samedi 28 février 2009

Cauchemar du 22 février: en fait, ça continue

Je crois que je subis quand même quelques effets boomerang de la vidéo du 22 janvier. J'ai pourtant pris mes précautions en envoyant, au cas où (mon cauchemar disait peut-être quelque chose de vrai), ladite vidéo au collègue que je ne veux plus voir depuis ma soutenance de thèse (sans lui dire de la renvoyer à quelqu'un pour échapper à l'éventuelle malédiction, bien entendu). Et j'ai acheté un nouvel ordinateur.

Pour être beau, il est beau, tout en métal argenté brillant. Il est aussi superformant, super rapide, ultra sophistiqué, avec plein de gadgets innovants (on les doit à la recherche de pointe, efficace et immédiatement rentable, menée au sein de l'équipe E317 du CNRS, « Consommer / Ne Rien Savoir »). Le vendeur m'a assuré qu'il était conçu pour moi et que j'allais en mesurer rapidement les incroyables bénéfices.

Le premier incroyable bénéfice m'a sauté au visage quelques jours plus tard. Compte tenu, très certainement, des dépenses pharaoniques qu'il a fallu engager en recherche appliquée pour produire ma nouvelle machine, la boutique qui me l'a fourni a débité mon compte d'un petit mois de mon salaire. Je n'y avais pas vraiment pensé, j'ai de petits besoins (un tube de gloss par-ci, un eye-liner par-là, trois paquets de coton imbibé de solution réhydratante, quelques sachets de fruits secs, beaucoup de vitamine C, et une douzaine de bouquins par semaine, ça n'est pas le Pérou). Mais mon banquier, lui, a vu mon compte s'effondrer comme une PME de sous-traitance automobile un jour de grand vent. Il m'a appelé, et je suis instantanément devenue hypersensible à la notion de pouvoir d'achat : sous prétexte que je m'étais enfin mise au niveau en terme d'investissement productif de long terme, histoire de maintenir mon ranking professionnel dans la grande compétition de la vie, voilà qu'on me parlait de sucrer mon crédit-vernis et mon budget rouge à lèvres !

Comme je plaidais ma cause de feignasse, promettant d'envoyer les photocopies du certificat médical pour mon hypertrichose, le banquier s'est permis de suggérer que, peut-être, d'autres pouvoirs comptaient pour moi plus que le seul pouvoir d'achat, étant donné mon métier. Mon métier, un pouvoir ? Ben, oui, m'a expliqué l'onctueux : vos super-pouvoirs à vous, c'est le pouvoir de penser, de pouvoir de transmettre, le pouvoir d'écrire. C'est quand même plus important que le pouvoir d'achat. Je lui ai recommandé en termes peu amènes d'aller voir à Berkeley si j'y étais (le pouvoir de penser ! et puis quoi, encore ? il veut que je finisse au CNED pour insubordination ?), et j'ai décidé de m'octroyer une petite après-midi hammam / henné pour tâcher de me remettre les chakras en ligne. J'étais troublée. Je venais de découvrir la valeur existentielle du pouvoir d'achat.

En rentrant du hammam, fraîche comme les roses de Ghardaïa au petit matin, j'ai regardé la SurMachine. Désormais, mon pouvoir d'achat, je l'avais devant moi. Quand, tout à coup, je me suis surprise à penser : « au boulot »... Ah, la vache, la trouille. J'ai fait dix minutes d'exercices respiratoires et j'ai dû manger deux paquets de Paille d'Or™ pour me remettre.



(à suivre...)


vendredi 27 février 2009

Cauchemar du 22 février: suite et fin?




« Ah, ma p’tite dame, là c’est l’disque dur qui est mort, on peut rien faire pour vous ». Instant de vertige orgasmique : « vous voulez dire que mon ordinateur ne marche plus ? du tout ? et qu’il ne remarchera pas ? jamais ? – Ben oui, ma p’tite dame, désolé. – Mais j’ai des articles à rendre, des cours à imprimer, des mails à envoyer : comment vais-je faire ? – Vous avez fait une sauvegarde ? » Blanc. Creux, gouffre, abîme au niveau de l’estomac (c’est bien mon cauchemar qui recommence). « Vous voulez dire que toutes les données sont irrécupérables ? – Ah ben ça, fallait y penser avant, ma bonne dame ; ça va être difficile. » Le cauchemar se poursuit. Toutes les précieuses secondes, minutes, heures, jours que j’ai volés à mon indéracinable nature de feignasse ; tous ces textes ; toutes ces pensées profondes ; tous ces supports de cours destinés à être utilisés, réutilisés, reréutilisés, tout ça, c’est perdu ? Y va falloir que je me retape tout ??? Et ce fainéant de réparateur qui n’est même pas foutu d’y faire quelque chose…

Cheminant tristement sur le chemin du retour, je me surprends à reprendre espoir : avec les brillantes initiatives du petit Nicolas et les coupes sombres dans les budgets des labos, mon directeur va sûrement me dire qu’on ne peut pas me racheter une bécane de sitôt. Dans ce cas, à moi le soleil et le calypso, l’ananas, la noix de coco, etc.

Je m’installe donc confortablement dans mon fauteuil Poang, un masque hydratant et deux rondelles de concombre sur la tronche, et je fais à l’aveugle le numéro d’un collègue. Quand je lui raconte ma mésaventure en essayant d’avoir l’air très désemparée, ledit collègue me ricane au nez (enfin presque, disons qu'il me ricane au combiné) : « Et qu’est-ce que tu crois ? Que la fac va te racheter un ordinateur ? Allons donc, ma vieille, même pas en rêve ! Tu vas faire comme tout le monde : c’est toi qui vas t’en payer un, et vite. » Ah, ça, par contre, ce n’était carrément pas prévu : dans la budgétisation mensuelle, et ô combien rationnelle, de mes émoluments de lémurien, je n’avais pas envisagé la nécessité d’investir dans ces instruments indispensables à ma production intellectuelle – ce qui est une grossière erreur, quand on y songe. Après tout, puisque j'achète mes livres, mes cartouches d'encre, mes billets de train, mes trombones, mes crayons, mon lait de soja et mon autobronzant moi- même, je ne vois pas pourquoi je devrais trouver bizarre d'acheter moi-même mon ordinateur, hein ? D’ailleurs le logiciel « Money » a même une rubrique « Frais professionnels non remboursés », que j’utilise avec une étonnante constance.

