une étudiante ingénue me demande impromptu d'une voix douce : “Pardon, Madame, vous aurez corrigé nos copies pour lundi ?” Comme elle a dit ça avec un adorable sourire, je réprime le ricanement qui s'impose pourtant, et lui réponds posément que non, vraiment pas, vu qu'on est vendredi soir et qu'ils sont 250. Alors, tandis que je m'émerveille in petto de l'amusante naïveté de ces étudiants qui ne se représentent absolument pas le temps délirant que nous allons passer sur leurs oeuvres du simple fait de leur nombre, la charmante petite reprendre d'une voix toujours aussi douce : “Non, parce que nous, normalement, en biologie, c'est lundi les résultats…”

Devant une si évidente mal-comprenance, je garde cependant mon calme, eu égard au sourire et au ton fleuri, si inhabituels sous nos latitudes estudiantines, et j'explique à la gracieuse jeune fille que ce n'est bien entendu pas possible qu'“en biologie” ce soient les résultats lundi, vu que TOUS les étudiants de cette fichue faculté doivent avoir une note de PIPOTI, et que, justement, les épreuves de PIPOTI ont TOUTES lieu ce vendredi soir, jusqu'à 19h30 dans le meilleur des cas — ce qui rend hautement improbable l'hypothèse de paquets de copies miraculeusement corrigés durant le week-end, de notes rendues lundi à l'heure d'ouverture des bureaux, puis dispatchées par de diligentes secrétaires dans les mille et un départements d'appartenance des étudiants concernés, afin que, l'inénarrable logiciel Apogée ayant “mouliné” les notes et produit de savants calculs de coefficients, les procès verbaux correspondant aux 27 diplômes différents soient édités fissa, de sorte que les 27 jurys dûment assermentés se réunissent et soient en mesure de proclamer les résultats définitifs avant le coucher du soleil… Mais elle n'en démord pas, la souriante : “Si, si, nos résultats sont affichés lundi soir, le doyen s'y est engagé, et les rattrapages commencent donc mardi, alors je voulais savoir si votre note…” Elle ne finit pas sa phrase. A ses côtés, un grand maigre au menton rongé par l'acné, les cheveux dressés façon yéti dans Tintin au Tibet, opine aussi gravement que son polo Lacoste contrefait lui en offre le loisir.

Une pensée soudain me glace : et si la jeune souriante avait raison ? Et si le département de biologie avait effectivement prévu de donner les résultats de l'année dès lundi ? Après tout, en biologie, ils n'ont pas été bloqués très longtemps, et la grande majorité des cours s'est tenue normalement. La mécanique cérébrale que j'avais prévu de laisser en repos durant cette surveillance se remet péniblement en branle, cliquetant de tous ses rouages, et les idées parviennent une à une, par ligne de conséquence, jusqu'à ma conscience : si la jeune souriante a raison, alors les jurys de biologie délibèrent lundi. Si les jurys de biologie délibèrent lundi, c'est que les procès-verbaux sont déjà édités à l'heure qu'il est, c'est évident. Or, si les procès-verbaux sont édités, c'est que le logiciel Apogée a pu calculer les moyennes et les crédits ECTS. Mais alors, si Apogée a pu mouliner, c'est que les “lignes” de notes étaient déjà toutes remplies. Y compris la ligne correspondant à l'épreuve d'Option Transversale Interfilière que nous venons de surveiller... Blême, je me retourne vers Machin, qui en fait me dévisage, aussi blême, depuis un moment. Machin, il est moins larvaire que moi, et ses méandres neuronaux ont fait circuler la pensée plus rapidement que les miens, ce qui fait que, devant mon regard de poisson, il termine à haute voix le raisonnement auquel je viens de me livrer péniblement : “… c'est donc qu'ils viennent tous de plancher deux heures pour que dalle, parce qu'on leur a DÉJÀ mis une note bidon à leur insu, pour neutraliser la matière. Sans nous le dire.”

J'avale ma salive, avec ce doute lancinant qui m'envahit toujours lorsque, malgré mon haut degré de cynisme encroûté, je prends en pleine poire la totale absurdité de l'univers professionnel derrière lequel je tente de camoufler ma flemme. J'essaye de trouver un côté positif à l'information qui s'installe tranquillement dans ma conscience : les notes sont déjà attribuées, et les diplômes avec, nous venons de jouer une petite mascarade discrète, deux cent cinquante étudiants et moi, c'est inimaginable, mais au moins je n'aurais pas à corriger ces centaines de copies. Oui. Bon. Est-ce que ça me rassure vraiment, ça ?… Machin interrompt alors ma rumination en suggérant que, maintenant que l'amphi est désert, on pourrait peut-être plier les gaules ? Je m'ébroue, je toussote, et je commence mécaniquement à remballer les PC, les rallonges, les copies dans les sacoches et les enveloppes idoines, tandis que Machin empile les copies vierges en un joli tas, de taille finalement assez conséquente. “Elle va être contente, Geneviève — je dis —, quand je vais lui rapporter tout ce paquet de feuilles à ré-employer !” Je me vois déjà posant négligemment sur son bureau le tas providentiel sauvé du désastre, et la lumière dans son regard : émotion, soulagement, gratitude éternelle, un coup à ce qu'elle accepte, là, tout de suite, si je sais profiter du kairos, de me transférer mon courrier dans le Lubéron entre mi-mai et mi-octobre (prétextant colloques et symposiums à l'étranger). C'est là que je réalise l'ignoble fourberie de Machin : alors qu'il est en train de glisser ses copies dans son porte-document, j'aperçois dedans, soigneusement emballée dans son blister indemne, UNE RAME ENTIÈRE de copies vierges, que ce type a sournoisement soutirée en début d'épreuve, pour fayoter auprès de Geneviève !

J'ai toujours su que ce Machin était au fond un vrai s…

mercredi 17 juin 2009

LGF surveille un examen (3)

Ouf, voilà tout le monde courbé sur sa copie, et que ça vous remplit les en-têtes, et que ça vous colle le coin anonymeur d'une léchouille appliquée, et que ça se gratte le cuir chevelu en baîllant sur le sujet tout frais. Enfin redescendue, j'ai posé les quelques sujets non distribués, je me suis à peine adossée au pupitre en loupe d'orme incrustée de cuivre repoussé, et je tâtonne dans mon sac à la recherche de ma bouteille d'eau, lorsqu'une main se lève. “Excusez-moi, Madame. Pour le sujet de littérature, je ne suis pas sûre d'avoir bien compris : on traite les deux textes ou on peut choisir ?…” Je désigne d'une main parfaitement manucurée la mention imprimée en Arial Black Corps 26 en haut de sa feuille : “VOUS TRAITEREZ AU CHOIX LE SUJET 1 OU LE SUJET 2”. Ah !… me dit-elle, mutine. J'avais pas lu… Je hausse les épaules, fataliste. Avoir-pas-lu, c'est un des trucs qu'ils font le mieux, mes pubescents, même les années sans grève. Avoir-pas-travaillu aussi, tant qu'on y est. Je sais, bien sûr, que dans la houle blond-brun-dreads-pink-casquette-palmier-houpette ethnique qui ondule devant moi au rythme des dendrites qui crépitent, il va s'en trouver une demi-douzaine pour composer en ahanant sur les deux sujets, au mépris de la consigne imprimée et de mon rappel oral. Ils rendront, en retard, leur copie en geignant qu'ils n'ont pas eu le temps de finir, et j'hésiterai comme toujours à leur révéler qu'ils se sont échinés pour rien, parce qu'ils sont distraits, parce qu'ils ne prennent pas le temps de lire, parce qu'ils ne savent pas réfléchir. Illustration éclatante de la technicité de mon sacerdoce : feignasse, c'est un métier, qui demande parfois d'investir un petit peu de travail efficace pour s'en épargner beaucoup d'inutile. Méditez là-dessus, chers petits, c'est le métier qui rentre.

