vendredi 3 juillet 2009

Rideau (LGF tire sa révérence)



Eh oui, rideau.

La grosse feignasse en a plein le dos. Ou plutôt, plein ses quatre dos.

Deux filles, deux garçons (pas les derniers pour les détails de cosmétologie, d’ailleurs), tous enseignants-chercheurs, l’ont fait vivre le temps d’un conflit qui n’est hélas pas fini. Sa légèreté leur a servi de respiration, mais elle était devenue difficile à tenir. Alors la grosse feignasse prend le large. Elle reviendra peut-être un jour. Google, qui nous surveille tous, vous tiendra au courant.

En attendant, ce sont quatre profs bien fatigués, et pas très confiants dans l’avenir de leur métier, qui vous saluent bien bas, qui remercient Xavier Harth pour les décors, Valérie Cardwell pour les costumes, tous les lecteurs pour leur fidélité, et leurs mères pour s’être connectées 12999 fois.

Bonne hypertrichose palmaire à tous.





Crédit photo : Compagnie Comme Telles

jeudi 2 juillet 2009

Jolie bouteille, sacrée bouteille (II)

Dites, ça fait une quinzaine de minutes que je regarde un tout petit petit moucheron qui se noie dans une goutte de Chablis sur le rebord de la table basse, c'est normal ? Je ne suis même pas sûre d'avoir pensé à ciller. Ça me fascine, je dois avoir la lèvre inférieure qui pend un peu. Bon, il est temps d'agir. Je me lève pour oh la vache putain qu'est-ce que ça tourne, nom de dieu. Une bouteille de Chablis toute seule, en quoi, même pas une heure, ma fille, mais vous déraisonnez totalement. Hin hin hin, ta gueule la duègne intérieure, je titube, mais j'atteins dignement le loquet de la porte, et je me retourne d'un air triomphant pour contempler les deux mètres trente que je viens de parcourir sans choir, ha ha, pas morte la bête. Je tourne doucement la poignée avec une tête de conspiratrice, la même tête que je faisais, petite, quand je jouais à la maîtresse avec Vanessa, la fille de la voisine, et qu'on entrait à pas de loup dans la chambre pour surprendre notre classe de poupées et de peluches en train, forcément, de chahuter, ah ah, vous ne nous avez pas entendues arriver, on vous y prend, garmements (c'est pas une coquille, j'ai cru jusqu'au CM1 qu'on disait "garmement", maintenant ça va mieux, j'ai grandi, je sais qu'on dit ministre, comme tout le monde). Voui, mais cette fois, je ne vais pas prendre en flagrant délit des poupées Corolle accusées d'avoir copié sur la marionnette de Candy. Cette fois, je me faufile en catimini dans l'escalier de la cave, parce que faut pas me la faire, à moi, je sais un petit coin pas éclairé au fond, derrière un bout de mur rongé par les ans, qui sent le tonneau et le salpêtre et le bouchon ancien, ousque Milou range les belles bouteilles qu'il veut garder pour dans longtemps longtemps (dis donc, non seulement je chuchote à voix haute, alors que je suis toute seule, mais en plus je cause comme une débile, je vais bientôt pouvoir devenir conseillère rue de Grenelle). Mais dans longtemps longtemps, je serai où, moi, hein ? Dans une fac customisée par Coca-Cola et Christian Lacroix, entièrement équipée d’écrans plasma hors de prix, où les étudiants n’auront même plus besoin de venir, et où les profs ne seront même plus nécessaires ? Je serai purement virtuelle, et même virtuelle, on n’aura pas besoin de moi. Donc j'emmerde la terre entière, et je carpo diem, et je carpo aussi une bouteille.