Mes rondelles de concombre me tombent des yeux, métaphore puissamment symbolique de cette lucidité soudaine, qui est, comme le disait mon pote René, « la blessure la plus proche du soleil ». Il va falloir que je prenne rendez-vous avec mon banquier et que j’obtienne un crédit sur trois ans à un taux avantageux. Il va encore me dire que je dépense mon argent n’importe comment, et soupirer « Ah ! ces universitaires… ! Vous me faites penser au professeur Tournesol : vous n’avez aucune conscience du monde réel… » (je trouve très vexant d’être comparée au professeur Tournesol, dont la mise en pli et la manucure laissent beaucoup à désirer). C’est vrai que les banquiers, eux, sont ancrés dans le réel, ils sont évalués et performants (s’il n’y a pas d’évaluation, il n’y a pas de performance, il faut le savoir) – à part l’écureuil qui a trop joué avec ses noisettes et quelques autres, mais c’est un détail.

jeudi 26 février 2009

Cauchemar du 22 février: la suite (2)

(Il faut savoir que, outre les cosmétiques et les livres – que j’achète juste pour décorer mon bureau et faire croire que j’ai beaucoup lu et réfléchi, mais en fait je souligne des passages et je corne les pages selon un algorithme aléatoire, plus sophistiqué cependant que celui des copies qu’on jette du haut de son escalier et qu’on note en fonction de la marche sur laquelle elles sont tombées –, mon principal pôle de dépense, c’est mon kiné. Parce qu’à force de me trimballer bouquins et bécane antédiluvienne de 14 kg sans la batterie, à force aussi de m’endormir dans mon transat « Travailler plus pour gagner plus » ou sur mon fauteuil Poang de chez Ikea, j’attrape des torticolis tout à fait handicapants pour qui prétend travailler.)
Une fois arrivée sur la splendide page d’accueil du moment (c'est la photo d’une réunion de travail particulièrement réussie : pour moi, c'est presque aussi exotique qu'un mafé de poulet), j’ai hésité à me rendormir. Mais ce cauchemar m’avait tellement bouleversée qu’il me fallait trouver une occupation. J’ai bien songé à me revernir les ongles mais, pour une fois, je savais que cela ne suffirait pas à me vider la tête. Dès que je fermais les yeux, je voyais revenir sous mes paupières l'horrible petite puce qui effaçait en bondissant le fruit de mes efforts. Je me suis donc replongée dans l’article que je devais rendre quinze jours auparavant, à paraître dans une revue de rang A (j’avais envoyé une photo de mes ongles au comité de lecture et il avait tellement adoré qu’il m’avait donné un blanc-seing, mais bon, il fallait quand même que j’écriv[iss]e quelque chose, maintenant) et j’ai essayé de comprendre la citation d’Umberto Eco qui lui servait de point de départ.
J’étais en pleine pause réflexive après avoir relu la première phrase, contemplant mon écran d’un œil pensif, pendant que l’autre – œil – vérifiait que les coloris de mon pyjama étaient bien coordonnés avec ceux de mon nouveau sautoir, acheté à la faveur des soldes et de la pause méridienne, quand soudain l’écran est devenu tout noir. J’agite faiblement le mulot, tapote nerveusement une ou deux touches, rien. J’essaie de l’éteindre, enlève la batterie, remets la batterie, appuie sur « Reset » et tous les boutons à portée de mes petits doigts, toujours rien. Je le prends, je le retourne, je le secoue, j’hésite à lui balancer un ou deux coups de pieds, à c’te feignasse d’ordinateur, puis je me dis non, que ça se verrait que j’ai fait exprès de le casser. Mon cauchemar est en train de devenir réalité. Il faut que je m’adresse à un spécialiste.
(à suivre...)

mercredi 25 février 2009

Intermède TLF: "Les estudes des lettres s'esteignent"

En attendant la suite des aventures de la Grosse Feignasse, un petit détour par un continent (pas si) lointain...

“Venons-en maintenant à la dernière cause de la ruine des sciences, livres, et librairies, qui vient toute des Princes. […] Or quand l'on voit que le chef fait peu d'honneur aux lettres, et, qui plus est, qu'il a la main escharce envers eux, et liberale à gens d'autres qualités, lors les estudes des lettres s'esteignent.”

La Bibliothèque d'Antoine Du Verdier, seigneur de Vauprivas, contenant le catalogue de tous ceux qui ont escrit, ou traduict en François, & autres dialectes de ce royaume, A Lyon, par Barthélémy Honorat, MDLXXXV, avec privilege du Roy.
spéciale dédicace à M.-Cl., lectrice de Du Verdier


Illiteratus rex quasi asinus coronatus est
(Jean de Salisbury, Policraticus, 2e moitié du XIIe siècle)


A compléter par la lecture d'une charmante sottie médiévale...

mardi 24 février 2009

Cauchemar du 22 février: la suite (1)

Je me suis réveillée en nage, et j’ai précipitamment allumé mon ordinateur qui, il faut bien l’avouer, est un vrai ordi de feignasse : il met des plombes à démarrer, il lui faut plus de cinq minutes pour ouvrir un fichier Word, et un peu moins de trois heures pour l’enregistrer. Parfois, il se met à faire un tintamarre incroyable (c’est sa soufflerie : il faut bien qu’il se rafraîchisse les circuits, tellement mon intensité de travail le pousse à la surchauffe) et, le temps de souffler, il réussit l’exploit d’être encore plus ralenti que d’habitude. L’élite des grosses feignasses, à laquelle j’ai l’honneur d’appartenir, sait apprécier à leur juste valeur les longues pauses que leur principal instrument de travail leur octroie : elles leur laissent le temps nécessaire à des activités essentielles telles que s’épiler les gambettes avec de la cire enrichie en aloe vera, faire rimer manucure, pédicure et sinécure, repriser les trous des collants à coup de vernis transparent, voire, dans les jours fastes, jouer en alternance au Démineur et au Spider solitaire (mais c’est moyennement drôle, parce que cet abruti d’ordinausore met des plombes à déplacer la dame de pique que je veux mettre en-dessous du roi de cœur afin de libérer le neuf de carreau).
Mon ordinausore, comme je le surnomme affectueusement, date d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître : l’alma mater (enfin, mon alma mater, car certaines ne se fendent même pas de ce cadeau de bienvenue) me l’a offert un lointain jour de septembre, lors de ma première rentrée, sous les regards envieux des collègues jaloux de mon processeur Intel 1,66 GHz et 504 Mo de Ram, qui leur révélait cruellement combien leur propre bécane était devenue poussive. Sauf que quelques années et quarante-douze mille cours, articles, comptes-rendus, emplois du temps, relevés de notes, diaporamas plus tard, c’est mon tour de le trouver poussif (mais quoi de plus jubilatoire, pour les grosses feignasses que nous sommes, que ces instruments de travail anti-compétitifs, non performants et dépassés ?). J’ai réussi cependant à le customiser de façon notable. Je lui ai tricoté, dans une laine toute douce, une housse amovible, ornée de petits nuages et de lapins bondissants (les lapins bondissants, c’était une erreur, ça fait trop de mouvement), garnie de microbilles (avant, j’avais mis des copies d’étudiants déchirées en tout petits morceaux, mais c’était moins bien) et, comme ça, quand mes petits doigts agiles s’engourdissent à force de pianoter sur le clavier et que mon regard bleu azur se voile à force de fixer l’écran blanc, hop, je le ferme, je le glisse dans sa housse et il se métamorphose instantanément en un merveilleux coussin moelleux (bon, parfois, le sommeil me surprend tellement vite que je n’ai pas le temps de mettre la housse, et que je me réveille une demi-heure plus tard, le front barré d’un « wxcvbn, ;:! » peu discret + un horrible torticolis qui nécessite l’intervention immédiate de mon kiné).



