vendredi 3 juillet 2009

Rideau (LGF tire sa révérence)



Eh oui, rideau.

La grosse feignasse en a plein le dos. Ou plutôt, plein ses quatre dos.

Deux filles, deux garçons (pas les derniers pour les détails de cosmétologie, d’ailleurs), tous enseignants-chercheurs, l’ont fait vivre le temps d’un conflit qui n’est hélas pas fini. Sa légèreté leur a servi de respiration, mais elle était devenue difficile à tenir. Alors la grosse feignasse prend le large. Elle reviendra peut-être un jour. Google, qui nous surveille tous, vous tiendra au courant.

En attendant, ce sont quatre profs bien fatigués, et pas très confiants dans l’avenir de leur métier, qui vous saluent bien bas, qui remercient Xavier Harth pour les décors, Valérie Cardwell pour les costumes, tous les lecteurs pour leur fidélité, et leurs mères pour s’être connectées 12999 fois.

Bonne hypertrichose palmaire à tous.





Crédit photo : Compagnie Comme Telles

jeudi 2 juillet 2009

Jolie bouteille, sacrée bouteille (II)

Dites, ça fait une quinzaine de minutes que je regarde un tout petit petit moucheron qui se noie dans une goutte de Chablis sur le rebord de la table basse, c'est normal ? Je ne suis même pas sûre d'avoir pensé à ciller. Ça me fascine, je dois avoir la lèvre inférieure qui pend un peu. Bon, il est temps d'agir. Je me lève pour oh la vache putain qu'est-ce que ça tourne, nom de dieu. Une bouteille de Chablis toute seule, en quoi, même pas une heure, ma fille, mais vous déraisonnez totalement. Hin hin hin, ta gueule la duègne intérieure, je titube, mais j'atteins dignement le loquet de la porte, et je me retourne d'un air triomphant pour contempler les deux mètres trente que je viens de parcourir sans choir, ha ha, pas morte la bête. Je tourne doucement la poignée avec une tête de conspiratrice, la même tête que je faisais, petite, quand je jouais à la maîtresse avec Vanessa, la fille de la voisine, et qu'on entrait à pas de loup dans la chambre pour surprendre notre classe de poupées et de peluches en train, forcément, de chahuter, ah ah, vous ne nous avez pas entendues arriver, on vous y prend, garmements (c'est pas une coquille, j'ai cru jusqu'au CM1 qu'on disait "garmement", maintenant ça va mieux, j'ai grandi, je sais qu'on dit ministre, comme tout le monde). Voui, mais cette fois, je ne vais pas prendre en flagrant délit des poupées Corolle accusées d'avoir copié sur la marionnette de Candy. Cette fois, je me faufile en catimini dans l'escalier de la cave, parce que faut pas me la faire, à moi, je sais un petit coin pas éclairé au fond, derrière un bout de mur rongé par les ans, qui sent le tonneau et le salpêtre et le bouchon ancien, ousque Milou range les belles bouteilles qu'il veut garder pour dans longtemps longtemps (dis donc, non seulement je chuchote à voix haute, alors que je suis toute seule, mais en plus je cause comme une débile, je vais bientôt pouvoir devenir conseillère rue de Grenelle). Mais dans longtemps longtemps, je serai où, moi, hein ? Dans une fac customisée par Coca-Cola et Christian Lacroix, entièrement équipée d’écrans plasma hors de prix, où les étudiants n’auront même plus besoin de venir, et où les profs ne seront même plus nécessaires ? Je serai purement virtuelle, et même virtuelle, on n’aura pas besoin de moi. Donc j'emmerde la terre entière, et je carpo diem, et je carpo aussi une bouteille.



Je suis remontée en tenant fermement la rampe de l'escalier, j'ai posé ma prise de guerre sur la table basse, j'ai rincé mon verre, et je l’ai ouverte, la merveille, en me pétant trois ongles, merde, mais c’est pas grave. Oh ce glou glou discret, liquide et gourmand, c'est plus beau que tout, va te faire foutre Nicolas l'encratite, le coincé du foie, le pas généreux du clapet, le refoulé du tanin superbe et de l'ample bouquet. Il est beau, ce vin, on dirait des joues de préfet en fin de banquet. Et il sent bon. Vraiment très bon. Je ne sais pas si Milou a vraiment besoin de savoir tout de suite que je l'ai ouverte, celle-là. Mais j'avais pas le choix. Y'a légitime défense. J'ai plus que ça contre la déprime et les perspectives grisâtres des années à venir, les crispations, les regards en coin, les guégerres sournoises, les cons toujours plus nombreux qui se hausseront du col pour choper les dernières miettes en couinant aux pieds du patron du moment, aaah, berk, ça me dégoûte d'avance, non, faut pas penser à ça, je redescends, là, danger. J'inspire, je penche le verre tout doucement, je pose à peine la lèvre à la surface du disque de moire et de rubis, je goûte. Ooooh... C’est le petit Jésus qui vous descend dans la gorge en pantoufles de velours, ou un truc dans le genre, c’est écrit dessus, attendez que je regarde, ah voui, c’est écrit « château d’Eyquem ». Comme mon pote Montaigne. Tiens, Nicolas, le temps que je me resserve, lâche un peu ton Italienne, pose tes Breitling Orbiter, oublie deux secondes Versailles, et écoute ce qu'il dit des princes, mon pote Montaigne : « il n'est aucune condition d'hommes qui ayt si grand besoing que ceux-là de vrays et libres advertissemens. » Hein ? Il est pas con, hein ? Alors pourquoi t'as rien voulu écouter de nos advertissemens, espèce d'âne couronné ? Ah ça m'énerve, ça, et pis ça me re-rend triiiste, non, zut. Zou, encore un coup de Montaigne. Enfin d'Eyquem. Rho là là qu'il est bon, dis. Hé, c’est vachement mieux qu’un « chasse-spleen », qui a un super nom mais n’a que le nom, si vous voyez ce que je veux dire.



