jeudi 2 juillet 2009

Jolie bouteille, sacrée bouteille (II)

Dites, ça fait une quinzaine de minutes que je regarde un tout petit petit moucheron qui se noie dans une goutte de Chablis sur le rebord de la table basse, c'est normal ? Je ne suis même pas sûre d'avoir pensé à ciller. Ça me fascine, je dois avoir la lèvre inférieure qui pend un peu. Bon, il est temps d'agir. Je me lève pour oh la vache putain qu'est-ce que ça tourne, nom de dieu. Une bouteille de Chablis toute seule, en quoi, même pas une heure, ma fille, mais vous déraisonnez totalement. Hin hin hin, ta gueule la duègne intérieure, je titube, mais j'atteins dignement le loquet de la porte, et je me retourne d'un air triomphant pour contempler les deux mètres trente que je viens de parcourir sans choir, ha ha, pas morte la bête. Je tourne doucement la poignée avec une tête de conspiratrice, la même tête que je faisais, petite, quand je jouais à la maîtresse avec Vanessa, la fille de la voisine, et qu'on entrait à pas de loup dans la chambre pour surprendre notre classe de poupées et de peluches en train, forcément, de chahuter, ah ah, vous ne nous avez pas entendues arriver, on vous y prend, garmements (c'est pas une coquille, j'ai cru jusqu'au CM1 qu'on disait "garmement", maintenant ça va mieux, j'ai grandi, je sais qu'on dit ministre, comme tout le monde). Voui, mais cette fois, je ne vais pas prendre en flagrant délit des poupées Corolle accusées d'avoir copié sur la marionnette de Candy. Cette fois, je me faufile en catimini dans l'escalier de la cave, parce que faut pas me la faire, à moi, je sais un petit coin pas éclairé au fond, derrière un bout de mur rongé par les ans, qui sent le tonneau et le salpêtre et le bouchon ancien, ousque Milou range les belles bouteilles qu'il veut garder pour dans longtemps longtemps (dis donc, non seulement je chuchote à voix haute, alors que je suis toute seule, mais en plus je cause comme une débile, je vais bientôt pouvoir devenir conseillère rue de Grenelle). Mais dans longtemps longtemps, je serai où, moi, hein ? Dans une fac customisée par Coca-Cola et Christian Lacroix, entièrement équipée d’écrans plasma hors de prix, où les étudiants n’auront même plus besoin de venir, et où les profs ne seront même plus nécessaires ? Je serai purement virtuelle, et même virtuelle, on n’aura pas besoin de moi. Donc j'emmerde la terre entière, et je carpo diem, et je carpo aussi une bouteille.



Je suis remontée en tenant fermement la rampe de l'escalier, j'ai posé ma prise de guerre sur la table basse, j'ai rincé mon verre, et je l’ai ouverte, la merveille, en me pétant trois ongles, merde, mais c’est pas grave. Oh ce glou glou discret, liquide et gourmand, c'est plus beau que tout, va te faire foutre Nicolas l'encratite, le coincé du foie, le pas généreux du clapet, le refoulé du tanin superbe et de l'ample bouquet. Il est beau, ce vin, on dirait des joues de préfet en fin de banquet. Et il sent bon. Vraiment très bon. Je ne sais pas si Milou a vraiment besoin de savoir tout de suite que je l'ai ouverte, celle-là. Mais j'avais pas le choix. Y'a légitime défense. J'ai plus que ça contre la déprime et les perspectives grisâtres des années à venir, les crispations, les regards en coin, les guégerres sournoises, les cons toujours plus nombreux qui se hausseront du col pour choper les dernières miettes en couinant aux pieds du patron du moment, aaah, berk, ça me dégoûte d'avance, non, faut pas penser à ça, je redescends, là, danger. J'inspire, je penche le verre tout doucement, je pose à peine la lèvre à la surface du disque de moire et de rubis, je goûte. Ooooh... C’est le petit Jésus qui vous descend dans la gorge en pantoufles de velours, ou un truc dans le genre, c’est écrit dessus, attendez que je regarde, ah voui, c’est écrit « château d’Eyquem ». Comme mon pote Montaigne. Tiens, Nicolas, le temps que je me resserve, lâche un peu ton Italienne, pose tes Breitling Orbiter, oublie deux secondes Versailles, et écoute ce qu'il dit des princes, mon pote Montaigne : « il n'est aucune condition d'hommes qui ayt si grand besoing que ceux-là de vrays et libres advertissemens. » Hein ? Il est pas con, hein ? Alors pourquoi t'as rien voulu écouter de nos advertissemens, espèce d'âne couronné ? Ah ça m'énerve, ça, et pis ça me re-rend triiiste, non, zut. Zou, encore un coup de Montaigne. Enfin d'Eyquem. Rho là là qu'il est bon, dis. Hé, c’est vachement mieux qu’un « chasse-spleen », qui a un super nom mais n’a que le nom, si vous voyez ce que je veux dire.



