samedi 11 avril 2009

LGF corrige ses copies (3)

Bref, y a pas à tortiller, il faut les corriger, ces copies. Allez, je m’y mets. Je commence. Je lis trois lignes d’introduction, et soudain, je ne sais pas pourquoi, peut-être parce que l’étudiant a évoqué la blancheur immaculée, je me souviens que j’ai une lessive urgente à mettre en route. En descendant l’escalier jonché de vieilles copies, j’avise l’évier rempli de vaisselle sale et j’en profite pour donner un petit coup d’éponge.

Une bonne paire d’heures plus tard (lessive + vaisselle + coup de téléphone + séance de yoga pour me relaxer), j’y retourne. Je me repose sur ma chaise à roulettes, telle une libellule à la surface de l’eau, et je recommence. Cette fois, j’arrive au bout de l’introduction sans m’endormir une seule fois. Yes !

Pour me récompenser et me féliciter de cet exploit, je m’accorde un petit tour sur ma boîte mail. Tiens, un message urgent de mon éditeur ? Keskispas ? Quoi ??? Il manque une référence de page ? Pas possible, j’ai pourtant tout vérifié avec la plus extrême concentration (tout en jetant un œil à Valérie Damiano qui m’expliquait, à moi rien qu’à moi, comment je pourrais dynamiser mon espace de travail en accrochant un poster d’œil géant du plus bel effet, sauf que j’ai plus de place sur mon mur, avec tous ces bouquins, et puis Big Brother, malgré les temps qui courent, ce n’est franchement pas ma tasse de thé). Vite, vite, je prends une grande inspiration pour plonger en apnée dans l’incroyable bazar qui a envahi mon bureau, à la recherche de L’article où se trouve La précieuse référence urgentissime. C’est le moment que choisit mon estomac pour se manifester bruyamment et me rappeler que la pause méridienne est déjà largement dépassée. Bon, ben, une introduction en une matinée, c’est pas mal quand même, après tout, y a que le premier bas qui goutte, comme disait ma grand-mère alsacienne, et c’est peut-être pour cette raison que j’engloutis une part géante de kugelhof en guise de déjeuner.

Finalement, ayant épuisé mon stock, pourtant abondant, de manœuvres dilatoires, j’ai quand même classé les copies. J’ai réussi à en trouver cinq qui avaient calé à l’issue d’une introduction laborieuse. Déjà un huitième de fait ! J’ai à peine le temps de m’en féliciter que mes doigts impatients, faisant fi de ma chère hypertrichose, ont ouvert la copie suivante. Las… Le sommet du sommet de la pire épreuve de mon existence de feignasse. La copie que tu es obligée de lire à haute voix pour espérer y comprendre quelque chose, où tu sais qu’à la fin tu ne pourras pas mettre une note supérieure à 03 mais où ta conscience professionnelle, écrasant d’un coup de talon rageur et méchant la tendre idylle nouée entre ton hypertrichose et ta névralgie cervico-brachiale, t’oblige à lire la copie jusqu’à la lie, et à quand même corriger inlassablement les 25 fautes par ligne qui s’étalent sur 20 lignes par page et sur 6 pages. « K om le diz é leu Papino 103… ». Heureusement, c’est la conclusion.

Rendement : une copie corrigée en une heure trente ; il en reste encore 34. J’en fais des petits tas de dix, que je place perpendiculairement les uns aux autres. Parce que c’est extraordinairement compact, un paquet de copies. Ça ne se laisse pas entamer. Il paraît d’ailleurs que ça brûle difficilement. Même le feu ne peut s’insinuer entre les pages. Manque d’oxygène. C’est épais, c’est compact, c’est dense, c’est un objet contondant, un paquet de copies. C’est la matérialisation de l’ennui. Et le poids de chaque copie est de ceux qui vous tirent vers le bas. Je me suis assise relativement légère sur ma chaise, tout à l’heure – la légèreté des résolutions prises. Mais au bout de quelques pages, je me suis sentie envahie par cette pesanteur douloureusement familière, le poids du paquet de copies, poids de l’ennui, insupportable fardeau de l’effort inabouti. Mes paupières m’annoncent l’imminence du naufrage. La copie m’entraîne. Nous sombrons. (le premier qui identifiera le brillant pastiche auquel je viens de me livrer gagnera toute mon estime et un carambar).