J’aurais vraiment voulu que cette année finissasse autrement… Et que je ne feignasse pas une connaissance hindoue du subjonctif (hips). Ouh là, attention, faut que j’fasse attention, c’est que je vais vous enduire avec de l’erreur si je continue. Enfin, non, Supercorrectrix, elle est là qui veille, et elle va me gronder si je continue à me fallaciser captieusement. Et je serai alors complètement anéantisée. D’ailleurs, rien que d’y penser, ça me déprime, donc allez (hops), je m’en remets un p’tit godet derrière la cravache, non la cravate, c’est encore Harry qui va être content. Ta gueule, Harry, t’entends, taaaa gueueueule ! Enfin j’dis ça, t’écris même plus, mon pôv' Harry. C’est vrai quoi, à la fin, personne ne m’aime. Je me défonce le trognon à écrire des trucs qui font hyper violence à mon hypertrichose de grosse feignasse (hiips), et personne vient me dire qu’y m’aime, et moi je veux qu’on m’êêêêêmeuh… Même Milou il est pas là. Y en a marre ! Tout le monde il est vraiment trop con pour comprendre que j’ai besoin d’amour ? Comme tous les universitaires de France, et ça, je vous le dis, Valérie (huups), elle l’a bien compris, elle nous envoie tous les jours des super preuves d’amour, que même on n’a plus le droit de rien faire sans son accord tellement c’est fusionnel. Ouais, c’est ça l’autonomie version Pécresse-poil-aux-fesses… Hips. Putain, c’est que ça me réussirait pas, le château d’Eyquem, en fait. Bah, de toute façon, y en a plus. Sifflée, la bouteille, a p’us, finie. Tout le monde a décidé de me faire ch… aujourd’hui. Quand j’vous le dis, qu’y en a marre. Allez, j’redescends.



Rhââââââ. Vache que c’était dur de r’monter ! Il est haut, c’putain d’escalier ! (hic) Et j’voyais des Nicolas ricanants (hic) sur chaque marche, alors paf, j’les écrasais avec mes (hic) super talons compensés, sauf que je m’suis tordu la (hic) cheville, et pis j’suis tombée dans les escaliers, et ça ça fait mal, (hic) bordel. Ouais, bordel. Pass’(hic) qu’aujourd’hui, c’est là qu’on est. Dans un foutu (hic) bordel (bon, faich’, ce hoquet). Bref, j'a reviendu dans mon canapé, j'ons ouvert ma topine. Bon là, c’est marqué « Cheval blanc », comme celui d’Henri IV, un aut’ pote à moi. J’ai pas réussi à tirer le bouchon, alors j’l’ai enfoncé, plouf, paf, tombé in the bottiglia. Boaf, ça changera pas le goût, à la vitesse où je l'descends, t't'façon. Et puis aussi, j’vous avais pas dit, j’ai acheté des clopes. Et là j’en fume une. Non, un. Un clope. Clopin clopant. Cloclo. Grand prix Cloclo comme Mamzelle obscure précaire. Ouh là, je me barre en sucette, Annie. Careful. Full, je suis full. Mais je dois être zen. J’prends une grande inspiration à chaque fois, ça m’fait un peu tousser, et j’ai un peu la gerbe, mais bon, ça doit être la piquette, au moins, j'ai pu envie de pleurer, tiens, plus du tout, a y est, anagagné, j'ai envie de péter toutes ses ratiches à la Pécresse, et pis d'enfoncer Nicovier Sarcos dans Xalas Darcozy, ou le contraire, m'en fous, et pis après, huuups, je me couche et faut plus me faire chier de la vie, nom de dieu de bordel de merde ! Ils comprennent, ça, les encalaminés ?



Nan i comprène pa, i comprène jamè rien.

Sa me soul.

Sa me souuuuul, grav.

Pékressédarkocétoulézotkon.

Jveupulévoir.

Jveupuvoirpersonn.

Osavapa. Padutou. Padutoudutou.

Epimerdyapludvin.

Féchiéputin.



(Rideau)

mercredi 1 juillet 2009

Jolie bouteille, sacrée bouteille (I)

Oui mais non mais je vois ce que vous voulez dire mais là ça ne marchera pas, c'est tout. Pas ce soir. Vous savez, j'ai déjà tout essayé pour me changer les idées. D'abord, j'ai commencé par cacher le dernier paquet de copies toutes corrigées de rouge, pleines d'annotations et de remarques judicieuses, amoureusement concoctées pour leurrer mon amour-propre et me faire à croire à moi - pas à eux, ils ne sont pas si bêtes, les étudiants - que c'était une session d'examen comme les autres. Hop, les copies, planquées dans une chemise, elle-même fourrée dans une grosse enveloppe, que j'ai ensuite glissée dans mon cartable, avant de le pousser du pied sous mon bureau. Mais ça n'a pas suffi. Alors j'ai aussi plié en seize le courrier me demandant officiellement de détailler et de justifier toutes mes séances de rattrapage, tous mes cours sauvages, tous mes enseignements alternatifs, tous mes polycopiés distribués dans un couloir aux sept étudiants qui avaient feinté le piquet de l'entrée, tous mes supports de cours en ligne, toutes mes réunions pédagogiques dans des cafés (aaah, mais c'est pour la bonne cause, hein, bien sûr : pour s'assurer que la formation des étudiants est aussi complète que possible, pour prendre la mesure de mon dévouement, pour reconnaître mes efforts à leur juste valeur). Eh bien, ce courrier de flic me demandant quasiment de rendre compte de mon emploi du temps heure par heure pendant toute la durée de ma grève, je l'ai donc plié en seize, et je l'ai rangé dans la poubelle, sous une peau de banane et six dosettes de café humides et dégoulinantes. Quand les flics en cravate viendront me demander si je ne manque de rien quand je tombe de sommeil sur un mémoire de master un vendredi à 2h30 du matin, quand ils s'excuseront de me parler comme à une OS dans un mauvais remake de Claire Etcherelli, quand ils arrêteront de s'imaginer en héraults d'une modernité qui ferait rire les chaises dans le moindre cabinet de conseil en gestion du personnel, quand ils penseront à me rembourser les six cents euros de bouquins achetés pour mon dernier cours d'agreg, alors oui, ce jour-là, je leur raconterai comment j'ai fait pendant quatre mois le grand écart (et c'est un bel exploit, avec autour des reins ce splendide chiffon Max Mara en duvet de poussin des Andes rebrodé) entre la grève et les cours, entre l'obstination hargneuse des ministres et la panique montante des étudiants.