J’aurais vraiment voulu que cette année finissasse autrement… Et que je ne feignasse pas une connaissance hindoue du subjonctif (hips). Ouh là, attention, faut que j’fasse attention, c’est que je vais vous enduire avec de l’erreur si je continue. Enfin, non, Supercorrectrix, elle est là qui veille, et elle va me gronder si je continue à me fallaciser captieusement. Et je serai alors complètement anéantisée. D’ailleurs, rien que d’y penser, ça me déprime, donc allez (hops), je m’en remets un p’tit godet derrière la cravache, non la cravate, c’est encore Harry qui va être content. Ta gueule, Harry, t’entends, taaaa gueueueule ! Enfin j’dis ça, t’écris même plus, mon pôv' Harry. C’est vrai quoi, à la fin, personne ne m’aime. Je me défonce le trognon à écrire des trucs qui font hyper violence à mon hypertrichose de grosse feignasse (hiips), et personne vient me dire qu’y m’aime, et moi je veux qu’on m’êêêêêmeuh… Même Milou il est pas là. Y en a marre ! Tout le monde il est vraiment trop con pour comprendre que j’ai besoin d’amour ? Comme tous les universitaires de France, et ça, je vous le dis, Valérie (huups), elle l’a bien compris, elle nous envoie tous les jours des super preuves d’amour, que même on n’a plus le droit de rien faire sans son accord tellement c’est fusionnel. Ouais, c’est ça l’autonomie version Pécresse-poil-aux-fesses… Hips. Putain, c’est que ça me réussirait pas, le château d’Eyquem, en fait. Bah, de toute façon, y en a plus. Sifflée, la bouteille, a p’us, finie. Tout le monde a décidé de me faire ch… aujourd’hui. Quand j’vous le dis, qu’y en a marre. Allez, j’redescends.



Rhââââââ. Vache que c’était dur de r’monter ! Il est haut, c’putain d’escalier ! (hic) Et j’voyais des Nicolas ricanants (hic) sur chaque marche, alors paf, j’les écrasais avec mes (hic) super talons compensés, sauf que je m’suis tordu la (hic) cheville, et pis j’suis tombée dans les escaliers, et ça ça fait mal, (hic) bordel. Ouais, bordel. Pass’(hic) qu’aujourd’hui, c’est là qu’on est. Dans un foutu (hic) bordel (bon, faich’, ce hoquet). Bref, j'a reviendu dans mon canapé, j'ons ouvert ma topine. Bon là, c’est marqué « Cheval blanc », comme celui d’Henri IV, un aut’ pote à moi. J’ai pas réussi à tirer le bouchon, alors j’l’ai enfoncé, plouf, paf, tombé in the bottiglia. Boaf, ça changera pas le goût, à la vitesse où je l'descends, t't'façon. Et puis aussi, j’vous avais pas dit, j’ai acheté des clopes. Et là j’en fume une. Non, un. Un clope. Clopin clopant. Cloclo. Grand prix Cloclo comme Mamzelle obscure précaire. Ouh là, je me barre en sucette, Annie. Careful. Full, je suis full. Mais je dois être zen. J’prends une grande inspiration à chaque fois, ça m’fait un peu tousser, et j’ai un peu la gerbe, mais bon, ça doit être la piquette, au moins, j'ai pu envie de pleurer, tiens, plus du tout, a y est, anagagné, j'ai envie de péter toutes ses ratiches à la Pécresse, et pis d'enfoncer Nicovier Sarcos dans Xalas Darcozy, ou le contraire, m'en fous, et pis après, huuups, je me couche et faut plus me faire chier de la vie, nom de dieu de bordel de merde ! Ils comprennent, ça, les encalaminés ?



Nan i comprène pa, i comprène jamè rien.

Sa me soul.

Sa me souuuuul, grav.

Pékressédarkocétoulézotkon.

Jveupulévoir.

Jveupuvoirpersonn.

Osavapa. Padutou. Padutoudutou.

Epimerdyapludvin.

Féchiéputin.



(Rideau)

2 commentaires:

  1. Comme il y eut jadis aux USA, l’histoire tragique d’une femme sex-symbol nécrophilisée, voici que jusqu’à aujourd’hui, en France, nous fut donné de suivre la destinée cahoteuse d’une icône de la paresse lascive, et dont la fin ne fut pas moins déchirante que Marilyn…

    Complot gouvernemental, vie affective atterrante (Milou rappellera (sans forcer) Jim Dougherty, le mari absent, engagé dans la marine « pour ne plus avoir à la supporter »…), alcoolisme, refus de l’âge, même désir consumant de tourner pour Shakespeare dans le but de faire taire les mauvaises langues (dans mon genre)…

    Si Gala pouvait donc m’entendre (exit Michael Jackson !),
    je leur commande cette une pour demain :

    Qui a tué La Grosse Feignasse ?
    - Les vacances ?

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  2. Une autre ! Une autre !... Cheers!

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