dimanche 22 février 2009

Cauchemar du 22 février

Depuis quelques temps, il se passe un truc bizarre avec mon ordinateur. Ça a commencé assez discrètement : je me suis aperçue que, chaque fois que j’essayais d’écrire « pensée », c’était automatiquement remplacé par « performance ». Peu à peu, ça s’est propagé : « réflexion » s’est trouvé remplacé par « action », « université » par « cluster », « pertinent » par « efficace », « sine qua non » par « si qua non », etc. Impossible d’annuler ces corrections. J’ai d’abord réussi à contourner la difficulté en utilisant des synonymes un peu moins courants (là, la correction automatique a abdiqué), mais le phénomène s’est amplifié : les fautes d’orthographe se sont multipliées, la syntaxe est devenue approximative. Et hier une nouvelle étape a été franchie : dès que j’ouvre un document, une tête de petit bonhomme avec de grandes oreilles se met à bondir en tous sens, sur mon écran, telle une puce excitée, et partout où il passe, le texte s’efface.

Je décide de consulter mon spécialiste. « Voilà, mon ordinateur donne d’étranges signes de faiblesse », lui dis-je. Je lui explique les symptômes, et il me regarde d’un air inquiet : « attendez, il faut que je vérifie quelque chose ». Il s’empare de mon ordinateur et disparaît dans l’arrière-boutique. J’en profite pour retoucher mon maquillage. Quand il revient, il me paraît un peu blafard (je pourrais peut-être lui conseiller mon fond de teint ?) : « dites-moi franchement : avez-vous regardé la vidéo du discours du 22 janvier ? ». Ben, ouais, comme tout le monde (universitaire), c’était quand même une top extase pour mon narcissisme de feignasse ; mon hypertrichose palmaire en est ressortie totalement revigorée, de cette petite vidéo. Son expression inquiète vire à l’absolument désolé devant mon hochement de tête affirmatif : « les symptômes que vous me décrivez attestent que votre ordinateur a été atteint par le virus du 22 janvier ». Ce qui veut dire ? « Eh bien, les symptômes sont indiscutables : cette vidéo contient un virus, et le support sur lequel vous l’avez regardée est condamné à brève échéance. Dans les prochains jours, tous vos documents vont être peu à peu éliminés du disque dur ; et vous ne pourrez pas non plus en écrire de nouveaux. » Instant de vertige orgasmique. Mais il ajoute, d’un air lugubre : « et il est trop tard pour une sauvegarde. » Blanc. Creux, gouffre, abîme au niveau de l’estomac. Voyons, cela fait combien de temps que j’ai pas fait de sauvegarde ? Depuis ma dernière visite à la BNF ? mon dernier colloque ? ma dernière communion ? Et la base de données que j’ai complétée hier et que je n’ai pas encore envoyée aux collègues ? Le vertige orgasmique cède la place à un profond abattement (post coïtum, animal triste), et je déglutis péniblement : « vous voulez donc dire que je vais tout perdre ? ». Le spécialiste semble hésiter à parler, il fuit mon regard, puis finit par demander d’une voix un peu tremblante : « Et vous ? Vous vous sentez comment ? » Pas trop mal, ma foi. Je suis en train de mesurer les avantages de cette attaque virale : à moi le soleil et le calypso, l’ananas, la noix de coco, à moi les alizés, les vents tropicaux, à moi les longs mois à ne rien foutre avec une excuse en béton (même si je l’ai tellement utilisée que plus personne ne va me croire maintenant que c’est vrai) – j’ai cassé mon ordinateur et j’ai tout perdu.

Il insiste : « Depuis combien de temps avez-vous regardé cette vidéo ? – Hummm, ça va faire cinq jours. – Bon, il vous reste deux jours pour la copier et l’envoyer à quelqu’un qui la regardera et supportera à votre place la malédiction. – Pardon ? – Oui, une semaine après avoir vu cette vidéo, sauf si vous faites ce que je viens de vous expliquer, quelqu’un viendra frapper à votre porte (“bling bling”). Vous ouvrirez (vous ne pourrez pas vous en empêcher) et là, tout ce qu’il y a en vous de chercheur disparaîtra. »

2 commentaires:

  1. J'ai eu peur !!!
    J'ai regardé cette vidéo ! Et je l'ai transmise dans l'heure à plein de gens que je connais qui adorent passer leurs journées à regarder des vidéos.
    Je l'ai même envoyée à des gens que je connais et qui BOSSENT !!
    Mais la fin me rassure, ouf !!

    Faut dire que je suis persuadé que le nombre de mails envoyés et reçus est un excellent indicatif de performance de chercheur (à développer parmi les prochains standards d'évaluation, mieux que le nombre de brevets, de publications...)

    D'ailleurs c'est bien pour cela que chaque matin je me fais violence pour ouvrir mon mail et retransmettre au service informatique tous les mails qui me proposent des pilules bleues-roses-vertes...(Je les reçois en multiples exemplaires, il faut bien que je les préviennent que le serveur bégaie.)
    Je les envoie aussi à des collègues en pharma, histoire qu'ils restent au courant du top de l'efficacité des molécules modernes !

    RépondreSupprimer
  2. Je suis tombée par hasard sur ce blog, et je me suis reconnue dans la feignasse. Vive les feignasses!!
    Euh, sinon, j'ai eu un peu de chance, le virus du 22 janvier, ben mon mac y résiste plutôt, mais moi pas du tout ! Saleté !!

    RépondreSupprimer