En attendant, moi, j'ai mieux à faire. Le moment est enfin venu où je vais m'assoupir sur une chaise, relevant juste de temps à autre un sourcil, lorsqu'une main levée signalera que là-bas tout en haut on manque de papier — et normalement, Machin, qui est galant, me fera signe d'un mouvement du menton que je peux me replonger dans mon article sur les vertus détoxifiantes du thé vert, et je le regarderai d'un oeil reconnaissant et ironique escalader l'amphi Paré tout seul, comme un brave Saint-Bernard, avec son tonnelet de copies en rab.

Ah, mais non ! Pas encore… D'abord, il y a ce fameux Powerpoint avec les vases grecs ! Nantie désormais d'un câble VGA, j'allume toutes les machines dans le bon ordre. Ah, mince, l'ordinateur s'éclaire et puis non, finalement, redevient tout noir. J'éteins, je rallume, je croise les doigts, Machin par-dessus mon épaule fait une prière vaudou en tripotant sa barbiche, la machine se lance, le Poherpoint frétille, puis refuse de se mettre à changer les vases tout seul, Machin tripote les touches, suggère quelques améliorations (faites-moi penser à ne plus rien accepter du prof de grec), bidouille deux réglages, et lance le diaporama… Triomphe ! Ça tourne comme il faut. Je jette un œil par-dessus mon épaule, pour voir si toute ces belles images s'affichent aussi merveilleusement, noirs profonds et bistres lumineux, que sur l'écran du PC. Ah, bah, tiens, non. Ça doit être lié au fait que l'amphi est allumé plein pot (eh oui : bois, alu brossé, verre dépoli, l'Amphi Paré, aussi classe qu'une salle de réunion pour Conseil d'Administration d'un Hedge Fund à Saint-Barth, est plongé même en juin dans une semi pénombre permanente qui oblige à faire cramer trente rampes de 500 W pour que les étudiants puissent y entrevoir leurs propres doigts – on glissera pudiquement sur la facture d'électricité engendrée par le coûteux bidule, on n'est pas des sauvages, on est en médecine). Du coup, un spot halogène est braqué directement sur l'écran blanc, et les jolis vases grecs amoureusement photographiés par l'autre imbécile de lâcheur font à peine une vague ombre grise sur la toile éclairée de plein fouet. Après quelques minutes de fouille vaine, Machin déniche l'interrupteur. On tente un truc. Brouhaha : on a éteint tout l'amphi. Non, non, pas de panique, je rallume. On tente le second bouton. Rien se passe. Les vases grecs, écrasés de lumière, sont à peine discernables, on se croirait sur l'Acropole un 15 août à midi, ça va pas le faire. Machin tourne sur lui-même, vire, volte, avise une grosse molette blanche là-bas sur un mur, la tourne — hoooo ! Grogne l'amphi, déjà la première fois on avait pas trouvé ça drôle, écrire dans le noir ! Pas de panique, Machin tourne délicatement la grosse mollette, la lumière revient sur les impétrants mais pas le spot sur les vases grecs. On est sauvés. Je vais pouvoir m'avachir et plonger dans l'argent polissage des bouts de mes ongles !

Je me retourne alors pour attraper ma chaise. Pas de chaise. Je regarde Machin. Pas de chaise lui non plus. On se tourne tous les deux vers la vaste corolle déjà odorante de l'amphi : aucun espoir de ce côté-là, ce sont des strapontins boulonnés dans le sol. Ce qui veut bel et bien dire qu'on est condamnés à surveiller cette épreuve debout l'un et l'autre. Ça commence un peu à moins me faire rire, cette surveillance…

Mais il apparaît très vite que les chaises ne nous auraient de toute façon été d'aucune utilité : nous avons à peine fait le désolant constat de leur absence, qu'une main se lève au fond de l'amphi. Ça ne pouvait pas être autrement : une fois qu'on en a ôté les indispensables marges ainsi que les zones destinées à l'anonymat (anonymat purement théorique, puisque le manque de secrétaires nous oblige à décacheter nous-mêmes les copies afin de remplir les relevés de notes…), il reste 17 centimètres carrés disponibles pour écrire sur chaque page de la copie standard. Un gratte-papier qui a déjà épuisé la surface allouée veut qu'on lui apporte des réserves. Machin, d'un pas alerte, monte à l'assaut. Mais voilà qu'en bas déjà ça réclame du brouillon. Veillant à ne pas m'entraver dans la rallonge du portable, je m'en vais en soupirant faire la vivandière du brouillon rose (ou vert), et pendant deux heures, Machin et moi pratiquons la gambade acrobatique dans les gradins, paquets de feuilles vierges sur le bras, voyant avec anxiété baisser le niveau du tas de papier qui nous a été chichement alloué pour l'épreuve. De loin en loin un temps mort inespéré nous laisse tous deux debout derrière le pupitre, gavés d'ennui, dansant bêtement d'un pied sur l'autre, chuchotant à mi-voix des banalités sur les coucheries du jour ou les ragots de la semaine, relançant parfois d'un index impatient le Pahurpounkt qui fait mine de se mettre en veille. Puis du coin de l'oeil nous apercevons une mimine aux ongles mauves désespérément tendue vers les caissons en bois blanc du plafond, et nous voilà repartis dans la tournée des papivores. Passionnant métier.

La soixantième minute à peine échue, les étudiants les plus à cheval sur le règlement nous signalent qu'ils sont décidés à faire valoir leur droit au retrait — bref, ils se barrent. Nouvel exercice acrobatique : j'improvise autant de tas qu'il y a de sujets, je trouve la bonne liste d'émargement pour chaque tas, je ménage un coin de table (pas trop près du PC !) pour que les futurs récipiendaires puissent apposer leur paraphe, et Machin et moi commençons notre petite chorégraphie : je guide du regard et d'un maternel sourire l'étudiant abruti par l'effort vers le paquet qui correspond au sujet inscrit sur sa copie (à ce stade, ils ne savent plus du tout comment s'appelle leur prof, ni même le cours pour lequel ils viennent de composer), d'une main j'attrape la copie, de l'autre je glisse sous leurs yeux embrumés de fatigue la liste d'émargement (poussant la sollicitude, lorsque je connais leur nom, à pointer d'un ongle finement poli la ligne correspondant à leur patronyme, car à cette heure-là ils ne maîtrisent plus non plus l'ordre alphabétique). Pendant ce temps, Machin expérimente les mille et une manières de tendre affablement son stylo à demi-décapuchonné à l'étudiant qui, bien qu'il ait passé les 120 précédentes minutes à écrire, découvre brutalement et avec effarement que, oui, pour signer, il lui faut un outil, avec la pulpe de l'index ça risque de rien donner. Evidemment, cette petite gymnastique répétitive ne bascule jamais dans le fastidieux, puisqu'il faut dans le même temps continuer, à un rythme de plus en plus frénétique, à abreuver les candidats en copies, les étudiants les plus prolixes ayant hélas une fâcheuse tendance à aller s'installer dans les gradins les plus inaccessibles de l'amphi.

