mercredi 8 avril 2009

LGF fait un cours magistral (3)

Mais z'alors, me direz-vous, car vous vous souvenez encore de mon incipit, bande de sacripants, mais z'alors, justement, ce grand vent de liberté qui va souffler sur les lettres, cette réforme, rénovation, révolution, nettoyage de printemps, lessivage à grande eau, modernisation au kärcher que nous annoncent nos élites dirigeantes, c'est plutôt une opportunité incroyable, non ? Une véritable grosse feignasse comme moi, dorée non seulement sur tranche mais aussi sur dos car je prends soin de me retourner toutes les demi-heures, devrait applaudir de ses deux mains savamment manucurées une opération qui consiste au fond à jeter aux orties tout cet enseignement gravement chronophage, non ? La grosse feignasse ne serait-elle pas prise ici en flagrant délit de contradiction, et mes rodomontades de patate de canapé ne cacheraient-elles pas une vraie belle psychologie torturée de workaholic, hmm ?

Eh bien non, et je vais prendre deux minutes pour vous expliquer pourquoi, de toutes façons je ne peux rien faire tant que mon masque revitalisant à la crème de boutons d'agave n'a pas séché. Voyez-vous, et c’est un scoop LGF : tout ce temps que me prend la préparation du cours magistral, ce n'est pas du temps perdu, c'est du temps gagné. C'est encore plus fort que Proust. Les heures de bouquinage en roue libre sous un chapeau de paille très Cannes 1953, les longues rêvasseries dans mon fauteuil à bascule, les soirées d'hiver où, roulée dans mon châle de vigogne caramel, je compulse une thèse de 1300 pages (rigolez pas, ça m'arrive) en écoutant la pluie que méprise en souriant un vieux Chablis assoupi dans mon verre ventru sur la table basse, tout cela, tout, fait partie du processus. Quand je me décide, non sans regrets, à m'asseoir devant mon bureau pour lancer la distillation, j'attaque une demi-douzaine d'heures de travail qui ne sont que la partie émergée de l'iceberg. Le reste est incalculable, lent, hasardeux, et je profite intensément de cette flânerie qui fait la masse véritable de mon travail. Je me promène dans les travées, je me laisse séduire par un vieux bouquin cent fois relu, je me lance au hasard dans le dépouillement fiévreux d'un domaine inconnu, tout cela est parfois désordonné, parfois inabouti, parfois vain (car la feignasse sait perdre vraiment du temps, et passer des semaines à explorer une hypothèse qui finalement s'étiole comme une parure de soie passée à 90°). Ma vraie, profonde, authentique nature de feignasse ne s'exprime nulle part mieux que dans ce temps lent, infiniment lent, qui me rend le vigneron sympathique et qui fait de l'enlumineur mon copain (celle-là aussi, je me suis creusé le cortex pour la trouver).

Alors évidemment, les vendeurs de modernité électronique, les promoteurs de l'activité-minute, de la séquence performante, de l'efficience à pédale, je leur ris au nez. Qu'ils aillent s'estourbir la comprenette dans leur Université aérodynamique, qu'ils fabriquent des projets mirobolants où l'on débitera de la connaissance en petits cubes, qu'ils fassent rêver les imbéciles avec des stages de déontologie des nouvelles technologies de l'information. S'ils nous traitent de grosses feignasses, c'est justement parce que notre travail ne colle pas avec leur réformite criarde. Nos heures de lecture nocturne, nos kilomètres de vieux papiers, notre goût des archives défroissées, ils ne sont pas câblés pour appeler ça du travail. Pas grave. Moi, je les emmerde, et je me ressers un verre de Chablis, pour que vivent les feignasses.



2 commentaires:

  1. Moi, je veux bien que mes impôts (s'ils sont utiles à cela) servent à payer des feignasses dans votre genre, du moment qu'en rentrant de mes six heures de faignacite aiguë à distiller mon savoir de GF bientôt experte à des apprentis GF, je peux me réjouir à la lecture de formules comme celle-ci "en écoutant la pluie que méprise en souriant un vieux Chablis assoupi dans mon verre ventru sur la table basse".
    Merci.

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  2. La souris m'a devancée : Merci aussi.
    Merci de rappeler que "l'efficience à pédale" ne remplacera jamais le temps passé à épauler telle étudiante qui, un an plus tard, vous cherche et vous trouve dans la foule manifestante pour vous assurer avec des fleurs dans les yeux que sans vous, elle n'aurait pas osé continuer ses études... Du temps gagné, du temps gagnant-gagnant.

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