(à suivre...)

dimanche 22 février 2009

Cauchemar du 22 février

Depuis quelques temps, il se passe un truc bizarre avec mon ordinateur. Ça a commencé assez discrètement : je me suis aperçue que, chaque fois que j’essayais d’écrire « pensée », c’était automatiquement remplacé par « performance ». Peu à peu, ça s’est propagé : « réflexion » s’est trouvé remplacé par « action », « université » par « cluster », « pertinent » par « efficace », « sine qua non » par « si qua non », etc. Impossible d’annuler ces corrections. J’ai d’abord réussi à contourner la difficulté en utilisant des synonymes un peu moins courants (là, la correction automatique a abdiqué), mais le phénomène s’est amplifié : les fautes d’orthographe se sont multipliées, la syntaxe est devenue approximative. Et hier une nouvelle étape a été franchie : dès que j’ouvre un document, une tête de petit bonhomme avec de grandes oreilles se met à bondir en tous sens, sur mon écran, telle une puce excitée, et partout où il passe, le texte s’efface.

Je décide de consulter mon spécialiste. « Voilà, mon ordinateur donne d’étranges signes de faiblesse », lui dis-je. Je lui explique les symptômes, et il me regarde d’un air inquiet : « attendez, il faut que je vérifie quelque chose ». Il s’empare de mon ordinateur et disparaît dans l’arrière-boutique. J’en profite pour retoucher mon maquillage. Quand il revient, il me paraît un peu blafard (je pourrais peut-être lui conseiller mon fond de teint ?) : « dites-moi franchement : avez-vous regardé la vidéo du discours du 22 janvier ? ». Ben, ouais, comme tout le monde (universitaire), c’était quand même une top extase pour mon narcissisme de feignasse ; mon hypertrichose palmaire en est ressortie totalement revigorée, de cette petite vidéo. Son expression inquiète vire à l’absolument désolé devant mon hochement de tête affirmatif : « les symptômes que vous me décrivez attestent que votre ordinateur a été atteint par le virus du 22 janvier ». Ce qui veut dire ? « Eh bien, les symptômes sont indiscutables : cette vidéo contient un virus, et le support sur lequel vous l’avez regardée est condamné à brève échéance. Dans les prochains jours, tous vos documents vont être peu à peu éliminés du disque dur ; et vous ne pourrez pas non plus en écrire de nouveaux. » Instant de vertige orgasmique. Mais il ajoute, d’un air lugubre : « et il est trop tard pour une sauvegarde. » Blanc. Creux, gouffre, abîme au niveau de l’estomac. Voyons, cela fait combien de temps que j’ai pas fait de sauvegarde ? Depuis ma dernière visite à la BNF ? mon dernier colloque ? ma dernière communion ? Et la base de données que j’ai complétée hier et que je n’ai pas encore envoyée aux collègues ? Le vertige orgasmique cède la place à un profond abattement (post coïtum, animal triste), et je déglutis péniblement : « vous voulez donc dire que je vais tout perdre ? ». Le spécialiste semble hésiter à parler, il fuit mon regard, puis finit par demander d’une voix un peu tremblante : « Et vous ? Vous vous sentez comment ? » Pas trop mal, ma foi. Je suis en train de mesurer les avantages de cette attaque virale : à moi le soleil et le calypso, l’ananas, la noix de coco, à moi les alizés, les vents tropicaux, à moi les longs mois à ne rien foutre avec une excuse en béton (même si je l’ai tellement utilisée que plus personne ne va me croire maintenant que c’est vrai) – j’ai cassé mon ordinateur et j’ai tout perdu.

Il insiste : « Depuis combien de temps avez-vous regardé cette vidéo ? – Hummm, ça va faire cinq jours. – Bon, il vous reste deux jours pour la copier et l’envoyer à quelqu’un qui la regardera et supportera à votre place la malédiction. – Pardon ? – Oui, une semaine après avoir vu cette vidéo, sauf si vous faites ce que je viens de vous expliquer, quelqu’un viendra frapper à votre porte (“bling bling”). Vous ouvrirez (vous ne pourrez pas vous en empêcher) et là, tout ce qu’il y a en vous de chercheur disparaîtra. »

vendredi 20 février 2009

TLF post manif

Trop la flemme d'écrire aujourd'hui. Du coup, comme le suggère judicieusement l'une de mes collègues, je vais dépenser toute mon énergie dans le classement de sandales.

jeudi 19 février 2009

La Grosse Feignasse à la BNF (fin)



Oui, m'explique-t-on. “Celui-ci, ben il est trop abîmé” (personne l'a lu, depuis le dépôt légal il y a 153 ans, mais les bouquins visiblement ça s'use si on s'en sert pas). Trop génial. Un de moins.
“Euh, celui-là, il manque à l'inventaire” (ma parole, mais c'est mon anniversaire!!).
“Celui-ci, il est à la réserve des livres rares, on peut vous le laisser consulter mais là-haut.” Non mais, elle m'a regardée, je vais pas en plus monter un étage, en prenant des ascenseurs qui font trop peur?! Je décline sa proposition, finalement il était pas si important ce bouquin.
Reste le quatrième. J'allais pour faire la gueule, je me reprends à temps, je prends le livre en mains, mon œil morne se pose dessus… hosannah au plus haut des cieux! Les pages sont pas coupées! “Siouplé… Mademoiselle… Il faudrait, euh… le découronner” (je sais le mot, ça fait des tas de fois que ça m'arrive, j'ai du mal à prendre l'air agacé tellement ça me donne des palpitations, c'est mon jour de chance c'est mon jour de chance!).

Vingt minutes, je gagne vingt minutes! Je vais faire péter mon high score! Le temps que la jeune fille appelle une personne digne de découronner un livre du XIXe siècle au coupe-papier en bois, je file dans les toilettes super secrètes de l'étage, il faut pousser des tas de portes lourdes mais on a un spot incroyable pour se refaire l'épilation sourcils.

Je reviens une demi-heure plus tard, finalement j'ai profité j'ai fait aussi un raccord maquillage. Le livre a les pages coupées. Parfait. Je m'installe. Mon article va fourmiller de détails vrais vraiment lus dans des livres d'époque, j'ai un sursaut de courage, allez poulette au travail. Ça me dure… au bas mot une quarantaine de minutes. Chais pas, une nausée, le besoin de me dégourdir la gambette, les mains moites faut que je retourne les laver, je me reprendrais bien un p'tit café moi. De fil en aiguille, c'est presque l'heure de manger. Je repasse à ma table, juste le temps de m'assurer que les sièges vraiment sont pas confort, trop lourds, trop profonds, impossible de s'avachir, vraiment non pas possible de se concentrer il vaudrait mieux que je fasse une vraie pause. Je décide que j'ai assez lu mon petit livre coupé, je le rends à la banque, m'affaire fiévreusement autour des ordinateurs (j'aime bien, tu mets ta carte, il te reconnaît, hop, tu l'enlèves, tu la remets, il te reconnaît, hop…hop…), commande trois autres livres pour l'après-midi, et me mets en quête d'une flemme de base pour agrémenter ma pause-dînette.