Pourtant la fête semble toucher à sa fin, et les derniers rangs clairsemés se vident, tandis que les retardataires que nous sollicitons de façon de plus en plus impérieuse transpirent à grosses gouttes en tâchant de vaincre la crampe au poignet, comme si leur vie dépendait de ces quatre dernières phrases qu'il veulent absolument rédiger avant de se ruer sur le dernier bus pour le centre-ville et ses happy hours. Il ne restera bientôt plus que notre tiers-temps thérapeutique, qui est lui-même en train de finir de composer sa copie sur le PC ronronnant que j'ai branché sur sa table. Soudain, la porte coupe-feu de l'Amphi Paré s'ouvre à deux battants dans un fracas où l'on devine un secret dédain pour les lentes fumigations moites qui accompagnent l'exercice de la pensée. Un petit bonhomme râblé et rouscailleur se catapulte dans l'amphi, hirsute, le teint mat, l'oeil féroce, campé dans ses pompes de chantier. D'un regard il a pris la mesure de l'assistance, et il pointe sur nous un doigt accusateur. "Hé faut décarrer, maint'nant, passque je ferme", nous annonce-t-il d'une voix rauque doublement filtrée par le Trois-Villages du Bar des Chèques Postaux et par une moustache poivre et sel à laquelle la Boyard Maïs a conféré de jolis reflets jaunes. Hein, fermer ? Mais fermer quoi ? Sa grande gu..., suggérè-je, étant donné qu'il est en train de piauler dans une salle d'examen dont la tranquillité doit être impérativement préservée, comme le rappelle le règlement.

En réalité, il s'avère qu'il ne compte absolument pas fermer ladite grande gueule, mais bien le bâtiment, et par suite l'Amphi Paré dans lequel composent encore une bonne cinquantaine d'étudiants. Ah bah oui, hein, il est 19h20, c'est l'heure à laquelle il ferme, donc c'est pour ainsi dire l'heure de fermer, donc il ferme, hop, c'est aussi simple que ça. Et on sent poindre sous son syllogisme en granit un soupçon d'agacement, comme si peut-être le fait qu'il se trouve encore des zigotos pour s'agiter, suer et peiner dans ce bel amphi pile à l'heure où il doit le fermer lui causait une sorte de désagrément. Bref, il manifeste de façon tout à fait déchiffrable l'intention de ne pas rester cantonné aux strictes bornes de la courtoisie. Comme j'ai moi-même la très nette impression que mes mots ne vont pas tarder à dépasser ma pensée (sans effort, d'ailleurs, étant donné l'allure d'escargot de ladite), Machin intervient façon monsieur-bons-offices et hasarde l'hypothèse que, peut-être, éventuellement, sans vouloir mettre en doute la parole de Son Excellence ni aller supposer la moindre mauvaise volonté de sa part, il a omis le fait que ce soir, exceptionnellement, l'amphi devait rester ouvert pour éviter que les étudiants convoqués à leur épreuve d'examen ne soient contraints de dormir dans leur jus, sur place, sans autre possibilité que de s'abreuver de jus de chaussette instantané au distributeur du hall, en attendant que l'ouverture matinale ne les libère à 7h30 pour une bonne douche (tiens, d'ailleurs, maintenant qu'il en parle, c'est vrai que la matière grise dégage une bonne belle odeur de fauve…). Là, Cerbère grommelle, peste, vitupère, serre les dents, fait trois tours sur lui-même, observe les étudiants aux yeux battus qui viennent rendre leur copie froissée ; puis il choisit de traiter la question par un franc mépris en faisant claquer derrière lui la double porte de l'amphi, pendant que Machin me glisse perversement à l'oreille : “On lui dit qu'en plus le tiers-temps nous tient là jusque 20h30 ?…”

(à suivre…)

lundi 15 juin 2009

LGF surveille un examen (2)

Bref, j'arrive sur le campus, je trouve péniblement le bâtiment Z 56 où on nous a remisés, “parce que là vous serez bien, au calme, pas comme ici avec tous ces blocages. Et puis, là-bas sur le campus, ils ferment tard, vous pourrez rester tranquillement jusqu'à la fin de l'épreuve”. Devant l'Amphi Paré, foule des grands jours. Je fends la masse d'une épaule sûre et me glisse lestement jusqu'à la double-porte — enfin, aussi lestement que possible quand on charrie les sacoches décousues de deux ordinateurs portables, plus les copies et le brouillon sur un bras, et sur l'autre les cinq enveloppes de sujets qui menacent de glisser lamentablement et de se vider devant les étudiants. Evidemment, je suis la première. Le prof de grec excusé, Machin pas arrivé, j'ai trois minutes pour me poser et installer le fameux Pahouerpouêt. Hors de la vue des étudiants restés sagement attendre à l'extérieur que sonne l'heure des hostilités, je peux m'effondrer de manière peu présentable au pupitre de ce vaste amphi suréquipé, le temps de reprendre souffle et contenance. On est en fac de médecine, c'est moins la chienlit que chez nous, et je vois que les services techniques ont imprimé une petite notice très claire permettant de connecter n'importe quel ordinateur au video-projecteur fixé au plafond ; le tableau noir est surmonté d'un vaste écran blanc, tout baigne. Voilà, je lis sur les petits boutons: “Abaisser l'interrupteur. Appuyer sur ON. Connecter l'ordinateur à la prise VGA”. Enfantin, en effet. La prise VGA, je la vois. Je sais que mon collègue m'a laissé le petit adaptateur qui va bien, les deux rallonges (ah, bonne idée : la prise est super loin) et même le détrompeur au cas où la prise serait protégée, je suis parée. Voilà, j'ouvre le PC, je branche le petit adaptateur, je le connecte au câble VGA… Euh, le câble VGA?…