Et puis voilà. Quatre mois de conflit, historique, on vous dit, l'Université n'avait pas connu ça depuis, ouh là là, jamais, dites donc, même David Pujadas sentait qu'il se passait quelque chose, c'est dire. Oui. C'est surtout la manière dont on s'est foutu de nous, qui est historique. Le moindre marin-pêcheur colle son chalutier en travers de la rade, zou, on lui envoie un ministre. Quand nos amis paysans mettent le feu à des piles de palettes devant les dépôts Leclerc, hop, une mission de conciliation. Les chauffeurs de taxi font un peu l'escargot boulevard Magenta, pfuitt, plus de décret. Nous, que dalle. Du mépris, des mensonges, des longueurs, des céhèresses habillés en cosmonautes, des présidents d'université qui dansent la macareña tellement ils tortillent du cul. Ils sont passés en force. Ils nous ont cassé les reins. Ils se sont moqués du monde. Non, décidément, ce soir, je l’avoue, je me sens en petite forme. J'aimerais rire un peu mais mon zygomatique, lui, est toujours en grève. J’ai eu beau me revernir quinze fois les ongles des pieds et vingt-cinq fois ceux des mains, j'ai eu beau recompter tous mes tubes de rouges à lèvres en les classant par ordre de taille, puis par ordre de prix, puis par nuance de couleurs, j'ai eu beau essayer en même temps mon nouveau blush éclat-des-jardins et le dernier mascara « Colossale Finesse », j'ai eu beau prendre un bain d’huile relaxante aux fragrances douces et fruitées d’orange, de mandarine et de lavande propices à la détente, j'ai eu beau mettre mes délicats orteils en éventail sur le rebord de la baignoire, rien n'y a fait, je suis triiiiiste, voilà.

J'ai même acheté Voici, Jour de France, Paris-Match, et Gala, histoire de découvrir les dernières robes de Rachida Dati et Rama Yade (non mais vous avez remarqué, d’ailleurs, à quel point elles sont merveilleusement naturelles au milieu des vedettes hollywoodiennes ?), ça n'a pas marché non plus. J’ai le moral dans les bas-résilles. Odilon Bébé Bourdon et Gaspard Bébé Cafard me chantent un blues en boucle. Ils ont la voix rocailleuse de Tom Waits et pincent les cordes de mon hypertrichose palmaire au rythme d’une ritournelle lancinante. Est-ce d’avoir trop tourné, belle obstinée, que mon cœur se lézarde quand je songe à la lutte ? Est-ce d’avoir trop (sur)veillé que ces pensées m’assomment autant qu’un uppercut (je sais, vous attendiez une rime aristotélicienne, eh ben non) ? Et si je tremble un peu, est-ce de voir rougir ces copies d’étudiants, qui s’épongent le front, qui disent oui, qui disent non, et puis qui foutent le camp ? Oooooh, c'est joli, ce que j'écris, ce soir, je vais reprendre un verre de ce magnifique Chablis, c'est peut-être ça qui va me sauver, tiens.

Ce devait être la lutte finale, la réfection du genre humain, les lendemains qui chantent, le soleil above, radieux… Tous solidaires dans la ronde des obstinés, tous motivés, motivés, on devait rester motivés. Et aujourd’hui, quoi ? Il nous reste les yeux pour pleurer, sauf que mon mascara n’est même pas waterproof et que pleurer ça me donne le nez rouge, et que le look Auguste est incompatible avec ma classe impériale de grosse feignasse. Alors je renifle, je serre les dents, je souris, je me retiens. J'ai l'impression que si en plus je pleure, toute ma belle culture littéraire va achever de se désagréger, et je vais dégringoler lourdement dans le portrait psychologico-lacrymal à la Marc Lévy. Pas question. Je me retiens. Tu te retiens, il se retient, nous nous retenons. Nous retenons les notes. Notes retenues, retenues sur salaire, l’air malin, mal inspirée, pire jamais sûr, hi, hi, je pourrais me refaire les trois petits chats peau de paille à son. Ouh là, ça part en vrille. D'ailleurs, en parlant de paillasson, il me reste quand même aussi un canapé où me vautrer, roulée dans mon châle en vigogne caramel. Et puis il y a de la lecture, là, coincé entre deux coussins, qu'est-ce que c'est ? Tiens, le Cauchemar de Humboldt, je vous le recommande pour les soirs de déprime, c'est presque aussi chouette que Bridget Jones, sauf qu'en plus ça finit mal. Non, c'est absolument évident, il n'y a que mon vieux Chablis dans son verre ventru qui saura peut-être faire cesser ma pluie intérieure. Enfin pas un verre. Trois verres. Et même la bouteille, tiens, au point où j'en suis. C'est fou, ces grands verres de dégustation, ce que ça contient.

Sapristi, mais c'est vrai, la bouteille est vide ! Même le vin me fuit. C’est pas vrai, je l’ai déjà finie, je n’en reviens pas. Et ce soir, Milou, il n’est pas là. Je suis toute seule, et j’en ai marre. Marre marre marre. Et quand y en a marre, y a Malabar, Malabar (je chantonne gaiement tout en retournant mon verre vide). Si seulement Malabar pouvait être là, et faire la nique aux Pécresse poil aux fesses, aux Darcos poil à l’os, aux Sarkozy poil au – tout petit – zizi (je sais je m’égare, mais ce soir je m’en fous), qui font une nouba d’enfer sur les cortex complètement ratatinés des Enseignants- Chercheurs, qui en saignant cherchent heur. C'est marrant : plus j'ai l'impression de me façonner le foie de Michel Simon, plus je cause comme Raymond Queneau. Question de génération...