C'est pas que ça manque, là-bas, on pourrait même dire que c'en est un nid, et que ça erre dans les couloirs moquettés de rouge, et que ça bavasse devant les cafés, assis avec un casse-croûte sur les marches où c'est écrit qu' “il est interdit de manger en dehors des cafés”. Je me dégotte une paire de traîne-savate de mon acabit, deux littéraires de la fac de X… qui sont venus flemmasser une journée à la capitale — parce qu' à force de se la couler douce toujours à la même place ça finit par se voir. De fil en aiguille, nous voilà menés au milieu de l'après-midi, j'ai l'idée que je passerais bien à ma table, tiens, pour voir si les choses ont bougé un peu là-bas. En chemin, je vais bien croiser un ou deux prosimiens de mon espèce. Ça manque pas, je me prends encore une ch'tite demi-heure dans la vue.
A ma table, la loupiote me dit qu'on m'attend à la banque. Et là, mazette, j'en crois pas mes yeux, le sang palpite à mes oreilles, limite je vais me sentir mal de joie:

“panne de compactus. Vos livres ne peuvent pas vous être communiqués”.

Ça, c'est ce qu'on appelle une journée grandiose!

mercredi 18 février 2009

La Grosse Feignasse à la BNF (2)


(la suite)
C'est à cette étape qu'on voit si t'es une vraie Grosse Feignasse ou un simple tire-au-flanc débutant, voire un thésard. Tout est affaire de minutage et faut rien laisser au hasard. Normalement, à ce stade, tu passes ton badge dans le portique et la machine t'autorise à descendre à l'étage des chercheurs. Bien sûr, une fois par an, le truc s'allume et tu peux pas passer. Là, bingo! Ta carte est périmée. Tu passes par le guichet "accueil de l'Est" et tu en prends pour une heure. Mais des chances comme ça, ça peut pas arriver tous les jours! Donc les autres jours, tu passes le portique, tu passes les doubles portes, tu t'envoies les deux escalators façon Voyage au centre de la Terre, tu repasses le portique, et là, devant le vigile débonnaire, tu présentes ton badge et la machine te dit "réservation expirée – accès interdit". Ça pour le réussir, faut un peu s'entraîner. Une histoire de timing. Ce matin, du cousu main: obligée de m'adresser au guichet dans mon dos. “ah, ben c'est bête, j'avais réservé ma place et mes livres, vous croyez que?…" Ben non, Madame, votre réservation a expiré depuis trop longtemps, l'aurait fallu appeler, maintenant vos livres ils sont repartis en magasin. Va falloir refaire une commande.

Yes! Je viens de gagner trois quarts d'heure! On me réserve une nouvelle place, je vais y poser mes affaires, je réserve de nouveau mes bouquins, et me voilà bien obligée d'attendre qu'ils arrivent, au café de l'Est, devant un bon petit double-café avec cannelés! Le bonheur tient à peu de choses…

Arrive tout de même un moment où la feignasse de base se dit qu'elle devrait rejoindre sa place. Le bon goût veut qu'au café de l'Est on respecte un certain turn-over, ce qui permet à ceux qui viennent là que pour draguer d'avoir un peu la paix. Je regagne ma place, le voyant clignotant me dit que mes livres sont arrivés: damnation, il va falloir bosser. Léger coup au moral. Le me rends à la banque, et c'est là que je découvre qu'aujourd'hui, bon sang, j'ai la BARAKA! La fille me dit “pour vos ouvrages, vous avez une réponse”. (là, je traduis, pour les pas habitués de la béhènèffe: “vous avez une réponse” veut dire “vous avez une réponse négative”: on veut pas vous le laisser consulter, ce bouquin!). Le plus dur dans ce cas-là c'est de réprimer un hululement de joie. Je prends l'air contrarié, j'ai vu faire des collègues plus expérimentés, normalement le Professeur des Université fait ça très bien. Ah? Dis-je. C'est ennuyeux.

( à suivre…)

mardi 17 février 2009

La Grosse Feignasse à la BNF (1)



C'est pas ma semaine, vraiment: déjà l'autre jour j'avais voulu travailler; et là, je ne sais pas, une poussée de fièvre, je me dis, “Allez, la Feignasse, va voir un peu à la BNF si j'y suis!”. C'était pourtant pas l'envie qui me démangeait, à la base. Cet article, je pouvais bien le faire à coup de copier-coller de wikipedia, comme mes étudiants. Mais non, il a fallu qu'un démon mal intentionné me souffle à l'oreille, insidieusement, que les bouquins dont je parlais, il aurait peut-être fallu les lire, enfin au moins les voir, enfin au moins mettre leur cote en note de bas de page. Le truc pas drôle dans l'affaire, c'est que je travaille pas sur des livres sortis en poche et disponibles à 7 euros à la Maison de la presse, ben non, faut toujours que ce soient des éditions introuvables dans des états pas possibles que même à la BNF ils savent pas s'ils ont vraiment eu raison de les conserver.
Des jours comme ça, faut s'infuser le train de trop tôt le matin — parce que la Feignasse, avec ses émoluments de lémurien, elle s'offre pas le billet heures de pointe, hé non. A peine dans le wagon je repère du coin de l'œil les sièges à éviter: là, un tire-au-cul de mon département, ici un flemmard de l'UFR d'Anglais, là-bas derrière deux planqués de la fac d'histoire, faudrait voir à pas se regrouper, ça finirait par se voir. D'ailleurs les autres ont la même stratégie que moi. On se répartit harmonieusement dans le wagon, et chacun déploie les instruments de son camouflage: çui-ci qui ouvre son PC (en vrai il va regarder Jack Bauer pendant le trajet, mais quand ça s'allume et que le voisin jette un œil négligent sur l'écran ça ressemble à un tableau Excel), celle-là sort une énorme liasse de copies (la même depuis des années, elle change juste la copie du dessus, à cause du millésime). Moi je prends chaque fois un bouquin tout gris de chez Droz, je l'ouvre dès que je m'assois, ça décourage les conversations et ça pose le personnage. Le train démarre, me faut pas loin de dix minutes quand même pour retrouver le sommeil.
Bonne fille, la SNCF a beaucoup d'égards pour mon hypertrichose, elle s'arrange toujours pour me laisser un p'tit rab de sommeil d'une vingtaine de minutes. Mais arrive quand même un moment où il faut s'extirper du wagon et rejoindre cette foutue bibliothèque. Au moins, ce qui est bien, c'est que l'architecte a prévu le coup. Il devait savoir que son bâtiment allait héberger des propres à rien, et qu'il fallait pas les brusquer, surtout pas les prendre à rebrousse-poil, donc il a tout bien pensé comme il faut. Déjà, entre le début de l'esplanade et ta place à l'étage "recherche", tu as moyen de perdre un bon gros quart d'heure. C'est toujours ça où tu bosses pas. Les jours de pluie, compter vingt minutes: soit tu prends le risque de te gameller sur les planches glissantes, soit tu empruntes à petits pas de vieillard les allées anti-dérapantes prévues pour te rallonger le trajet d'une petite centaine de mètres. Coup de bol, ce matin, il pleuvait à verse! Après ça, la routine: le gars te fait passer quatre fois sous le portique parce que ça fait "bip!" (la quatrième fois, les types derrière commençaient à pas trouver ça drôle, j'ai tout sorti d'un coup, les clés et tout; vraiment, les mauvais coucheurs dans cette bibliothèque!). Après, si tu as bien calculé ton heure d'arrivée, y a la queue au vestiaire. Tu laisses passer devant les vieilles dames et les vieux messieurs, c'est toujours ça de pris, et après tu prends bien ton temps pour transvaser dans la malette transparente les machins in-dis-pen-sa-bles pour te session de travail au rez-de-jardin: vernis, i-pod, casse-croûte, le FigaroMadame, téléphone portable, nécessaire de manucure. Le jeune type allait emporter mes affaires, je l'ai rattrapé juste à temps: j'avais oublié de garder mon ordinateur! Bon sang, je devrais être plus attentive, je vais finir par me faire repérer.