Affreux tas de couillons béats ! Bande d'andouilles malfaisantes ! Quel possesseur de portable se trimballe AUSSI avec un câble VGA ? Normalement ils sont fixes, et déjà dans les salles, nom d'une vergeture ! Et là, rien ? Un coup d'œil à la montre et je comprends que j'ai dix minutes pour sauver l'épreuve de vases grecs. Dure épreuve pour une feignasse comme moi. Je remballe tout : les PC, mon sac à main avec le Marie-Claire, les quatre kilos de copies, les enveloppes avec les sujets ultra-confidentiels, je tente une sortie digne et je me mets à courir dans tout le bâtiment à la recherche de quelqu'un qui saurait où trouver quelqu'un qui, un vendredi soir à 17h17, aurait un câble VGA à me prêter. J'ai l'impression d'être dans un jeu télévisé japonais crétin, je sue, je souffle, j'entends presque les rires enregistrés et les commentaires désobligeants de l'animateur. Mes chakras m'avaient prévenue : cette surveillance sentait l'arnaque. Gagné : au lieu de me décontracter les orteils en suçotant mes barres avoine-cranberries, je participe à une espèce de pastiche idiot de Fort Boyard. Evidemment, le bâtiment est exclusivement réservé à des amphis. Pas un bureau. Je galope en traînant la patte, rajustant tous les vingt pas les sangles des sacoches à portable. Au détour d'un couloir, une aimable femme de ménage finit par me dire avec gentillesse : “Ah, mais il faut aller au Secrétariat, c'est là, juste derrière ! Venez, je vous montre”. Elle a raison de me montrer : en fait de juste derrière, c'est au moins à 400 mètres, dans un autre bâtiment, derrière une rangée de peupliers, une allée carrossable, et deux collines artificielles à la pelouse galeuse. Je me hisse dans le bâtiment que mon guide providentiel m'a indiqué avant de replonger dans la jungle qui semble lui être familière. C'est bien ma chance : c'est là que crèche justement le service informatique ! J'avise une porte. Fermée. Une autre. Fermée. Une troisième. Tout le couloir. Fermé, fermé, fermé. L'angoisse m'étreint : il est 17h22, je n'ai ni vérifié les cartes d'étudiants, ni fait l'appel, ni — a fortiori — distribué copies et brouillons, et je n'ai même pas de quoi passer le sujet. Tout à coup, miracle : au fond du couloir, un bureau ouvert. J'entre, il est désert. Au fond, deux portes. Je frappe, au hasard. Second miracle ! Quelqu'un. Une adorable responsable de la scolarité, qui me répond, “mais oui bien sûr, un câble VGA, mais j'en ai justement un là, n'oubliez pas de venir le remettre dans la boite aux lettres, parce que (petit rire), non, à 19h30, je ne serai plus là…”

Ivre de bonheur et de soulagement, je parcours en sautillant le chemin qui me ramène à l'Amphi Paré, les portables et les copies brinqueballant gaiement sur mes épaules découvertes et mes mignons avant-bras. Je pousse du pied la porte à deux battants, façon saloon, et je fais une entrée fracassante, cheveux collés au front et joues marbrées, dans l'amphi désormais bondé. Mon collègue Machin est arrivé, il a fait entrer les troupes, on se lance. Consignes de placement. Rangement des sacs. Vérification des cartes. Distribution des copies, feuilles de brouillon par couleurs alternées. Alors que nous nous croisons dans une travée avec nos piles de papier joliment coloré, Machin me glisse à l'oreille : “Elle t'a dit, Geneviève, pour les feuilles ?…” Hein ? De quoi, pour les feuilles ? Ben, oui, m'explique Machin à mi-voix, c'est un peu la pénurie, à vrai dire. Fin de budget ? Mauvaises prévisions ? Réassort oublié ? Quoi qu'il en soit ce sera très dur d'aller jusqu'à la fin de la session avec le stock actuel, alors si on pouvait éviter de gaspiller… Bon, d'accord, je ne suis plus à ça près. Grotesque pour grotesque, je rationne le papier. Quoi ? Vous voulez deux copies ? Vous vous croyez en Amérique ? Vous pouvez pas écrire serré, non ? Et le brouillon, vous croyez que c'est gratuit ? Vous êtes obligé de gaspiller, hein ? Pouvez pas optimiser, non, en utilisant le verso, par exemple ? Comment ça, c'est du papier pelure, on voit à travers, on ne peut plus se relire ? Ah, je vous jure, ces étudiants maternés, assistés, pouponnés toute l'année, ils n'ont pas conscience de la crise ! Décidément, nos ministres ont bien raison de vouloir rationaliser tout ça. Je distribue donc chichement mes précieuses feuilles d'examen, avec la moue hautaine de celle qui a conscience de la vraie valeur des choses, en songeant avec un mélange d'horreur et d'incoercible gaieté au jour béni où tous les examens se dérouleront devant un poste informatique, casque sur les oreilles, voix de synthèse façon Roissy Charles de Gaulle et objectif zéro empreinte carbone enfin atteint.

Vient le délicat moment de la distribution des sujets. Moi, à la cantonade : euh, “Vases grecs”, vous levez la main ? Mais Machin est parti de l'autre côté de l'Amphi et il distribue “Irlande précolombienne”, ce qui fait qu'on ne sait plus qui lève la main pour quoi, je redescends trois fois tout en bas, remonte trois fois tout en haut, ouf on en vient à bout, maintenant c'est au tour de mon sujet. J'ouvre l'enveloppe en kraft d'une main fébrile. Geneviève m'a prévenue : “à l'imprimerie, ils n'ont pas pu agrafer les trois feuillets, Kevin est en stage et Roger se souvenait plus où était la clé de l'armoire pour les agrafes ; ça ira comme ça ?” Ce qu'elle n'a pas dit, Geneviève, c'est que Roger, il n'a pas davantage pensé à trier les feuilles. Ce qui fait que je monte les gradins avec, étalés sur l'avant-bras, trois paquets de sujets, et qu'à chaque main levée, je dois glisser une feuille de chacun des paquets, sans rien faire tomber — et sans en glisser deux à la place d'une, parce que les feuilles, c'est un peu comme les copies : j'en ai juste le nombre. Faites-moi penser à dire deux mots à Kevin, quand il reviendra de stage avec la clé du placard et la notice de la trieuse…

(à suivre…)

dimanche 14 juin 2009

Elixir de paresse

Charlie Bobo, Elixir de paresse

Si quelqu'un peut m'expliquer...

vendredi 12 juin 2009

LGF surveille un examen (1)

Aaah, le joli mois de juin... Ses journées à rallonge, ses révisions sur le gazon du campus, ses sandalettes et ses pantacourts sentent déjà un peu l'huile solaire et la friture à beignets. Normalement, vers cette saison, on glisse doucement de la première session des épreuves du second semestre à la seconde session des épreuves du premier semestre (relisez lentement), et moi je prends mon pied, rapport au fait que surveiller des exams, c'est presque déjà comme la plage ! Je peux même me payer le luxe de faire un peu de la lèche dans les secrétariats pédagogiques : c'est toujours bon à prendre, et ça fait passer la pilule de mes innombrables absences absolument injustifiées (injustifiées, injustifiées, faut voir : qu'est-ce que j'y peux, moi, s'il y a des soldes absolument n'importe quand, dans ce pays ?), parce que je suis toujours disposée à remplacer avec le sourire un collègue défaillant. Faut dire qu'à cette saison, ça défaille sec, chez les collègues. A croire qu'il n'y a que moi pour aimer ça, la sieste devant un amphi bourdonnant de jeunes cervelles en surchauffe. Au fil des semestres, j'ai mis au point la préparation tip-top, la check-list en béton : le dernier numéro de Marie-Claire (celui avec le régime minceur) habilement dissimulé sous une jaquette "Revue de la BNF" arrachée à la BU (de toute façon, personne ne la lit) ; ma pince à épiler design et mon miroir de poche en racine de prunus nain ; un brumisateur pour s'il fait chaud ; des barres de céréales bio avoine-luzerne-cranberries dont l'emballage ne crisse pas quand on l'ouvre ; des chaussures légères dont on peut se défaire discrètement sous le bureau si les pieds gonflent…