Mais non, je me reprends, je dois me reprendre, il faut que j’aie corrigé la moitié du paquet ce soir, sinon, c’est foutu pour demain, je n’aurai pas le temps de refaire ma manucure ni de prendre un bain émollient pour retrouver une peau lisse et satinée. Un masque énergisant au concombre, deux carrés de chocolat supplémentaires, un petit snif de dissolvant, et c’est reparti. Mes yeux volent, mon stylo court, je ne me laisse abattre par rien, ni par les fautes d’orthographe aussi nombreuses que dans un discours de Nicolas le Petit, ni par les méandres fascinants de la mémoire étudiante (le saviez-vous ? Beaumarchais – étudié pendant la moitié du semestre en cours – est "l’inoubliable auteur du Mariage de Figaro, du Barbier de Séville et de La Mégère apprivoisée"), ni par leur connaissance non moins éblouissante de l’histoire littéraire ("le XVIIIe siècle est le grand siècle du roman d’aventures, illustré notamment par les Enfants du Capitaine Grant de Victor Hugo"), ni même par l’asphyxie progressive du correcteur, savamment orchestrée par ces petits filous feignassous : j’ai eu beau répéter, afin de ménager une chance de survie à mon hypertrichose, qu’il fallait (c’est notre priorité ab-so-lue, dixit Nicolas le Petit à propos de tout et n’importe quoi) respecter la marge rouge et laisser un grand espace blanc pour les remarques que je ne manquerai pas de faire, l’étudiant a horreur du vide et de la déforestation amazonienne, c’est pourquoi il couvre toute la surface de sa petite écriture, il écrit sur toutes les lignes de sa feuille à petits carreaux, il fait le tour du trou perforé pour le classeur, histoire de ne rien laisser perdre, il écrit le mot jusqu’à ce que la ligne ne puisse rien contenir de plus sans exploser, et moi je manque d’air, au secours, au secours, à l’aide ! Non, je me réveille en sueur, c’est un cauchemar, encore un, je continue de corriger des copies même dans mon sommeil, et demain il y a encore l’autre moitié du paquet qui m’attend ; psychologiquement j’ai mal joué, j’aurais dû en corriger une dernière avant de me coucher, juste pour pouvoir me dire que j’avais fait la moitié du chemin et même un peu plus, que ce qui est fait n’est plus à faire, tout ça.

Et l’autre qui prétend qu’il faut imaginer Sisyphe heureux.

7 commentaires:

  1. Ah ! Recevoir un carambar de la maîtresse…

    En faire reposer le délice sur une évocation de La Vénus à la fourrure ou se laisser aller à un plaisir minuscule et infantilisant de l’échoppe delermienne ?

    Ombre du faux-col effrayant de la grand-mère alsacienne... et de son kugelhof.
    Pauvre de moi! La réponse est Daniel Pennac.

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  2. Un peu de Kougelhopf, chère GF ? Il y en a un qui lève dans mon four, justement.
    Mais tout de même ! Nous parler copies, là, maintenant, alors que pour l'instant que je réjouis, naïve et innocente, à la pensée de la fin des cours, chassant obstinément l'idée de l'examen et donc des copies à venir...

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  3. Et c'est encore un militaire qui gagne une tringle à rideaux. Mon cher Harry, je t'envoie, depuis mon lieu de villégiature, un sachet de carambars si tu me laisses tes coordonnées, surtout maintenant que je sais qu'un jeune étudiant au doux regard non-bovin et à la culture encyclopédique alimente ses fantasmes de ma jupe de cuir et de mes ongles acérés. Mais, en parfaite maîtresse, j'avais prévenu les dangers du méandreux inconscient étudiant en faisant surgir une effrayante grand-mère alsacienne...
    Kougelhopf, d'ailleurs, c'est bien plus joli que le "kugelhof" imposé par mon correcteur orthographique. Merci bien, chère Souris des archives, pour cette aimable proposition. Je l'accompagnerai d'un verre de Gewurztraminer, que je boirai à votre santé, loin des soucis et des copies.

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  4. Ô sublime envoyée de la triple Hécate qui procède aux enchantements, si vous tenez sérieusement à me récompenser, veuillez plutôt détailler, lors de vos futures apparitions, le coloris et la texture de vos escarpins. Puis, tant que nous y sommes, ajoutez donc à vos attributs quelques accessoires de velours bleu et, surtout, parlez-nous de votre 4x4…

    Votre éphèbe dévoué.

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  5. Hou, hou, comme tu y vas, Harry! Ces jeunes gens sont d'une audace! Je vois que tu ajoutes à ta panoplie de pervers polymorphe celle du fétichiste, excellent. En revanche, Harry, sur le coup du 4x4, tu me déçois. LGF en 4x4? Non mais tu m'as bien lue? Qu'est-ce que j'irais faire dans un gros machin bling-bling qui, à chaque fois que je démarre, tue un ours polaire? Et qui risquerait de me conduire au boulot plus vite que prévu? Non, je me déplace à vélo, moi. Excellent pour se maintenir en forme et poursuivre les éloges de la lenteur et du temps perdu. Bon, promis, bientôt la vue de mon pied te fera défaillir...

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  6. Oh ! « Il est libre Max ! Il est libre Max !
    Y'en a même qui disent qu'ils l'ont vu voler… »

    Un tube de rouge à lèvres, justifiant à lui seul l’abattage du plus grand mammifère de la création, et un cartable avec sandales assorties, celui d’une centaine de lézards…
    Un fils Souchon ou deux pour cinquante mètres en 4x4, cela ne me semblait pas tellement culpabilisant.

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  7. La métaphore, Harry, la métaphore...

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