(à suivre…)

lundi 16 février 2009

Aujourd'hui, la Grosse Feignasse a voulu travailler (3)

(suite et fin)

Dans l’escalier, je croise le doyen : « vous êtes là cet après-midi ? – Heu… - Non parce qu’il faut qu’on discute du plan Licence, vous savez ? Il y a une réunion à 14h30, ce serait bien que vous veniez. – C’est-à-dire que… - Oui, je sais, je vous ai prévenue un peu tard, mais on aurait besoin de votre avis. »
16h. Toujours pas ouvert ma boîte mail. Je suis assise devant mon bureau, le regard vitreux. Dans l’heure et demie qui me reste avant de devoir considérer que ma journée est finie (sinon, je n’ai pas le temps de faire les boutiques, ce qui serait un comble pour une feignasse comme moi), qu’est-ce que je vais avoir le temps de faire ? Ben tiens, corriger mes épreuves, au moins. Allez, j’ouvre mon mail : le message du doyen pour la réunion dont je viens de sortir, deux messages d’étudiants qui me demandent un rendez-vous, trois messages pour agrandir la taille de mon pénis, ah ! ma commande est arrivée !, douze messages « Re – grève administrative », et puis, ô joie, la revue RHLF (Revue Hilarante et Libertaire des Feignasses) qui m’annonce fièrement en « objet du message » : « épreuves ». Je clique pour ouvrir le fichier attaché, et ce c… d’ordinateur me lance un « cling » retentissant dans les oreilles : « Impossible d’ouvrir le fichier ». J’insiste en essayant de « choisir le programme dans la liste », puis de « trouver le programme approprié sur Internet », et parviens à obtenir… un fichier rempli de signes cabalistiques. Le temps d’envoyer un mail de protestation indignée, j’ai encore perdu trois quarts d’heure. Bon, j’ai bien un autre article en cours, je contemple le vernis qui commence à s’écailler sur mon pouce, j’hésite un peu, mais bon, allons-y. Je relis les premières lignes : « Comme le dit très justement Umberto Eco dans Lector in fabula : “Une sélection contextuelle enregistre les cas généraux où un terme donné pourrait être occurrent en concomitance (et donc être co-occurrent) avec d’autres termes appartenant au même système sémiotique” ». Ah bon ??? ça fait jamais que quinze jours que j’ai écrit ça, comment se fait-il qu’aujourd’hui j’y comprenne plus rien ?
Allez, pas la peine d’insister : la grosse feignasse se casse ! Je reprends mon sac. Bigre, qu’est-ce qu’il est lourd ! Ben ouais, c’est les bouquins que j’ai trimballés pour rien toute la journée. Voilà ce que j’appelle une journée productive, une vraie journée de feignasse sauf que j’ai même pas pu prendre de bain le soir, ma chaudière était en panne et ce feignant de plombier a pas voulu se déplacer.

dimanche 15 février 2009

TLF again (c'est le ouikand)

Le jeu du jour :



Si vous z'avez gagné rapidement et que vous vous ennuyez, et si jamais il vous avait échappé (parce que ça fait déjà quelques jours qu'il est en ligne mais je suis trop flemmasse pour le signaler tout de suite), vous pouvez aller lire l'article de Pierre Jourde (en plus, il parle de moi, ça se voit pas trop, dans un petit commentaire à la fin, mais quand même, j'suis un peu fiérote, merci Pierre Jourde - pour ça et pour le reste).

samedi 14 février 2009

TLF (Trop La Flemme) pour un billet aujourd'hui

"Poésie tranquille"
(D’habitude Musset me fatigue un peu)

« Oui, j’écris rarement, et me plais de le faire.
« Non pas que la paresse en moi soit ordinaire,
« Mais, sitôt que je prends la plume à ce dessein,
« Je crois prendre en galère une rame à la main. »

Qui croyez-vous, mon cher, qui parle de la sorte ?
C’est Alfred, direz-vous, ou le diable m’emporte !
Non, ami. Plût à Dieu que j’eusse dit si bien,
Et si net, et si court, pourquoi je ne dis rien !
L’esprit mâle et hautain dont la sobre pensée
Fut dans ces rudes vers librement cadencée
(Otez votre chapeau), c’est Mathurin Regnier,
De l’immortel Molière immortel devancier,
Qui ploya notre langue, et dans sa cire molle
Sut pétrir et dresser la romaine hyperbole.