(à suivre...)


lundi 29 juin 2009

LGF surveille un examen: Le Retour (part Four)

Quand tout le monde est sorti, Machin, qui est un gars méthodique, s'aperçoit qu'au total tous les étudiants de grec ont dû se rajouter à la main sur une liste d'émargement qui compte pourtant un bon gros paquet de noms. Bizarre, ça. Il fronce les sourcils, il remue des papiers, il prend l'air songeur, bref, il manifeste l'intention évidente d'éclaircir la question. Je me chuchote in petto qu'à mon avis éclaircir avec juste son cerveau le méga barnum de cette fin d'année c'est à peu près aussi réaliste que d'essayer de traduire Démosthène après une cuite à la vodka, quand je vois soudain Machin marquer l'arrêt façon braque de Weimar devant un terrier. Il a une enveloppe non décachetée entre les mains et les veines de son front palpitent doucement. Je m'approche, intriguée, mais je ne saisis pas encore le sens du regard un peu fixe de Machin. Il décachète mécaniquement l'enveloppe, sort un sujet, compare le sujet sorti avec le sujet sur lequel ont composé les étudiants partis, compare la liste d'émargement vierge à celle sur laquelle ils ont rajouté leur nom… et je comprends. Oh merde ! Ils ont composé sur un mauvais sujet ! Ils avaient "grec niveau 1 bis" et on leur a distribué le sujet "grec niveau 1", à peu près quarante fois plus facile. Et ils n'ont rien dit, les bougres ! Faut dire que le nom du prof est le même, le nom du cours aussi, le nom du niveau aussi, il faut juste savoir que les étudiants qui font "droit privé" sont en niveau 1 bis alors que "droit public" et "droit des affaires", c'est niveau 1. Limpide, surtout quand on a 8 sujets à distribuer en même temps, à des étudiants dont la moitié se plaignent bruyamment de ne pas avoir été avertis de la tenue de l'examen, tandis que l'autre moitié est incapable de dire quel sujet ils souhaitent vu qu'ils n'ont souvenir ni du nom du prof, ni de l'intitulé d'un cours auquel ils ne sont jamais allés de l'année. Machin attrape une feuille de brouillon (rose, pas le choix, et puis c'est raccord avec la grotesquerie surréaliste de l'ensemble de la séquence) et s'assied à une table vacante avec une tronche à faire cailler du lait frais. Il étale ses guibolles, dégaine son Reynolds feutre à bille noir écriture souple, pousse un soupir de bûcheron canadien, et entreprend de se fendre d'une belle petite bafouille pour expliquer au prof de grec pourquoi toutes les copies qu'il va trouver dans son enveloppe sont outrageusement bien réussies, et pourquoi en revanche tous les étudiants ont émargé sur une autre liste que la sienne… Pendant ce temps-là, partagée entre le fou-rire et l'explosion de colère, je fait mine de veiller sur le labeur des autres, tâche pas totalement exténuante dans la mesure où, au bout d'une heure, il ne reste plus que quatre étudiants dans la salle.

Arrivent les sept heures du soir, fin officielle de l'épreuve. Il ne reste plus dans la salle aux vitres embuées qu'un unique étudiant, qui relit sa copie en y ajoutant d'un geste nerveux quelques corrections de dernière minute. Avec Machin, on a libéré la collègue germaniste qui avait déjà raté deux trains pour rentrer dans ses pénates, et je remballe mécaniquement brouillons, sujets, listes d'émargement et copies inutilisées en surveillant le retardataire du coin de l'oeil, vaguement impressionnée par le sérieux du mec qui utilise posément l'intégralité du temps qui lui est imparti, drôle de vigie dans l'océan de bouillasse. Pendant ce temps, Machin achève de rédiger une autre lettre, pour expliquer à un autre prof que que les copies de son paquet viennent d'étudiants qui ont explicitement réclamé son sujet (et qui donc connaissaient son nom, probablement pour avoir assisté à une de ses séances, aussi incongru que ça puisse paraître) mais dont les noms figurent en fait sur la liste d'émargement d'un autre prof dont, à l'inverse, personne n'a réclamé le sujet. Une affaire presque banale. Comme il paraphe sa bafouille ubuesque d'une signature rageuse, l'ultime étudiant se lève, range ses affaires dans son sac, étire son interminable carcasse dégingandée, et s'approche de nous en souriant, sa copie à la main. Il émarge, nous salue d'un hochement de tête dans lequel je devine une once de compassion, et quitte la salle pour gagner des endroits ombragés où la bière est fraîche et l'existence, sans nul doute, plus raisonnable qu'entre nos murs. Nous voilà seuls, épreuve finie, calvaire terminé.

C'est alors que Machin, qui tient toujours à la main la copie que le grand escogriffe lui a tendue, éclate d'un rire hystérique. Je lui prends la copie des mains pendant qu'il s'affale sur le bureau qu'il martèle du poing en pleurant. Et je comprends, en survolant la copie soigneusement rédigée d'une grande écriture souple, que l'étudiant a traité sans broncher un sujet sur "les images de l'homosexualité dans la Rome impériale" alors qu'il avait manifestement appris par coeur, et donc cherché à recaser de force, sans paraître trouver un seul instant l'exercice incongru, le cours sur les transformations de la métaphysique dans la pensée allemande après Hegel. On est partis en courant, avec Machin, et on ne s'est arrêtés de courir qu'une fois arrivés dans la gargote incroyable juchée derrière la fac sur un remblai, où l'on s'est proprement finis au picon-bière jusqu'à la nuit.

Les examens, c'est crevant, je trouve.

dimanche 28 juin 2009

TLF: Une Université au crépuscule / Un pays à l'aube

Amérique, fin de la Première Guerre Mondiale.
L'agent Danny Coughlin, issu d'une famille irlandaise, est le fils aîné d'un légendaire capitaine de police de Boston, Thomas Coughlin. La scène se passe lors d'un repas de famille, en présence d'Eddie McKenna, meilleur ami de Thomas Coughlin depuis l'adolescence.