Pourtant, j'ai senti très tôt que rien n'allait se passer comme prévu. Il faut dire qu'on courait avec un sérieux handicap. D'une part, pour éviter que les gauchistes enragés, manipulés et sûrement payés par l'Anti-France ne viennent s'opposer physiquement à la tenue des examens, consigne a été donnée aux secrétariats pédagogiques d'organiser les examens sur le campus de médecine, dont les bâtiments d'alu brossé, de verre dépoli et de bois des îles sont opportunément situés à trois quarts d'heure de bus du centre-ville, de sa fac de lettres aux couloirs décrépis couverts de graphs, et de ses trotskystes hystériques et certainement caténairoclastes. D'autre part, étant donné que la moitié de l'UFR est toujours en grève, les secrétaires ont un peu chargé la barque pour remédier à la pénurie de surveillants : “on vous a mis ensemble avec Monsieur Machin, hein, dans un grand amphi. Vous aurez aussi les étudiants de l'option "Mythologie grecque et souffrance sociale", si vous voulez bien, ils ne sont pas nombreux”. Bon, va pour Machin, et pour les mythes grecs. Ça ne fait jamais que trois épreuves différentes dans le même amphi. Et puis finalement, on a aussi écopé des étudiants de l'UE "La féminitude dans l'art latino-américain" et des inscrits à l'option “Marginaux et marginalité dans l'Irlande précolombienne”, à moins que je mélange. Tous ces braves petits sont donc convoqués un beau jour à 17h30 dans l'Amphi Ambroise Paré pour plancher sur ces différents "PIPOTI" (Programmes d'Innovation Pédagogique par Option Transversale Interfilière).

Le jour venu, je me prépare soigneusement, mais je ne peux pas m'empêcher de flairer le coup tordu. Tous mes chakras se referment et j'ai le karma qui couine. D'abord, il faut que je parte avec pas mal d'avance, parce que le campus de médecine est loin, et que j'ai de bonnes chances de me perdre et de passer vingt minutes à errer entre les chênes rouvres et les acacias robiniers en cherchant le bâtiment Z 56 dans lequel se trouve l'Amphi Paré, où m'attendront le prof de mythologie grecque, ainsi que Machin et tous nos impétrants. Ensuite, non seulement je trimballe quatre kilos de copies vierges et de réserves de brouillon (sans compter les cinq enveloppes brunes et ventrues qui recèlent les précieux sujets), mais en plus, aujourd'hui, à titre exceptionnel, je dois me coltiner deux ordinateurs portables avec alimentation, rallonges et chargeurs. Milou, il lit la presse, et depuis qu'il a vu qu'à Toulon on vendait des diplômes aux Chinois et qu'à Clermont-Ferrand les étudiants roumains venaient payer leur carte d'étudiant avec des rouleaux de billets, il me charrie un peu sur notre train de vie, à l'alma mater. Ce qui fait que ce soir quand il m'a vue partir avec mes deux ordinateurs, moi qui ne sors d'habitude qu'avec un délicat baise-en-ville et surtout pas de cartable, il m'a demandé en ricanant si on avait un deal “diplômes contre portables" avec une filière polonaise.

Oui, parce que les deux ordinateurs en question, ils sont un peu polonais. Le premier, il doit servir à un étudiant handicapé qui a droit à un tiers-temps supplémentaire et une aide à l'écriture. C'est prévu dans la loi, convenu avec la médecine préventive, et on a bien rassuré le jeune homme en lui garantissant que oui, pas de problème, pour cette épreuve comme pour les autres, on lui apporterait de quoi composer, qu'il n'avait pas à se faire de souci. Mais à moi, c'est un autre discours qu'elle a tenu, Geneviève : “Bon, voilà le portable pour le tiers-temps, je vous le donne, mais c'est pas sûr qu'il marche, hein !”. Donc ça va être la surprise… Le deuxième, il m'a été fourgué par le prof de mythologie grecque qui, finalement, au dernier moment et sans que ça soit en rien prévisible, a dû se décommander de la surveillance, “mais j'allais très bien me débrouiller, c'était simple, le sujet consistait en une analyse iconographique, une série de vases grecs qui défilerait en boucle à l'écran, sous forme de Powerpoint, je n'avais qu'à lancer la machine, ça tournait tout seul”. Tout seul, mon œil…
(à suivre…)

mercredi 10 juin 2009

LGF siège en Conseil Scientifique (2)

Dans cet harmonieux concert des miniaturisants, avait retenti soudain la note discordante qui annonçait la modulation saisonnière: un jour où nous attendions servilement que sous la pression conjuguée de nos regards las et de notre accablement la porte de la salle du conseil s'entrouvrît pour nous permettre de nous livrer à ces ébats académiques que le monde nous envie, le directeur de l'équipe d'accueil “Pragmatique Cognitive et Brain Diseases” était arrivé souriant, léger, les mains négligemment glissées dans les poches de son pantalon de lainage souple Armani, comme s'il arrivait là en voisin, qu'il allait nous écouter débattre la main oisive et l'œil volage, SANS PRENDRE DE NOTES. Il avait bien un cartable, un dossier au moins, quelques crayons déformant la poche de son impeccable costume?! Je voyais déjà transpirer les collègues qui l'instant d'avant rivalisaient de mégabits et de hardware.

N'y tenant plus, le désinvolte mandarin a plongé deux doigts sous son bras gauche pour saisir du bout des ongles la pochette de textile extensible et moelleux dans laquelle était dissimulée l'extraordinaire machine qui remisait définitivement les micro-portables au rang de hochets pour fillettes: l'ultra-léger, aérien, quasi vaporeux Macbook Air, qu'il a ouvert nonchalamment sur son avant-bras, déployant devant les yeux exorbités de ses camarades un écran d'une envergure, d'une délicatesse, d'une luminosité pré-raphaélites. Le geste et l'objet ont médusé l'assistance masculine au point que je me suis demandé un instant si ce jour-là mon essai de high-panties Velvet prune métallisé n'allait pas faire un flop.

A l'heure où j'écris, trois membres du conseil ont déjà leur Mac Air, ce qui réduit d'autant la puissance d'attractivité du machin; et comme la prochaine Apple Expo a été remise aux calendes grecques, j'ai un peu de marge pour tester sur les membres du conseil l'effet sidérateur du Too Faced Lava Gloss Eyeliner et des bustiers La Perla Black Label.

Mais là, cet après-midi, impossible de jouer dans le couloir, on est entrés tout de suite dans le vif du sujet, fallait pas traîner, on avait assez perdu de temps comme ça avec ces grèves, ces blocages et ces rondes obstinées. L'ordre du jour était encore plus copieux que d'habitude — d'un coup d'œil j'ai calculé d'emblée que je devrais sortir me repoudrer le nez entre les demandes de délégation au CNRS et la présentation du bilan du Centre Interrégional de Prévention du Cancer Colorectal par prélèvement de matières fécales, et probablement entre le bilan de l'unité INSERM “légionellose et troisième âge” et la demande de création du GIS “diagnosticologie et primo-affections de la blatte en milieu sub-tropical” , cette fois pour un léger raccord de blush, vu l'atmosphère elle-même subtropicale de cette salle saturée de matière grise et de testostérone.