Musset, Sur la paresse

vendredi 13 février 2009

Aujourd'hui, la Grosse Feignasse a voulu travailler (2)

(la suite...)
Les bureaux sont séparés par des cloisons, mais le mien est tout au fond (je l’avais choisi exprès à cause de la lumière, idéale pour vérifier son maquillage ; et aussi parce que je pouvais piquer un somme en douce, avec peu de risque qu’on me voie ; y a moins de passage dans le fond. Je n’avais pas pensé alors que je devais passer devant tous mes autres collègues pour y accéder). « Tiens, salut, ça fait une paye, comment tu vas ? – Tout va bien, euh, je suis un peu pressée là, tu sais. – Et les enfants ? – Ils vont bien. – Et au fait, tu te souviens de Trucmuche ? Il voudrait organiser une journée d’études, et il attend ta réponse. Tu as bien reçu son mail ? » Et blablabla et bliblibli. Je pose donc le dossier sur le bureau de mon collègue ; trop lourd à porter pendant tout ce temps. « Ah c’est ton dossier de subvention ? Tu pourrais m’expliquer comment on fait, là, il faut quoi comme papiers ? »
Bon, ça ne fait jamais que… Aïe, ça fait déjà une heure que je suis là et je n’ai même pas atteint mon bureau ! Je coupe donc court et je file à la bibliothèque. De loin, je vois approcher un groupe d’étudiants. Argh, ce sont les miens, et ils m’ont envoyé leurs travaux la semaine dernière, va falloir que j’en dise un mot, surtout qu’il y a beaucoup à revoir… Je me reprends une bonne demi-heure dans la vue. Au PEB, c’est le même sketch qu’au secrétariat (il est où ? ah il est là ! non c’est pas l’bon…).
Je regagne mon bureau en refusant obstinément de croiser le regard réprobateur de ma montre : j’allume l’ordinateur et, en attendant, je retouche un peu mon maquillage tout en ouvrant, d’un orteil distrait, le bouquin enfin retrouvé (on s’était trompé de fiche, désolés, c’était pas le bon nom, c’est pour ça) par le PEB. Pas le temps de fermer mon rouge à lèvres que le téléphone sonne. La secrétaire a retrouvé les conventions…
En fait, les conventions n’étaient pas complètes, il faut les renvoyer aux étudiants. Bon, je vais peut-être pouvoir consulter mes mails. Mon œil est alors attiré par une tache rose vif au bord de mon écran. Un post-it m’indique : « envoyer tiré à part à Bidule, Trucmuche et Machinchose ». Re-m… Je voulais les expédier en guise de vœux, et on est le 30 janvier. Si je me dépêche, je peux encore les mettre au courrier avant midi. Mais faut que j’écrive un mot, et puis que je retrouve l’adresse de Machinchose.
Et puis le dossier, alors c’est quoi qui manque ? Rien moins que l’argumentaire. Ben c’est pas moi qui l’ai rédigé, j’ai rien moi dans mon ordi. J’appelle le secrétariat. C’est à rendre pour… ? Avant-hier, ah bon, OK, donc là faut vraiment que je le fasse ? Oui. OK.
A 14h, j’achève un argumentaire constellé de miettes (mon sandwich) et de taches de café (pourquoi, mais pourquoi je suis pas restée au lit ce matin ?). Faut que j’en réimprime une version propre. Plus de papier dans l’imprimante ? Pas grave. Plus de papier dans le placard ? Plus embêtant. Il faut descendre à la source, retourner au secrétariat…
(à suivre...)

jeudi 12 février 2009

Aujourd'hui, la Grosse Feignasse a voulu travailler (1)

Aujourd’hui, je ne sais pas ce qui m’a pris, je me suis réveillée de bonne heure ; je prends donc ma douche (le bain, c’est plutôt dans la journée après la sieste), mon p’tit déj’, et je m’arme de mon vernis à ongles pour aller lire mes mails (d’un œil seulement, faudrait voir à pas rater ma manucure). Pas d’bol, ma connexion déconne. Je suis embêtée quand même, car j’attends un truc important – la confirmation d’une commande de cosmétiques passée sur Internet, rassurez-vous, et pas du tout les épreuves, à rendre d’urgence, du dernier article que j’essaie de publier dans « une revue à comité de lecture » (très important, le comité de lecture, pour mon évaluation : mon évaluateur verra que je travaille bien si un comité de lecture a sélectionné mon texte ; ce serait peut-être encore mieux qu’il fasse lui-même le comité de lecture et aille lire directement mon texte, mais je m’égare).
Ainsi confortée dans mes habitudes de feignasse, j’entends la douce voix de mon hypertrichose, qui me susurre : retourne te coucher, retourne te coucher. Mais, va savoir pourquoi, je laisse simultanément germer une autre idée dans ma petite cervelle, et je décide (funeste idée : une feignasse ne doit jamais écouter sa cervelle) de me rendre à la fac pour consulter mon courriel (parce que si, à la réflexion, je dois bien recevoir des épreuves ces jours-ci et ce serait bête de manquer le coche). Tant qu’à y aller, autant bosser, je me dis aussi. J’entasse donc dans mon petit cartable, à côté de l’indispensable paréo, les trois gros bouquins que je dois me farcir pour mon cours du mois suivant. Et je pars.
Je n’ai pas plus tôt posé le bout de mon orteil vernis de rouge magenta sur la première marche de l’escalier qui mène à mon bureau (« mon » signifiant ici : « que je partage avec trois collègues mais j’ai quand même un tiroir à moi, pour mon miroir et ma pince à épiler ») que je m’entends interpeller : « ça tombe bien que tu sois là – me dit ma charmante collègue de comparée, avec qui j’ai eu la funeste idée (j’en ai quand même un paquet, de funestes idées qui compromettent ma nature de feignasse) d’organiser un colloque – on a un problème avec la subvention du Conseil Général ; le dossier n’est pas complet, tu peux regarder ça ? là, je dois partir en cours. » OK… Je passe donc au secrétariat récupérer le dit dossier. Pas le temps de l’ouvrir que l’autre secrétaire s’exclame: “Ah vous voilà! ça tombe bien, il nous manque les notes de M. X dans l’UE que vous coordonnez, et il ne me répond pas alors que les étudiants se plaignent. Vous pourriez vous en occuper ? ». OK, OK, un mail de plus à faire. « Ah, et puis, j’oubliais aussi, vous pourriez signer les conventions de stage des étudiants en UE libre ? ». Voui, voui. Je fais donc le pied de grue pendant que la secrétaire disparaît sous son bureau à la recherche de LA chemise rose avec écrit dessus « Stages UE libre ». « Pourtant, j’étais sûre de l’avoir mis là, je vous promets. – Ben c’est pas grave, je suis dans mon bureau, vous me prévenez quand vous l’avez retrouvée ? – Non, attendez, la voilà ! Ah non, ça c’est celle de l’année dernière… » Je sors précipitamment avant une nouvelle découverte (« Ah la voilà ! ») qui m’obligerait à attendre encore une fois le nouveau constat (« ah non, c’est pas ça »). Et m…, du coup, j’ai oublié de récupérer le livre que j’avais commandé au PEB. Faut que je redescende. Mais bon, je vais pas y aller avec mon dossier de treize kilos dans les bras ; vaut mieux que je le dépose sur mon bureau (je préfère éviter le secrétariat pour l’instant). Donc je monte.
(à suivre...)

mercredi 11 février 2009

Une aventure inédite du Petit Nicolas

Cette aventure inédite est déjà en ligne sur Fabula, mais elle sera publiée ici avec des illustrations. Patience... (n'oubliez pas que vous êtes sur le blog d'une grosse feignasse...)

lundi 9 février 2009

Pourquoi la Grosse Feignasse s'est bien amusée avec la mastérisation des concours