Je suis remontée en tenant fermement la rampe de l'escalier, j'ai posé ma prise de guerre sur la table basse, j'ai rincé mon verre, et je l’ai ouverte, la merveille, en me pétant trois ongles, merde, mais c’est pas grave. Oh ce glou glou discret, liquide et gourmand, c'est plus beau que tout, va te faire foutre Nicolas l'encratite, le coincé du foie, le pas généreux du clapet, le refoulé du tanin superbe et de l'ample bouquet. Il est beau, ce vin, on dirait des joues de préfet en fin de banquet. Et il sent bon. Vraiment très bon. Je ne sais pas si Milou a vraiment besoin de savoir tout de suite que je l'ai ouverte, celle-là. Mais j'avais pas le choix. Y'a légitime défense. J'ai plus que ça contre la déprime et les perspectives grisâtres des années à venir, les crispations, les regards en coin, les guégerres sournoises, les cons toujours plus nombreux qui se hausseront du col pour choper les dernières miettes en couinant aux pieds du patron du moment, aaah, berk, ça me dégoûte d'avance, non, faut pas penser à ça, je redescends, là, danger. J'inspire, je penche le verre tout doucement, je pose à peine la lèvre à la surface du disque de moire et de rubis, je goûte. Ooooh... C’est le petit Jésus qui vous descend dans la gorge en pantoufles de velours, ou un truc dans le genre, c’est écrit dessus, attendez que je regarde, ah voui, c’est écrit « château d’Eyquem ». Comme mon pote Montaigne. Tiens, Nicolas, le temps que je me resserve, lâche un peu ton Italienne, pose tes Breitling Orbiter, oublie deux secondes Versailles, et écoute ce qu'il dit des princes, mon pote Montaigne : « il n'est aucune condition d'hommes qui ayt si grand besoing que ceux-là de vrays et libres advertissemens. » Hein ? Il est pas con, hein ? Alors pourquoi t'as rien voulu écouter de nos advertissemens, espèce d'âne couronné ? Ah ça m'énerve, ça, et pis ça me re-rend triiiste, non, zut. Zou, encore un coup de Montaigne. Enfin d'Eyquem. Rho là là qu'il est bon, dis. Hé, c’est vachement mieux qu’un « chasse-spleen », qui a un super nom mais n’a que le nom, si vous voyez ce que je veux dire.



J’aurais vraiment voulu que cette année finissasse autrement… Et que je ne feignasse pas une connaissance hindoue du subjonctif (hips). Ouh là, attention, faut que j’fasse attention, c’est que je vais vous enduire avec de l’erreur si je continue. Enfin, non, Supercorrectrix, elle est là qui veille, et elle va me gronder si je continue à me fallaciser captieusement. Et je serai alors complètement anéantisée. D’ailleurs, rien que d’y penser, ça me déprime, donc allez (hops), je m’en remets un p’tit godet derrière la cravache, non la cravate, c’est encore Harry qui va être content. Ta gueule, Harry, t’entends, taaaa gueueueule ! Enfin j’dis ça, t’écris même plus, mon pôv' Harry. C’est vrai quoi, à la fin, personne ne m’aime. Je me défonce le trognon à écrire des trucs qui font hyper violence à mon hypertrichose de grosse feignasse (hiips), et personne vient me dire qu’y m’aime, et moi je veux qu’on m’êêêêêmeuh… Même Milou il est pas là. Y en a marre ! Tout le monde il est vraiment trop con pour comprendre que j’ai besoin d’amour ? Comme tous les universitaires de France, et ça, je vous le dis, Valérie (huups), elle l’a bien compris, elle nous envoie tous les jours des super preuves d’amour, que même on n’a plus le droit de rien faire sans son accord tellement c’est fusionnel. Ouais, c’est ça l’autonomie version Pécresse-poil-aux-fesses… Hips. Putain, c’est que ça me réussirait pas, le château d’Eyquem, en fait. Bah, de toute façon, y en a plus. Sifflée, la bouteille, a p’us, finie. Tout le monde a décidé de me faire ch… aujourd’hui. Quand j’vous le dis, qu’y en a marre. Allez, j’redescends.



Rhââââââ. Vache que c’était dur de r’monter ! Il est haut, c’putain d’escalier ! (hic) Et j’voyais des Nicolas ricanants (hic) sur chaque marche, alors paf, j’les écrasais avec mes (hic) super talons compensés, sauf que je m’suis tordu la (hic) cheville, et pis j’suis tombée dans les escaliers, et ça ça fait mal, (hic) bordel. Ouais, bordel. Pass’(hic) qu’aujourd’hui, c’est là qu’on est. Dans un foutu (hic) bordel (bon, faich’, ce hoquet). Bref, j'a reviendu dans mon canapé, j'ons ouvert ma topine. Bon là, c’est marqué « Cheval blanc », comme celui d’Henri IV, un aut’ pote à moi. J’ai pas réussi à tirer le bouchon, alors j’l’ai enfoncé, plouf, paf, tombé in the bottiglia. Boaf, ça changera pas le goût, à la vitesse où je l'descends, t't'façon. Et puis aussi, j’vous avais pas dit, j’ai acheté des clopes. Et là j’en fume une. Non, un. Un clope. Clopin clopant. Cloclo. Grand prix Cloclo comme Mamzelle obscure précaire. Ouh là, je me barre en sucette, Annie. Careful. Full, je suis full. Mais je dois être zen. J’prends une grande inspiration à chaque fois, ça m’fait un peu tousser, et j’ai un peu la gerbe, mais bon, ça doit être la piquette, au moins, j'ai pu envie de pleurer, tiens, plus du tout, a y est, anagagné, j'ai envie de péter toutes ses ratiches à la Pécresse, et pis d'enfoncer Nicovier Sarcos dans Xalas Darcozy, ou le contraire, m'en fous, et pis après, huuups, je me couche et faut plus me faire chier de la vie, nom de dieu de bordel de merde ! Ils comprennent, ça, les encalaminés ?