Le temps que je planifie tout ça, les débats avaient déjà commencé, et un chargé de mission en chemise de satin noir étriqué nous expliquait, pouèrepoïnte à l'appui, que “la démarche qualité avait introduit une logique par gestion de projet généralisée” et que le laboratoire dont il était question “s'était positionné comme structure d'interface”. J'avais bien fait de venir. A la fin du speech, le chargé de mission a accompli devant nous le svelte demi-tour sur lui-même qui signifiait qu'à présent il était heureux de s'offrir à nos questions, et un gars d'en face, un physicien velu dont je tentais désespérément depuis une demi-heure d'attirer l'attention par des airs pénétrés et des écarquillements de paupières un peu surjoués (mais il fallait compter sur la distance de 10 mètres, qui affadit tous les effets), a levé la main et a demandé si on aurait “les slides”. J'ai cru qu'il se foutait de la gueule du type en noir. Mais non. Il voulait vraiment se repasser chez lui la présentation surchargée de texte, avec les diapositives tamponnées au logo vert et bleu de l'université en fondu-enchaîné, qui nous expliquait le détail de la “prise en compte des activités de support et de gestion dans l'évaluation de la valeur des contrats”. Et j'avais perdu une demi-heure à faire des œillades à un type pareil?!!

lundi 8 juin 2009

LGF siège en Conseil Scientifique (1)

Cet après-midi, c'était super, j'ai annulé tous mes cours. Enfin, bon, c'était pour aller siéger en conseil scientifique exceptionnel. Le conseil scientifique, j'aime trop ça. C'est bourré de garçons.

Bon, lesdits garçons, c'est un peu “on-touche-avec-les-yeux", vu que quand s'ouvrent les portes de la salle du conseil, les scientifiques vont s'asseoir à la droite du vice-président, et les bons-à-rien de littéraires (dont je suis) 10 mètres en face, à la gauche du vice-président, les membres invités prenant les sièges qui restent sur le quatrième côté du quadrilatère — sauf quand il ne reste plus de chaises, auquel cas ils se rangent sur les côtés en double file, voire attendent des heures dans le couloir quand on commence par un conseil en session restreinte.

Moi aussi, remarquez, ça m'arrive de rester poireauter des heures dans le couloir quand la session est restreinte aux professeurs et HDR. C'est encore ce que je préfère. Je suis convoquée à 14 heures, j'arrive avec ma petite mallette et ma jupe la plus moulante, et là, à moi de jouer. Pendant que les pauvres rang A suent sang et eau sur les dossiers (et est-ce qu'on va filer le magot au programme de recherches “Etude des durcissements de surface par écrouissage à galets” ou plutôt consacrer le pactole à l'invitation d'un prof de rhétorique de l'Université Alexandru Ioan Cuza de Jassy?) moi, j'ai toute latitude pour interpréter mon rôle préféré, la Diane chasseresse des antichambres de l'excellence de la recherche. Fastoche. Tout le monde s'ennuie.

D'abord, chacun sait au plus profond de lui qu'on est là pour des plombes, vu que le président de séance, c'est le genre de gars à tuer un âne à coups de figues molles, et que trancher entre les durcissements de surface et Cuza de Jassy ça lui pose des cas de conscience insondables. Et puis l'ordre du jour du conseil restreint, ça ressemble toujours plus ou moins au menu d'un banquet “à la française” à la cour du prince évêque de Liège, donc quand commence le point 1, je sais que j'ai largement le temps de me lancer dans un adagio de la drague universitaire sans risquer que l' allegro molto e vivace soit interrompu par l'ouverture des portes du Cénacle.

Là, il ne faut pas se tromper. D'abord, savoir qu'il n'y a que du menu fretin, puisque les Forts, les Puissants, les Professeurs des Universités, justement, siègent en restreint pendant que nous soutenons les murs de notre alma mater d'une épaule indolente. Le mollet galbé dans un Wolford “toucher de pêche”, j'avise généralement des gars dont les visages ne me sont pas inconnus mais dont j'ignore les noms (au CS, l'usage est de ne pas se présenter, mais de se tutoyer: forcément, on est entrecollègues). Ils s'occupent invariablement au jeu préféré des membres de ce grand conseil: comparer leurs ordinateurs portables.

Cette année, c'est à qui aurait non pas le plus puissant, mais le plus invisible des portables (est-ce que ça a un rapport avec le fait que tous ces goujats ont leur ordinateur ouvert devant eux pendant les débats, et lisent leurs mails pendant qu'on défend des dossiers super importants de subvention à des colloques vénézuéliens, et que, bon, faut quand même que ça reste discret?…). La tendance évolue au rythme des saisons du prêt-à-porter.

Fin décembre, le PC de base, encore favori chez les membres de la Faculté d'Informatique, était largement détrôné dans la caste des Directeurs de Labos par le mini-ordinateur portable. Le patron de l'UMR Décadence Romaine avait longtemps détenu le record du modèle-le-plus-miniaturisé, dont il avait vanté devant la machine à café la maniabilité et l'autonomie — jusqu'à ce que le jeune directeur de l'équipe émergente “gouvernance des institutions sportives locales et engagement citoyen” ne décide, de rage, de s'offrir — au diable l'avarice — le dernier-plus-minuscule-ordi-que-la-Terre-ait-porté depuis Bill Gates, à savoir un machin tellement mignard que mon poudrier avait l'air d'une grosse huître mal équarrie à côté. Le léger hic (mais qui ne s'est révélé qu'une fois tout le monde assis dans le Saint des Saints, donc dans le couloir c'était encore possible de se la jouer) c'est que le gars avait un peu de mal à poser ses grosses mimines de mineur de fond de la sociologie de proximité sur le clavier jivaro de son nouveau joujou, et que le trackpad était tellement microscopique qu'il avait dû s'acheter tout un tas d'extensions accessoires (notamment une souris pas plus grosse qu'un Ferrero Rocher des soirées de l'ambassadeur), si bien que son machin, perfusé par tous les ports USB, ressemblait finalement tout à fait à rien du tout.

(à suivre)

samedi 6 juin 2009

vendredi 5 juin 2009

Chronique de la première grève universitaire (3)




La grève, ça embêtait drôlement le roi et le pape, qui avaient besoin d’une élite cultivée, qui avaient aussi de gros besoins en fonctionnaires. Mais le monde et les temps changent...

La menace de dispersion, elle, était super efficace pour une raison très simple : pour les habitants de Paris, qui s’enrichissaient en louant chambres, hôtels et maisons, les étudiants mâles et turbulents constituaient une manne financière. Il faut dire qu'à la fin du XIIIe s., pour autant qu’on puisse en savoir quelque chose, Paris comptait environ 200 000 habitants, pour entre 5 et 10 000 étudiants. Soit une proportion énorme, comparable, par le déséquilibre qu’elle impliquait entre étudiants et habitants, avec celle de… 1968 ! J'avais beau ne pas y être, il devait y avoir une sacrée ambiance dans la capitale. Et perdre un tel groupe de consommateurs, même un peu agités du bocal, c’était ruiner l’économie locale…

La disparition d’une université, quoi qu’on en dise, ça provoque une série incalculable de dommages collatéraux. Les autorités médiévales l’avaient bien compris, elles...