(suite et fin)

Tout change à la mi-octobre. Je me vois encore, en robe d’hiver, noire et rouge avec des losanges bleus, faisant rouler sur mes jambes plus si lisses un collant noir. Calé par une épaule ronde contre mon oreille, le téléphone laisse filtrer les propos de ma copine de fac : « T’as reçu la circulaire ? - La circulaire, quelle circulaire ? – Ben la circulaire du 17 octobre, tu sais ? ». Non, quoi, qu’est-ce que c’est, qu’est-ce qui se passe ? Il s’agit d’une « campagne d’habilitation de diplômes de masters pour les étudiants se destinant aux métiers de l’enseignement ». Je pouffe. On vient de les rendre, les maquettes, c’est une blague ? Et je retourne à mes orteils.
Sauf que non, c’est pas une blague. Et qu’une fois constaté le « fait néant » (un vrai néant, auquel on ne peut rien comprendre) que recouvre cette appellation pompeuse, on repouffe (mais d’un rire assez proche de la couleur de mon nouveau maillot de bain) en apprenant qu’il faut les rendre avant le 31 décembre. Enfin, je dis « je pouffe » : en vérité, mon sang de feignasse ne fait qu’un tour, et à une vitesse fulgurante pour une feignasse. Au cours des mois de novembre et décembre, j’ai heureusement découvert un nouveau jeu rigolo pour mes ongles : des sortes de tatouages, que tu peux coller sur le vernis et qui sont très décoratifs (mes étudiantes m’ont dit que ça s’appelait « nail-sticker »). Je dis heureusement, parce qu’il fallait bien ça pour rendre supportables les innombrables réunions auxquelles il a fallu assister, et au cours desquelles on nous répétait qu’il fallait rendre les maquettes. Tout en redécorant mes ongles, je chantonnais « Il était une maquette, pirouette, cacahouète / Il était une maquette, qui avait une drôle de raison, qui avait une drôle de raison », ce qui agaçait beaucoup mes voisins, mais la force de cette argumentation solidement charpentée a eu raison des exigences du ministre, qui a consenti à nous accorder un royal sursis. Jusqu’au 15 février. Il suffit de lui rappeler son âme d’enfant, avant qu’il ne devienne agrégé de lettres classiques, pour qu’il s’adoucisse et sente refleurir en lui la feignasse qu’il refuse désormais d’être (la feignasserie, c’est incompatible avec le petit Nicolas ; l’incompétence, ça reste à voir). Mais je crois que j’aurais dû aller plus loin, car ce qu’on demandait, nous, c’était un report d’un an, histoire de feignasser tranquillement, parce qu’on n’allait quand même pas se mettre à réfléchir sérieusement sur les moyens de réorganiser les concours : nous les feignasses, ce qu’on veut, c’est le statu quo. Toujours. On n’aime pas se remuer les méninges, et encore moins pour améliorer la situation de l’enseignement, ça prend trop de temps (enfin bon, d’après Xavier, quelques semaines pourraient suffire : en France, nous faisons des réformes, et nous les faisons bien).
Moi, ce qui me plaît aujourd’hui, c’est de me dire qu’on va organiser des cérémonies de non-remise des maquettes, ou bien de remise de non-maquettes. On va faire semblant, on va feindre de remettre des maquettes. On va faire du néant, à partir du néant, et qui retournera (peut-être) au néant. Feignant, faignant, fainéant, on va bien s’amuser.

Comment la Grosse Feignasse a découvert la mastérisation des concours

Pour moi, le BOF de l’année (= Best Of Feignasse), le truc que j’ai vraiment adoré, ç’a été la réforme des concours de recrutement dans l’Education Nationale : le truc où, pour s’en sortir, le seul moyen, c’est d’être une vraie feignasse, un vrai fainéant. Explication.
Je me vois encore, en robe d’été, blanche et jaune avec des fleurs de rideaux, en train de vaporiser sur mes jambes lisses une couche légère d’auto-bronzant, corrigeant de mes orteils toujours agiles une copie de L1 2e session (légère aussi, la copie) et prêtant une oreille distraite au ruisseau jaseur de la radio. Nous sommes le lundi 2 juin 2008, et la douce voix du petit Nicolas me parle, à moi et aux cadres de l'éducation et de l'enseignement supérieur réunis à l'Elysée : « Je souhaite, dit-il, que l'enseignant de demain soit mieux formé (c’est une bonne idée), que la durée de ses études soit allongée d'un an (ah bon ? mais pourquoi ?). Je souhaite en outre que la place des universités dans cette formation soit pleinement reconnue (c’est pas déjà le cas ? jusqu’à nouvel ordre, c’est à l’université qu’on prépare les concours) ».
C’est ainsi qu’en cette radieuse journée estivale, se trouvent quelque peu troublées ma sérénité bucolique et la perspective enivrante d’acheter un nouveau maillot de bain jaune canari. Mais il en faut plus pour perturber une grosse feignasse comme moi. Je passe mes mois de juin et juillet à me prélasser, comme chaque année, dans le transat généreusement mis à ma disposition par l’Université. Je le dois à la bonté de notre président, c’est cadeau, il faut juste en échange qu’on accepte d’y voir figurer le slogan « Travailler plus pour gagner plus », en hommage à la nouvelle devise de la patrie. En échange aussi, on reste à l’Université jusqu’à sa fermeture, autour du 24 juillet (et je pense que l’arnaque, elle est là, parce qu’en fait, un transat sans bord de mer, c’est comme un baiser sans moustache). A défaut de plage, je l’installe partout où je peux : à la bibliothèque, sur l’esplanade balayée par le vent, sur l’estrade des amphis (je l’emmène pour les surveillances mais c’est pas pratique, si je m’assieds dedans, je ne vois plus personne), dans les petites salles où ont lieu les soutenances (mon collègue est obligé de se pencher pour me parler, et il me donne de discrets coups de pied si je ronfle trop fort, mais c’est confortable). Cette année-là donc, je ne me déplace jamais sans mon transat (nos maquettes de master viennent d’être validées par le Ministère, c’est toujours ça de pris), jusqu’au moment de partir pour les vraies vacances, où je n’emporte rien d’autre que mes paréos, ma crème solaire, ma trousse de toilette, mon ordinateur, mon vanity, mon lait hydratant, mes tongs, mon chapeau… (cherchez l’intrus).
A la rentrée, bronzée (merci l’auto-bronzant), souriante et détendue à l’issue de ces vraies vacances (j’ai réussi à boucler mon cours d’agreg, trois communications et deux articles pour RHLF [Revue Hilarante et Libertaire des Feignasses] ; bon, ça m’a un peu empêchée de dormir et d’aller à la plage, mais j’ai acheté trois flacons de vernis pour compenser), la phrase du petit Nicolas revient trotter dans ma tête, mais pas au point de faire frissonner mon hypertrichose aussi palmaire que chronique.
(à suivre)

La Grosse Feignasse a beaucoup aimé...