Nan i comprène pa, i comprène jamè rien.

Sa me soul.

Sa me souuuuul, grav.

Pékressédarkocétoulézotkon.

Jveupulévoir.

Jveupuvoirpersonn.

Osavapa. Padutou. Padutoudutou.

Epimerdyapludvin.

Féchiéputin.



(Rideau)

mercredi 1 juillet 2009

Jolie bouteille, sacrée bouteille (I)

Oui mais non mais je vois ce que vous voulez dire mais là ça ne marchera pas, c'est tout. Pas ce soir. Vous savez, j'ai déjà tout essayé pour me changer les idées. D'abord, j'ai commencé par cacher le dernier paquet de copies toutes corrigées de rouge, pleines d'annotations et de remarques judicieuses, amoureusement concoctées pour leurrer mon amour-propre et me faire à croire à moi - pas à eux, ils ne sont pas si bêtes, les étudiants - que c'était une session d'examen comme les autres. Hop, les copies, planquées dans une chemise, elle-même fourrée dans une grosse enveloppe, que j'ai ensuite glissée dans mon cartable, avant de le pousser du pied sous mon bureau. Mais ça n'a pas suffi. Alors j'ai aussi plié en seize le courrier me demandant officiellement de détailler et de justifier toutes mes séances de rattrapage, tous mes cours sauvages, tous mes enseignements alternatifs, tous mes polycopiés distribués dans un couloir aux sept étudiants qui avaient feinté le piquet de l'entrée, tous mes supports de cours en ligne, toutes mes réunions pédagogiques dans des cafés (aaah, mais c'est pour la bonne cause, hein, bien sûr : pour s'assurer que la formation des étudiants est aussi complète que possible, pour prendre la mesure de mon dévouement, pour reconnaître mes efforts à leur juste valeur). Eh bien, ce courrier de flic me demandant quasiment de rendre compte de mon emploi du temps heure par heure pendant toute la durée de ma grève, je l'ai donc plié en seize, et je l'ai rangé dans la poubelle, sous une peau de banane et six dosettes de café humides et dégoulinantes. Quand les flics en cravate viendront me demander si je ne manque de rien quand je tombe de sommeil sur un mémoire de master un vendredi à 2h30 du matin, quand ils s'excuseront de me parler comme à une OS dans un mauvais remake de Claire Etcherelli, quand ils arrêteront de s'imaginer en héraults d'une modernité qui ferait rire les chaises dans le moindre cabinet de conseil en gestion du personnel, quand ils penseront à me rembourser les six cents euros de bouquins achetés pour mon dernier cours d'agreg, alors oui, ce jour-là, je leur raconterai comment j'ai fait pendant quatre mois le grand écart (et c'est un bel exploit, avec autour des reins ce splendide chiffon Max Mara en duvet de poussin des Andes rebrodé) entre la grève et les cours, entre l'obstination hargneuse des ministres et la panique montante des étudiants.

Et puis voilà. Quatre mois de conflit, historique, on vous dit, l'Université n'avait pas connu ça depuis, ouh là là, jamais, dites donc, même David Pujadas sentait qu'il se passait quelque chose, c'est dire. Oui. C'est surtout la manière dont on s'est foutu de nous, qui est historique. Le moindre marin-pêcheur colle son chalutier en travers de la rade, zou, on lui envoie un ministre. Quand nos amis paysans mettent le feu à des piles de palettes devant les dépôts Leclerc, hop, une mission de conciliation. Les chauffeurs de taxi font un peu l'escargot boulevard Magenta, pfuitt, plus de décret. Nous, que dalle. Du mépris, des mensonges, des longueurs, des céhèresses habillés en cosmonautes, des présidents d'université qui dansent la macareña tellement ils tortillent du cul. Ils sont passés en force. Ils nous ont cassé les reins. Ils se sont moqués du monde. Non, décidément, ce soir, je l’avoue, je me sens en petite forme. J'aimerais rire un peu mais mon zygomatique, lui, est toujours en grève. J’ai eu beau me revernir quinze fois les ongles des pieds et vingt-cinq fois ceux des mains, j'ai eu beau recompter tous mes tubes de rouges à lèvres en les classant par ordre de taille, puis par ordre de prix, puis par nuance de couleurs, j'ai eu beau essayer en même temps mon nouveau blush éclat-des-jardins et le dernier mascara « Colossale Finesse », j'ai eu beau prendre un bain d’huile relaxante aux fragrances douces et fruitées d’orange, de mandarine et de lavande propices à la détente, j'ai eu beau mettre mes délicats orteils en éventail sur le rebord de la baignoire, rien n'y a fait, je suis triiiiiste, voilà.