Un autre truc, c’est que les clercs (il faut bien insister sur le fait que c’étaient des clercs, pas des nénettes à vernis Pink Chiffon) ont habilement su jouer plusieurs autorités l’une contre l’autre — celle du roi ou de la régente qui avait plus de couilles que lui, celle de l’évêque de Paris sur lequel on ne dira rien et qui était représenté par le chancelier (qui accordait la licence, on nous le rappelle un peu aujourd'hui), et surtout celle de la papauté sur laquelle on ne dira rien non plus et qui, bien que ou plutôt parce que lointaine, leur fut fort utile (alors qu'aujourd'hui, la papauté, comment dire?…). Elle avait tout intérêt à laisser se développer des centres de haute culture intellectuelle tels que les universités (mais si! c'était ça, les universités!), véritables viviers de fonctionnaires assurant une meilleure centralisation de l’Eglise et de prédicateurs aptes à combattre efficacement l’hérésie (quelles belles missions elles avaient, les universités...). La première arme, avant la grève et la dispersion, ç’a été l’arbitrage de la papauté.

C'est marrant, si on y réfléchit cinq minutes... A la fin du XIIIe siècle, l'Université pouvait s'appuyer sur le Pape pour s'opposer victorieusement au roi de France. Au début du XXIe siècle, paf, c'est le monde à l'envers : c'est au contraire le roi de France (enfin, ce qui en tient lieu) qui s'appuie sur le Vatican pour finir de relooker l'Université au démonte-pneu. Eh oui : quand notre Sarko Ier, par le truchement de son très volatil ministre des affaires étrangères, négocie en décembre avec le nonce apostolique la reconnaissance par la République des diplômes délivrés par les universités catholiques sur le territoire national, puis lorsqu'au mois de mai il entérine les résultats de cette négociation dans un décret qui accorde la collation des grades pour tous les diplômes canoniques ou profanes aux susdites universités catholiques, il nous fait un bel enfant dans le dos. Non seulement il abroge d'un trait de son Auguste Plume rien moins que 129 ans de laïcité universitaire, mais il donne d'une main aux universités du Pape ce qu'il est en train de prendre de l'autre aux Universités de la République, c'est-à-dire le pouvoir de définir elles-mêmes le contenu et la valeur de leur formation.

Bon, notez, ça a des côtés marrants. Jean-Marie Bigard va enfin devenir Maître de conférences en poiladologie à la Faculté Catholique Notre-Dame du Lâcher de Salopes : une bonne crise de fou rire, ça vaut un steak. Evidemment, on rigolera moins quand les mêmes universités catholiques délivreront des doctorats de cosmologie ou de science naturelle pas du tout rétrogrades, ou quand on pourra suivre en France avec un diplôme tout ce qu'il y a d'officiel un cursus de biologie non-darwinienne ou d'astronomie pré-galiléenne.

Au fond, la seule chose qui n'ait pas changé, en sept siècle, c'est l'incapacité totale du Souverain à imaginer le bordel dans lequel on se met quand on se colle tous les universitaires à dos...


mercredi 3 juin 2009

Chronique de la première grève universitaire (2)




Bon, bien sûr, comme aujourd’hui, il y a eu des grincheux pour se plaindre de la façon dont les choses (notamment les A.G.) étaient menées, à l’instar du dénommé (ça ne s’invente pas) Philippe de Grève :

« Jadis, quand chaque maître enseignait de son côté et que le nom même d’université était inconnu, lectures et disputes étaient fréquentes ; on avait du zèle pour l’étude. Mais maintenant que vous vous êtes unis pour former une Université, les leçons sont devenues rares, tout se fait à la hâte, l’enseignement est réduit à peu de choses ; le temps pris aux leçons est gaspillé en réunions et en discussions et dans ces assemblées, tandis que les anciens délibèrent et légifèrent, les jeunes ne pensent qu’à former d’abominables complots et à préparer leurs expéditions nocturnes. »

Ouh ! Les vilains étudiants ! Ouh ! Les feignasses d’enseignants ! Pourtant, du haut de ces quelques lignes, huit siècles nous contemplent. Etonnant non ? Déjà, à l’époque, l’Université, pour certains, c’était du grand n’importe quoi. La seule différence, et elle est de taille, c’est qu’aujourd’hui, l’Université est en voie de disparition, alors qu’à l’époque de Philippe de Grève elle était en train de naître. Elle est d’ailleurs née comme elle mourra peut-être, à coups de grèves.

Forts de cette première revendication, aussitôt satisfaite, les clercs ont poussé leur avantage pour devenir, à l’issue d’un combat long d’une trentaine d’années, une « universitas », c’est-à-dire une corporation à part entière, avec ses privilèges. Devenir une université, cela signifiait essentiellement obtenir… son autonomie.

Mais bon sang, me direz-vous, la grève et la dispersion ? Comment ça a pu marcher ? Humm… Allez, je vous raconte un autre épisode, qui en plus a lieu pendant une période de crise, en 1229-1231.

Pendant le Carnaval 1229, des étudiants en goguette, à la recherche d’une femelle court vêtue et à la cuisse légère, trouvent, à défaut, du bon vin dans une taverne du bourg Saint Marcel. On picole sec, les esprits s’échauffent. Une dispute éclate à propos du paiement : on passe, de part et d’autre, des gros mots aux gifles, puis aux cheveux tirés, enfin aux coups. L’aubergiste, qui appelle en renfort ses voisins, expulse sans autre forme de procès les trublions. Vexés, ceux-ci reviennent le lendemain, animés d’intentions rien moins que pacifiques puisque armés d’épées et de bâtons, et renversent tout ce qui se trouve sur leur passage, y compris de paisibles consommateurs et passants.

Le prieur de Saint-Marcel va chouiner auprès de l’évêque, qui en appelle à la régente, Blanche de Castille. Elle, c’est pas comme ce couillon de Philippe Auguste, elle a autant de courage que Valérie Pécresse. Comme cette dernière, dans son « impulsivité femelle », elle ordonne au prévôt de punir les auteurs de ces méfaits. Le vilain prévôt, profitant de l’autorisation, lâche sur des étudiants innocents qui n’avaient rien à voir avec Saint Marcel, des mercenaires aussi subtils qu’intelligents, des bandits de grand chemin qui s’en donnent à cœur joie - la BAC de l’époque, quoi. Bilan : plusieurs morts parmi les étudiants.

Les cours sont immédiatement suspendus. Le pouvoir ne bouge pas. Nous sommes en mars-avril 1229, il y a de cela exactement 780 ans. A Pâques 1229, l’Université décide que si justice n’est point faite, elle fera sécession, prononcera sa dissolution pour dix ans et ne reviendra jamais. Bref, l’Université s’arrête.

Et de fait, tout le monde se casse. Qui pour Oxford et Cambridge (et c’est ainsi que naquirent les deux prestigieuses universités anglaises…), qui pour Reims, Orléans, Angers ou Toulouse…
Panique au sommet de l’Etat : on se rend compte qu’il faut négocier. Le pape intervient comme médiateur entre le pouvoir royal et l’université en grève, mais le conflit se prolonge, deux années durant...