"Eddie McKenna supervisait les Forces spéciales, mobilisées lors des défilés, des visites de dignitaires, des mouvements de grève, des émeutes et des troubles civils en tout genre. Sous sa direction, la brigade était devenue à la fois plus puissante et nébuleuse, une sorte de police à l'intérieur de la police qui maîtrisait la criminalité, disait-on, « en allant à la source avant que la source aille là où il faut pas ». [...] Il regarda Danny de l'autre côté de la table en pointant sa fourchette vers lui.
- T'as appris ce qui était arrivé hier pendant que vous étiez occupés à faire Dieu sait trop quoi dans le port ?
Danny remua prudemment la tête en signe de dénégation. Il avait passé la matinée cloué au lit par la gueule de bois qu'il avait récoltée au coude à coude avec Steve Coyle la veille au soir. Nora apporta le dernier plat, des haricots verts à l'ail encore fumants.
- Ils se sont mis en grève, déclara Eddie McKenna.
- Qui ? demanda Danny, qui n'avait pas encore l'esprit très clair.
- Les Sox et les Cubs, répondit Connor. On y était. Joe et moi.
- Je les enverrais bien se battre contre le Kaiser, moi, décréta Eddie McKenna. Toute cette bande de tire-au-flanc et de bolcheviks !
Connor éclata de rire.
- T'aurais dû voir ça, Dan ! Les spectateurs se sont déchaînés...
Danny sourit, essayant d'imaginer la scène.
- Tu me fais pas marcher ?
- Non, c'est vrai ! renchérit Joe d'un ton tout excité. Les joueurs étaient remontés contre les propriétaires des équipes, alors ils vouaient pas sortir sur le terrain et les gens se sont mis à balancer des trucs et à crier.
[...]
Eddie McKenna se tapota la panse en reniflant.
- Au moins, j'espère que ces rouges perdront les médailles remportées aux Series ! Moi, le simple fait de leur donner des « médailles » juste pour avoir participé à un jeu me rend malade. Mais bon, pas de problème. De toute façon, le base-ball est mort. Quand je pense à ces feignasses qui n'ont pas les tripes d'aller se battre pour leur pays... Et Ruth est le pire de tous. Tu sais qu'il veut frapper, maintenant. Dan ? Je l'ai lu dans le journal ce matin - il ne veut plus lancer, il dit qu'il va faire grève si on ne l'augmente pas et si on l'oblige à rester sur le monticule. Tu ne trouves pas ça incroyable ?
- Ah, dans quel monde on vit ! s'exclama Thomas Coughlin, qui prit une gorgée de bordeaux.
- Et qu'est-ce qu'ils réclamaient? demanda Danny après avoir jeté un coup d'oeil aux hommes autour de lui.
- Mmmm ?
- Ces joueurs. ils avaient bien des revendications, non ? Ils n'ont pas fait grève juste pour le plaisir, j'imagine.
- Ils ont dit que les propriétaires avaient changé leur accord, intervint Joe. (Danny le vit froncer les sourcils en essayant de se remémorer les détails. Joe, passionné de sport, était certainement la source d'information la plus fiable autour de cette table sur tout ce qui touchait au base-ball.) Du coup, les joueurs ont pas eu l'argent qu'on leur avait promis et que toutes les équipes ont toujours eu pendant les Series. Alors ils ont fait grève.
Il haussa les épaules comme s'il estimait cette réaction parfaitement logique puis entreprit de découper sa dinde.
- Je suis d'accord avec Eddie, déclara le capitaine Coughlin. Le base-ball est mort. Et il ne ressuscitera pas.
- Oh si ! lui assura Joe d'une voix vibrante d'émotion. Tu verras.
- Le problème dans ce pays, conclut son père en choisissant dans son arsenal de sourires le modèle désabusé, c’est qu'on estime normal que tout le monde veuille du travail et décide de se mettre en grève quand ça devient trop fatigant."

© Dennis Lehane, Un Pays à l'aube, Editions Payot / Rivages, 2009, p. 98-101

vendredi 26 juin 2009

LGF surveille un examen: Le Retour (part Three)

C'est ce moment qu'a choisi la petite germaniste pour nous glisser à l'oreille d'un air gêné : "Donc, on ne leur dit pas que l'épreuve, en fait, elle n'est pas valide ?…" Hein ?! Machin sursaute, je frémis, la spécialiste de Schiller poursuit sur le même ton : "Ben oui, en fait je l'ai appris juste là en allant chercher les sujets. Vu que les étudiants ont été prévenus trop tard, certains même pas prévenus, eh bien en fait cette épreuve n'est pas valide, enfin si elle est valide mais ceux qui auraient manqué cette épreuve, on leur en fait une autre dans quinze jours, alors au fond ceux-là, s'ils ne se sentent pas prêts, on pourrait peut-être leur dire de pas composer ce soir, et de revenir dans quinze jours ?…" Machin éructe : "Mais enfin, dans quinze jours, c'est l'épreuve réservée aux étudiants de la fac de Lettres, et celle-ci est pour les étudiants de la fac de droit et de la fac de médecine, qui doivent avoir tout bouclé mi-juin, le président avait tout de même été formel ?" La germaniste reprend, de plus en plus gênée : "Euh... en fait, non, dans quinze jours ce sera aussi pour ceux de médecine et de droit, enfin, ceux qui auront manqué l'épreuve aujourd'hui. Ceux de la fac de Lettres, en fait, ce sera en septembre…"


Machin calcule dans sa tête, je le vois. Au bout d'un instant on comprend qu'il calcule combien de sujets d'examen il a déjà pondu pour ce cours de PIPOTI : un pour l'examen de première-session-normale, un autre pour l'examen-de-première-session-décalé (à cause de trois étudiants en stage dans un hôpital psychiatrique le jour de la première-session-normale, date de stage fixée depuis des mois, bien avant le chamboulement du calendrier d'examen, ah oui, désolé, il faut organiser une première session "bis", on est confus confus confus), un troisième pour l'examen de deuxième session pour les juristes mais sans les prévenir, un quatrième pour les juristes qui auraient raté la session de rattrapage, un cinquième pour la session de rattrapage des littéraires… On se dit que ce qui serait bien, c'est de faire une sorte de "permanence" d'examens. On en ferait un toutes les semaines. Le jeudi, de 5 à 7. Viendrait qui veut, quand il se sentirait prêt, qu'il n'aurait pas examen de grec ou squash à la même heure. Une sorte de stabulation libre des examens, quoi. C'est vrai, pourquoi on se fait chier avec des convocations, des plannings affichés trois semaines avant, toutes sortes de rigidités qui empêchent nos cursus de se déployer librement dans le vaste espace libéral de l'économie de la connaissance ?… Allez, prenons les paris : à partir de la rentrée, une douzaine de circulaires vont nous suggérer de valider les enseignements "au fil de l'eau", au fur et à mesure que les étudiants se sentiront prêts ils iront se présenter à l'examen de cette semaine-là, hop là, une bonne chose de faite, ça leur laissera du temps pour se mettre à la paléographie des langues ougaritiques ou au macramé sur boyaux de ragondin, la fac est là pour vous rendre libres, bande de larves.