J'ai même acheté Voici, Jour de France, Paris-Match, et Gala, histoire de découvrir les dernières robes de Rachida Dati et Rama Yade (non mais vous avez remarqué, d’ailleurs, à quel point elles sont merveilleusement naturelles au milieu des vedettes hollywoodiennes ?), ça n'a pas marché non plus. J’ai le moral dans les bas-résilles. Odilon Bébé Bourdon et Gaspard Bébé Cafard me chantent un blues en boucle. Ils ont la voix rocailleuse de Tom Waits et pincent les cordes de mon hypertrichose palmaire au rythme d’une ritournelle lancinante. Est-ce d’avoir trop tourné, belle obstinée, que mon cœur se lézarde quand je songe à la lutte ? Est-ce d’avoir trop (sur)veillé que ces pensées m’assomment autant qu’un uppercut (je sais, vous attendiez une rime aristotélicienne, eh ben non) ? Et si je tremble un peu, est-ce de voir rougir ces copies d’étudiants, qui s’épongent le front, qui disent oui, qui disent non, et puis qui foutent le camp ? Oooooh, c'est joli, ce que j'écris, ce soir, je vais reprendre un verre de ce magnifique Chablis, c'est peut-être ça qui va me sauver, tiens.

Ce devait être la lutte finale, la réfection du genre humain, les lendemains qui chantent, le soleil above, radieux… Tous solidaires dans la ronde des obstinés, tous motivés, motivés, on devait rester motivés. Et aujourd’hui, quoi ? Il nous reste les yeux pour pleurer, sauf que mon mascara n’est même pas waterproof et que pleurer ça me donne le nez rouge, et que le look Auguste est incompatible avec ma classe impériale de grosse feignasse. Alors je renifle, je serre les dents, je souris, je me retiens. J'ai l'impression que si en plus je pleure, toute ma belle culture littéraire va achever de se désagréger, et je vais dégringoler lourdement dans le portrait psychologico-lacrymal à la Marc Lévy. Pas question. Je me retiens. Tu te retiens, il se retient, nous nous retenons. Nous retenons les notes. Notes retenues, retenues sur salaire, l’air malin, mal inspirée, pire jamais sûr, hi, hi, je pourrais me refaire les trois petits chats peau de paille à son. Ouh là, ça part en vrille. D'ailleurs, en parlant de paillasson, il me reste quand même aussi un canapé où me vautrer, roulée dans mon châle en vigogne caramel. Et puis il y a de la lecture, là, coincé entre deux coussins, qu'est-ce que c'est ? Tiens, le Cauchemar de Humboldt, je vous le recommande pour les soirs de déprime, c'est presque aussi chouette que Bridget Jones, sauf qu'en plus ça finit mal. Non, c'est absolument évident, il n'y a que mon vieux Chablis dans son verre ventru qui saura peut-être faire cesser ma pluie intérieure. Enfin pas un verre. Trois verres. Et même la bouteille, tiens, au point où j'en suis. C'est fou, ces grands verres de dégustation, ce que ça contient.

Sapristi, mais c'est vrai, la bouteille est vide ! Même le vin me fuit. C’est pas vrai, je l’ai déjà finie, je n’en reviens pas. Et ce soir, Milou, il n’est pas là. Je suis toute seule, et j’en ai marre. Marre marre marre. Et quand y en a marre, y a Malabar, Malabar (je chantonne gaiement tout en retournant mon verre vide). Si seulement Malabar pouvait être là, et faire la nique aux Pécresse poil aux fesses, aux Darcos poil à l’os, aux Sarkozy poil au – tout petit – zizi (je sais je m’égare, mais ce soir je m’en fous), qui font une nouba d’enfer sur les cortex complètement ratatinés des Enseignants- Chercheurs, qui en saignant cherchent heur. C'est marrant : plus j'ai l'impression de me façonner le foie de Michel Simon, plus je cause comme Raymond Queneau. Question de génération...

(à suivre...)