En avril 1231, la bulle Parens scientiarum de Grégoire IX sert à la fois à mettre fin à la grève et à réglementer définitivement l'organisation interne et les statuts de l'université, promulgués une première fois en 1215. Elle ordonne de punir les meurtriers, elle définit les règles fixant les loyers des étudiants, la conception générale de l’enseignement, les programmes des cours, les conditions d’obtention des diplômes, la durée des vacances (un mois facultatif…). Surtout, elle confirme la légalité du droit de grève, reconnu dès 1215… Dans les années qui suivent, toutes les franchises et autonomies universitaires sont confirmées.

Y a un truc, vous me direz. Quelques trucs essentiels à savoir, oui.
(à suivre)

mardi 2 juin 2009

Chronique de la vie universitaire au XIIIe siècle (1)



Nous sommes en l’an de grâce 1200, sous le règne du bon roi Philippe-Auguste. Le rôle de Paris comme capitale du royaume se confirme, et son aura culturelle est immense : on vient de très loin pour étudier dans la nouvelle Athènes...

Les écoles épiscopales et monastiques sont florissantes, mais la culture est également dispensée par des maîtres privés, qui enseignent sur le Petit-Pont et aux alentours. Parmi les plus célèbres d’entre eux, Adam du Petit-Pont, d’origine anglaise et disciple de Pierre Lombard, et un certain Abélard… La seule condition pour « ouvrir une école », c’est-à-dire souvent enseigner dans la rue, est d’obtenir une autorisation du chancelier, la licentia docendi, ancêtre de notre chère et menacée licence. Ça peut paraître tranquille, surtout quand on a sué sept ans sur sa thèse, mais qu'on se rassure: il fallait des lustres pour devenir docteur, et avoir atteint un âge canonique (35 ans) pour devenir docteur en théologie. Je serais encore trop jeune (hu! hu!).

Ces maîtres licenciés, qui enseignent librement, constituent, avec les étudiants, un groupe mal vu par les bourgeois. Il faut dire qu’ils n’y vont pas de main-morte, les bougres ! L’emploi du temps de l’étudiant type – jeune mâle célibataire souvent déraciné – consiste à « courir parmi les rues et les places, les tavernes, les chambres des prostituées, les spectacles publics, les cérémonies et les chants, les repas et les banquets publics, les yeux vagues, la langue pendante, l’esprit pétulant et l’aspect négligé » (c’est le pseudo-Boèce qui le dit). Quand il n’étudie pas, l’étudiant trompe l’ennui en buvant, en se battant, en violant la bourgeoise… La belle vie, quoi !

Un beau soir de cette année 1200, une rixe éclate dans une taverne : à la suite d’une altercation entre le serviteur d’un étudiant noble liégeois et le cabaretier, ce dernier est proprement rossé, et son estaminet dévasté. Le prévôt de Paris organise alors une expédition punitive : il attaque, avec l’aide providentielle de citoyens armés, l’hôtel où logent les étudiants liégeois. Cinq personnes sont tuées, dont le maître du serviteur responsable de la rixe. Ferait beau voir, aujourd'hui, qu'on nous tue nos étudiants… il faut aussi reconnaître qu'ils sont de plus en plus rares à avoir des domestiques. Si?…

A la suite de cette expédition vengeresse, maîtres et élèves portent plainte auprès du roi en menaçant de cesser l’enseignement et de quitter la ville si le prévôt n’est pas châtié. Je vous entends ricaner d’ici : qu’est-ce qu’il en a à foutre, le roi, qu’une poignée de maîtres et d’étudiants menacent de cesser l’enseignement, ou d’organiser une fuite de cerveaux ? Il s’en bat les roubignolles, le roi. Eh bien détrompez-vous ! Face à la menace brandie, le gouvernement, pris de panique, cède aussitôt. Non seulement Philippe-Auguste fait emprisonner le prévôt et ses complices, mais en plus il accorde un privilège exorbitant aux étudiants : s’ils sont saisis en flagrant délit par le prévôt, celui-ci devra les remettre à la justice ecclésiastique. Autrement dit, ils échappent, purement et simplement, à la justice royale – et chaque prévôt lors de son entrée en fonction devra prêter serment de respecter cette charte devant les étudiants…

Vous aimeriez bien savoir comment ils ont fait, nos aïeux, vous voudriez en prendre de la graine, hein ? Quel incroyable moyen de pression ils avaient trouvé, ces maîtres et étudiants, pour obtenir comme ça, d’un claquement de doigts ou presque, ce qu’ils voulaient ? C’est vrai que ce serait utile à savoir pour nous, pauvres universitaires qui nous épuisons depuis plus de seize semaines à « inventer chaque jour une nouvelle forme de lutte », de la grève des cours à la rétention des notes, en passant par la ronde des obstinés, les lectures de la Princesse de Clèves, le procès en Sorbonne de Nicolas et Xavier, les vers de Phédresse et Hydarcos, le gros ventre de Pasquet Fiscal, j’en passe et des meilleures.

Alors, trépignez-vous, impatients, c’était quoi, les armes incroyablement efficaces de nos vaillants ancêtres ? Je vous le donne Emile encore une fois : la grève (la suspension des cours) et la dispersion. Ça vous en bouche un coin, hein ?

(à suivre)

lundi 1 juin 2009

Billet TLF: Sélection naturelle

– Puisque vous abordez le sujet le premier, je rassemblais précisément mes souvenirs, Lefuneste : oui ou non, ai-je déjà eu l'occasion de vous dire que vous étiez une larve ?

– Parce que vous trouvez que refuser de sortir quand le ciel déclenche une pareille artillerie de solides pulvérulents gros comme des boulets, c'est réagir en larve ?

– Pis. En cocon. Et je pèse mes mots. Remarquez, nous n'obligeons personne, nous autres qui avons le corpore sano autour d'une mens sana. On ne lutte pas contre la sélection biologique naturelle. Mais ne venez pas vous plaindre quand vous serez éteints, vous et ceux de votre tribu de pusillanimes. Les intempéries, c'est comme les contributions : on les affronte ou elles vous submergent. Ah, évidemment, il y faut de l'héroïsme, et le mépris du soin-soin. Je n'en disconviens pas. Si vous êtes dépourvu de la moindre volonté, que vous avez le muscle blafard et le grand-flemmard hypertrophié, on ne saurait vous le reprocher : c'est de toute évidence la lente dégénérescence d'une consternante lignée de pantouflards qui aboutit en vous à l'inévitable faillite. Par bonheur, à ce stade-là, on n'a plus non plus d'enfants, ce qui soulage les experts en prévision. En revanche, prenez mon cas : aucun mérite. Paf : dès le berceau, voilà que je me suis retrouvé de ceux qui vont fouiner dans la banquise, histoire d'ajouter quelques anecdotes au patrimoine de la race humaine. Il y en a qui écrivent l'histoire, et d'autres qui ont besoin de lunettes pour la lire. C'est comme ça.


Greg, Pas de pitié pour Achille Talon, Dargaud, 1976