C'est pas tout, ça : pendant que Machin roulait des yeux dans les orbites, un gaillard s'est mis à agiter la main. Je m'avance avec un paquet de feuilles mais non, il n'en veut pas une de plus, il veut juste savoir s'il a le droit de partir. Je consulte Machin du regard, Machin consulte sa montre, on fait un rapide calcul (qu'est-ce qui est inscrit dans la procédure normale d'examen, et qu'on pourrait soumettre à une légère torsion à la baisse pour s'adapter à la situation présente, hmm ?) et on décide en même temps que oui, vu le climat, il peut se barrer. Le gars plie bagages, nous rend une copie d'exercices de grec à peine griffonnée, Machin lui fait bien replier le coin anonymeur pendant que je cherche dans laquelle des 8 enveloppes de sujets je vais trouver la liste d'émargement correspondant au groupe du jeune candidat. Ça y est, je retrouve l'enveloppe avec le sujet sur lequel il a composé, j'en extirpe une liasse agrafée de 10 à 12 pages qui a l'air d'une liste de noms, et voilà notre impétrant qui cherche son nom. Il balaie du regard les 12 feuillets une fois, deux fois, puis nous regarde d'un air de chien battu. Comme d'habitude, un peu accablés, on lui dit de rajouter en bas à la main son nom, sa section d'origine, et de signer, sans oublier son numéro d'étudiant. Le gars finit par sortir, d'autres étudiants assez peu inspirés par les exercices du PIPOTI de grec se lèvent, rendent leur copie, cherchent leur nom, tiens, ils ne le trouvent pas non plus, bon, tant pis, ils se rajoutent à la main…

(à suivre...)

jeudi 25 juin 2009

LGF surveille un examen: Le Retour (part Two)

C'était sans compter les petits arrangements avec la Grande Machine auxquels se livrent toutes les autres Genevièves sauf la nôtre. Si on se souvient (épisode précédent) que plusieurs étudiants devaient avoir leurs résultats d'année le lendemain de l'examen de PIPOTI, on comprend aisément que l'une ou l'autre des Genevièves diligentes de l'une ou l'autre filière ait pu être tentée d'inventer une note parfaitement farfelue en lieu et place de celle que je m'apprêtais laborieusement à inscrire au fronton d'une copie somptueusement décorée de rouge, sous la lumière jaunâtre de ma lampe de bureau. Eh oui, c'est humain : plutôt que d'attendre un hypothétique mail qui lui livrerait à temps (ou pas) les notes de ce PIPOTI dont elle ignore tout, plutôt que de laisser en stand-by tous les relevés de notes incomplets alors que des hordes d'étudiants l'assaillent quotidiennement pour savoir quand aura lieu la proclamation des résultats, hop, notre Geneviève un peu excédée fignole une petite note de sa composition, mettons un 10, tiens, ça ne mange pas de pain, et elle peut ainsi éditer plus tôt le diplôme dont finalement, tout le monde a bien compris qu'il était désormais la seule et unique finalité des études supérieures.

Eh, oh, ne faites pas les étonnés : franchement, au bout de quatre trois mois de grand soir, on a bien compris que la victoire du front des feignasses était aussi complète que discrète. Dorénavant, on saura qu'une Université ne dispense pas une formation, un enseignement, des savoirs, une culture, de la réflexion, de l'esprit critique, ta ta ta, fini ces sornettes inquantifiables et flottantes, une Université, mon bon monsieur, ça produit des diplômes. Tant que le morceau de papier sort bien carré bien complet bien tamponné au bout de la machine, tout va bien, on est dans les objectifs, les petits gars. Et on a beau dire, fabriquer chaque semestre une pile de papier tamponné avec des notes inventées par Geneviève, ça nous prendra moins d'énergie, moins de temps et moins de neurones que de bâtir un cours d'agrégation, animer un séminaire de master, ou concevoir 24h de formation méthodologique pour des premières années. Vous voulez qu'on rationalise ? On en prend le chemin, voyez...

Mais revenons à nos moutons - enfin, à nos étudiants. Que s'est-il passé lorsque les vraies notes attribuées par le vrai prof de PIPOTI sont arrivées dans les secrétariats où tout plein de Genevièves fatiguées de quatre mois de bronx permanent avaient déjà inventé d'autres notes, factices, pour remplir les relevés ? Et même, plus précisément : que s'est-il passé lorsque les vraies notes étaient plus basses que les fausses ? Eh bien il se trouve que certaines Genevièves ont haussé les épaules et omis de préciser aux quelques dizaines d'étudiants en question que, euh, bon, finalement, tout compte fait, ils avaient eu une sale note, et qu'il fallait qu'ils aillent passer le fameux rattrapage. Conséquence imparable : lesdits étudiants, pas au courant, ne se sont pas déplacés, et lorsqu'avec Machin (eh oui, Machin s'y recollait encore avec moi ce jeudi) nous sommes arrivés dans la salle du rattrapage, au lieu des cent trente-sept étudiants théoriquement convoqués ce jour-là, ils étaient exactement vingt.

Vingt, et pas contents, d'ailleurs. Très mécontents que l'épreuve de rattrapage ait lieu moins de quinze jours après l'épreuve initiale ; très mécontents de n'avoir appris leur mauvaise note (ils n'ont pas tous de splendides et maternantes Genevièves…) qu'à l'usure et en faisant le siège de leur Geneviève, voire de la boîte mail du prof ; très mécontents d'avoir appris par le plus pur hasard la date, le lieu et la salle de l'examen. Certains, la veille. Certains autre, le jour-même. Bref, ils faisaient un peu la gueule, les rattrapables. Faisant fi de leur mécontentement, et forts de l'assurance que donne le sentiment de n'agir qu'entre les bornes sacrées définies par le Code des Examens, Machin et moi (et il y avait aussi un demi-prof de grec et une germaniste : pour vingt candidats, ils avaient mis le paquet…) avons procédé à la laborieuse distribution des copies, du brouillon et enfin des huit sujets différents. Puis petit coup d'œil sur la montre, "vous avez deux heures, silence désormais", air de componction, on se la jouait un peu, avec Machin.