"Faites comme Christophe Barbier : arrêtez de penser, lisez l'Express." (lu sur affordance.info)
Je vais donc lire l'Express: c'est mon hypertrichose palmaire qui va être contente...

vendredi 6 février 2009

La Grosse feignasse termine enfin sa bafouille

(la fin)

Comme j’ai plein de temps à perdre, Madame la Ministre, j’aime bien lire, sur Internet, qu’on est « la secte à six mois de vacances » ; j’aime bien me voir confirmer que je suis une vraie feignasse, au cas où je viendrais à en douter (ça m’arrive, parfois). C’est vrai que c’est cool, la vie universitaire : rentrée mi-septembre, fin des cours mi-avril, avec des semaines d’interruption entre les deux semestres. Sauf qu’en janvier et en mai, ce ne sont pas les vacances, mais les examens. Surveillances (j’en profite pour me vernir les ongles des pieds), corrections (le stylo rouge à lèvres dans la main). Relectures de mémoires (dans le bain, c’est pas grave). Soutenances (avec deux enseignants, pour qu’on puisse faire la sieste chacun son tour pendant que les étudiants causent). Ensuite, les jurys se réunissent fin juin (pour réfléchir ensemble à la couleur de nos maillots de bain). Et ensuite encore, il faut préparer l’année suivante : refaire les livrets, parfois les maquettes, faire passer des entretiens en M2 pro (en tongs et paréo).
Je passe donc mes journées à ne rien faire, ou presque.

J’oubliais un petit détail, Madame la Ministre : mon statut officiel, c’est « enseignant-chercheur ». Donc entre les cours, les copies, les soutenances et les réunions, il faut quand même que j’arrive à pondre quelques articles ou, encore mieux, des bouquins. Que j’aille à des colloques, ou que j’en organise. Que je participe à des projets de recherche, si possible que j’en monte. Que je trouve des financements. Que je constitue des dossiers. C’est rude, pour une feignasse comme moi. D’ailleurs, pour l’instant, je n’y arrive pas vraiment, parce que je suis trop occupée à ne rien faire (sauf entretenir mon hypertrichose).
Heureusement, votre gouvernement veille à tirer de temps en temps les feignasses de leur léthargie, à secouer le cocotier géant qui pousse dans nos mains. Autonomie des universités, réforme des concours, réforme des statuts… Budget en baisse, masters à réorganiser de fond en comble en deux mois, pour un concours dont votre collègue ne sait pas à quoi il ressemblera, service d’enseignement qui - à salaire égal - pourra aller jusqu’à 384 heures… Moi qui ne savais plus comment remplir mes journées (mon hypertrichose en a quand même pris un coup), me voici rassurée. Mais je me demande quand même si, juste par esprit de contradiction, je ne vais pas me mettre en grève : au moins, ça m’occupera, moi qui ne fais rien. Rien de rien.

Au plaisir, Madame la Ministre, pour le jour où vous voudrez rejoindre le club des Grosses Feignasses. Je n'ai pas trop le courage de saluer et tout le tralala, je me contente donc de signer:


La Grosse Feignasse

La Grosse Feignasse avait pas fini sa lettre

(la suite)

Ce qui m’ennuie un peu aussi, Madame la Ministre, c’est qu’à l’Université il faut accepter des « responsabilités pédagogiques ». Diriger le Département ou l’UFR, ou bien coordonner un diplôme, une préparation de concours… Ça s’appelle « pédagogique », mais en fait c’est très varié : on fait des emplois du temps, on organise des examens, on lit des dossiers (avec des pauses pour se remaquiller ou caresser amoureusement son hypertrichose, c’est uniquement pour ça que ça prend du temps)…Quand on est responsable d’un Master professionnalisant, il faut aussi contacter les professionnels, les accueillir, suivre leurs interventions pour pouvoir évaluer ce que les étudiants en ont retenu (parce que c’est quand même les profs qui corrigent les copies, pas les intervenants extérieurs)… Et puis il y a les stages. Les visites de stage. Les rapports de stage. Les soutenances de stage. Avec tout ça, je commence à avoir du mal à caser mon cours de yoga hebdomadaire.

Je suis un peu désappointée, Madame la Ministre. Moi qui avais choisi ce métier pour me la couler douce… Parce que c’est pas compliqué, de devenir universitaire : j’ai juste dû passer un concours de rien du tout, et puis faire une petite thèse, et puis après trouver un poste, n’importe où en France. Parce que bon, dans mon domaine, il y a moins de cinq postes par an ; donc forcément, on attend un peu. On n’est même pas sûr que ça arrive un jour. On n’est jamais que diplômé à bac + 8 (enfin, 11 dans mon cas, mais 11 ans que j’ai passés à me tourner langoureusement les pouces).


(à suivre)

jeudi 5 février 2009

La Grosse Feignasse écrit à son ministre

Madame la Ministre,



C’est une grosse feignasse qui s’adresse à vous. Il m’en a coûté de prendre une plume, ou plutôt de taper sur mon clavier ; ce fut même un calvaire, pour tout vous dire, car je souffre, comme la plupart de mes collègues, d’une hypertrichose palmaire chronique, la maladie des feignasses.
Jeune maître de conférences, qui plus est en littérature, je passe mes journées à ne rien faire. Rien de rien. Bon, d’accord, j’ai quand même quelques heures de cours à assurer : 192 h par an, réparties sur 24 semaines. Génial pour soigner aux petits oignons son hypertrichose palmaire. Le seul truc qui m’embête (outre devoir me lever les jours où j’enseigne), c’est que je n’ai pas encore découvert comment préparer mes cours en me prélassant dans ma baignoire, les doigts de pied en éventail. Il faut d’abord potasser pas mal de livres (ces bêtas, ils n’aiment pas l’eau), se tenir au courant de ce qui se passe dans la recherche (c’est pénible, tous ces gens qui écrivent des choses intelligentes) et donc éplucher revues et colloques, puis en faire une synthèse organisée, et enfin rendre le tout accessible aux étudiants. Pour le dernier point, quand un éclair de lucidité parvient à faire plier mon hypertrichose, je fais des diaporamas, ou pire, je mets mes cours et ressources en ligne sur l’ENT. Mais, même si ce n’est pas tout à fait la sinécure que j’espérais, ça laisse encore du temps pour faire les boutiques et bayer aux corneilles.
De temps en temps, il y a quand même des (beaucoup de) copies à corriger. Des dossiers, des mémoires à lire. Des rendez-vous avec les étudiants. Des soutenances à organiser. Des broutilles. De temps en temps aussi, il y a des réunions. De Département, d’UFR, d’équipe de recherche, de CEVU / CA / CS... Je n’ai pas chiffré, mais c’est vrai que je peux me vernir les ongles et envoyer des textos pendant ce temps : ce sont des activités compatibles avec mon hypertrichose.

(à suivre)