(à suivre...)

mercredi 24 juin 2009

LGF surveille un examen: Le Retour (part One)

Vous vous souvenez de mon examen "twilight zone" de la dernière fois ? Eh ben, jeudi, on a rempilé. Non, pas les chaises ! On a re-surveillé un examen. C'est un truc, ça s'appelle la "deuxième session", et les syndicats étudiants ont inventé ça pour donner une seconde chance à des étudiants qui, ayant raté leur examen la première fois, en mettent en gros coup pendant quelques semaines sur la matière en question afin de réussir brillamment la deuxième fois. C'est un grand pas en avant pour l'égalité des chances, la responsabilisation des étudiants, et l'augmentation tendancielle du taux de réussite aux examens, dont on a désormais bien compris, nous autres feignasses, qu'il serait prépondérant parmi les facteurs pris en compte pour nous allouer nos chiches subventions de fonctionnement annuelles. C'est pour ça que cette session s'appelle aussi "session de rattrapage" : non seulement les étudiants y "rattrapent" leurs sales notes, mais nous autres feignasses y "rattrapons" aussi bien les étudiants eux-mêmes, pour afficher des taux de passage pas trop scandaleusement bas, ouh là là, qu'après on pourrait nous accuser de faire de la sélection, t'es pas bien ou quoi ? La ministre a dit 50% d'une classe d'âge au niveau licence : parole de feignasse, le rattrapage n'a jamais aussi bien porté son nom...

En règle générale, la "deuxième session" est plutôt 1° après la première (non, ne riez pas, nulle évidence n'est superfétatoire dans le grrrrand vortex de l'alma mater), 2° différente de la première (ben oui, on ne va pas demander aux étudiants de composer une seconde fois sur les mêmes sujets, on a tout de même malgré les apparences un reste de sens du ridicule), 3° assez éloignée de la première pour que l'idée même de réviser puisse avoir la moindre consistance. Autrement dit, une fois les examens passés, on donne leur note aux étudiants, et ceux qui n'ont pas eu la moyenne re-bûchent quelques semaines et viennent re-plancher pour essayer de décrocher leur UE, donc leur diplôme. Bon, nous, cette année on a un peu customisé le concept. D'abord, pour que ça soit plus drôle, cette année on n'a pas donné leurs notes aux étudiants, de sorte qu'ils ne savaient pas s'ils avaient loupé, donc s'ils devaient venir à ce examen de rattrapage. Ah on est comme ça, nous autres enseignants-chercheurs : jamais les derniers pour la poilade.

Enfin, si on veut être honnêtes, c'est pas vraiment qu'on n'a pas donné les résultats. Non, au contraire, on les a donnés, et on les a même donnés remarquablement vite, vu les circonstances. Mais voilà : les secrétaires étaient débordées, même un brin à cran si on regarde bien ; et les notes de PIPOTI à redistribuer dans la grande machine à pondre des diplômes, ça les faisait qu'à moitié rire. Elles l'ont fait, pourtant, diligemment, parce que nous, on a une chance du tonnerre : Geneviève & co, elles sont épatantes, diligentes et souriantes. C'est pas tous les département qui ont ça, et nous, on les garde jalousement. Donc Geneviève et ses colocataires du bureau 403A, elles ont versé notre tombereau de notes dans le Grand Entonnoir à ventiler les ECTS, et normalement, au bout du bout des tuyaux qui irriguent l'alma mater, ça devait parvenir à d'autres Genevièves qui auraient serti ces notes de PIPOTI dans de frétillants relevés de notes encore lacunaires, de sorte que tout ça s'allume avec un éclair neuf et annonce d'une petite voix claironnante "diplôme complet !", avant d'ajouter, le cas échéant : "bouh le gros nul !", et hop l'étudiant dûment stigmatisé par voie officielle aurait su qu'il devait se préparer à passer le fameux rattrapage.

(à suivre…)

mardi 23 juin 2009



Frères et soeurs feignasses, notre juste lutte a enfin triomphé !


Avec l'arrivée de Luc Chatel au Ministère de l'Education Nationale, ce sont des semaines et des mois de combat qui finissent enfin par porter leurs fruits !


Pensez donc :


1° d'une part, ce type s'est fait un nom au gouvernement comme secrétaire d'Etat au Tourisme ! Au Tourisme, bon sang ! Ça y est ! L'Education Nationale est enfin rattachée au Tourisme ! Officiellement ! Glo-o-o-o-ria, je n'arrive pas encore à réaliser : c'est officiel, désormais !


2° d'autre part, Luc Chatel a commencé par dix années d'expérience professionnelle, avant d'entrer au gouvernement. Et vous savez où il les a accumulées, ces dix années ? Non ? Chez L'Oréal ! Siiii ! L'Oréal, la vache ! Enfin un type qui va traiter nos vrais problèmes de feignasses ! Enfin quelqu'un de vraiment compétent sur les vrais sujets !


Ah non mais c'est encore mieux que l'élection de Barack Obama, ce truc...



Un petit clin d'oeil au "Bar du vent"


A la bloggeuse du "Bar du vent" (que je remercie pour son gentil hommage), je présente ma propre feignasse encore plus feignasse que moi...
(ah, et si vous êtes allergiques aux poils de chat, allez donc prendre un anti-histaminique approprié ici - âmes sensibles et poétiques comme la mienne, s'abstenir).

dimanche 21 juin 2009

Sacré Gustave!


Bon, hé, ça s'appelle "Paresse et luxure", j'y peux rien, moi!
(bon, y en a qui disent que ça s'appelle "Le Sommeil", mais ce n'est pas mal venu non plus)
(et à votre avis, c'est laquelle, Paresse?)

vendredi 19 juin 2009

LGF surveille un examen (fin)


La sortie fracassante de Cerbère a cependant fait son petit effet parmi nos ouailles, et les étudiants affluent au bureau, brandissant leurs copies étiques (mais bon, sang, où passe tout le papier qu'on leur distribue ? ils le mangent ?!) dont je gère le flux aléatoire avec une maestria longuement affutée au tri bimensuel de mes fiches-cuisine, quand une étudiante ingénue me demande impromptu d'une voix douce : “Pardon, Madame, vous aurez corrigé nos copies pour lundi ?” Comme elle a dit ça avec un adorable sourire, je réprime le ricanement qui s'impose pourtant, et lui réponds posément que non, vraiment pas, vu qu'on est vendredi soir et qu'ils sont 250. Alors, tandis que je m'émerveille in petto de l'amusante naïveté de ces étudiants qui ne se représentent absolument pas le temps délirant que nous allons passer sur leurs oeuvres du simple fait de leur nombre, la charmante petite reprendre d'une voix toujours aussi douce : “Non, parce que nous, normalement, en biologie, c'est lundi les résultats…”

Devant une si évidente mal-comprenance, je garde cependant mon calme, eu égard au sourire et au ton fleuri, si inhabituels sous nos latitudes estudiantines, et j'explique à la gracieuse jeune fille que ce n'est bien entendu pas possible qu'“en biologie” ce soient les résultats lundi, vu que TOUS les étudiants de cette fichue faculté doivent avoir une note de PIPOTI, et que, justement, les épreuves de PIPOTI ont TOUTES lieu ce vendredi soir, jusqu'à 19h30 dans le meilleur des cas — ce qui rend hautement improbable l'hypothèse de paquets de copies miraculeusement corrigés durant le week-end, de notes rendues lundi à l'heure d'ouverture des bureaux, puis dispatchées par de diligentes secrétaires dans les mille et un départements d'appartenance des étudiants concernés, afin que, l'inénarrable logiciel Apogée ayant “mouliné” les notes et produit de savants calculs de coefficients, les procès verbaux correspondant aux 27 diplômes différents soient édités fissa, de sorte que les 27 jurys dûment assermentés se réunissent et soient en mesure de proclamer les résultats définitifs avant le coucher du soleil… Mais elle n'en démord pas, la souriante : “Si, si, nos résultats sont affichés lundi soir, le doyen s'y est engagé, et les rattrapages commencent donc mardi, alors je voulais savoir si votre note…” Elle ne finit pas sa phrase. A ses côtés, un grand maigre au menton rongé par l'acné, les cheveux dressés façon yéti dans Tintin au Tibet, opine aussi gravement que son polo Lacoste contrefait lui en offre le loisir.

Une pensée soudain me glace : et si la jeune souriante avait raison ? Et si le département de biologie avait effectivement prévu de donner les résultats de l'année dès lundi ? Après tout, en biologie, ils n'ont pas été bloqués très longtemps, et la grande majorité des cours s'est tenue normalement. La mécanique cérébrale que j'avais prévu de laisser en repos durant cette surveillance se remet péniblement en branle, cliquetant de tous ses rouages, et les idées parviennent une à une, par ligne de conséquence, jusqu'à ma conscience : si la jeune souriante a raison, alors les jurys de biologie délibèrent lundi. Si les jurys de biologie délibèrent lundi, c'est que les procès-verbaux sont déjà édités à l'heure qu'il est, c'est évident. Or, si les procès-verbaux sont édités, c'est que le logiciel Apogée a pu calculer les moyennes et les crédits ECTS. Mais alors, si Apogée a pu mouliner, c'est que les “lignes” de notes étaient déjà toutes remplies. Y compris la ligne correspondant à l'épreuve d'Option Transversale Interfilière que nous venons de surveiller... Blême, je me retourne vers Machin, qui en fait me dévisage, aussi blême, depuis un moment. Machin, il est moins larvaire que moi, et ses méandres neuronaux ont fait circuler la pensée plus rapidement que les miens, ce qui fait que, devant mon regard de poisson, il termine à haute voix le raisonnement auquel je viens de me livrer péniblement : “… c'est donc qu'ils viennent tous de plancher deux heures pour que dalle, parce qu'on leur a DÉJÀ mis une note bidon à leur insu, pour neutraliser la matière. Sans nous le dire.”

J'avale ma salive, avec ce doute lancinant qui m'envahit toujours lorsque, malgré mon haut degré de cynisme encroûté, je prends en pleine poire la totale absurdité de l'univers professionnel derrière lequel je tente de camoufler ma flemme. J'essaye de trouver un côté positif à l'information qui s'installe tranquillement dans ma conscience : les notes sont déjà attribuées, et les diplômes avec, nous venons de jouer une petite mascarade discrète, deux cent cinquante étudiants et moi, c'est inimaginable, mais au moins je n'aurais pas à corriger ces centaines de copies. Oui. Bon. Est-ce que ça me rassure vraiment, ça ?… Machin interrompt alors ma rumination en suggérant que, maintenant que l'amphi est désert, on pourrait peut-être plier les gaules ? Je m'ébroue, je toussote, et je commence mécaniquement à remballer les PC, les rallonges, les copies dans les sacoches et les enveloppes idoines, tandis que Machin empile les copies vierges en un joli tas, de taille finalement assez conséquente. “Elle va être contente, Geneviève — je dis —, quand je vais lui rapporter tout ce paquet de feuilles à ré-employer !” Je me vois déjà posant négligemment sur son bureau le tas providentiel sauvé du désastre, et la lumière dans son regard : émotion, soulagement, gratitude éternelle, un coup à ce qu'elle accepte, là, tout de suite, si je sais profiter du kairos, de me transférer mon courrier dans le Lubéron entre mi-mai et mi-octobre (prétextant colloques et symposiums à l'étranger). C'est là que je réalise l'ignoble fourberie de Machin : alors qu'il est en train de glisser ses copies dans son porte-document, j'aperçois dedans, soigneusement emballée dans son blister indemne, UNE RAME ENTIÈRE de copies vierges, que ce type a sournoisement soutirée en début d'épreuve, pour fayoter auprès de Geneviève !

J'ai toujours su que ce Machin était au fond un vrai s…

mercredi 17 juin 2009

LGF surveille un examen (3)

Ouf, voilà tout le monde courbé sur sa copie, et que ça vous remplit les en-têtes, et que ça vous colle le coin anonymeur d'une léchouille appliquée, et que ça se gratte le cuir chevelu en baîllant sur le sujet tout frais. Enfin redescendue, j'ai posé les quelques sujets non distribués, je me suis à peine adossée au pupitre en loupe d'orme incrustée de cuivre repoussé, et je tâtonne dans mon sac à la recherche de ma bouteille d'eau, lorsqu'une main se lève. “Excusez-moi, Madame. Pour le sujet de littérature, je ne suis pas sûre d'avoir bien compris : on traite les deux textes ou on peut choisir ?…” Je désigne d'une main parfaitement manucurée la mention imprimée en Arial Black Corps 26 en haut de sa feuille : “VOUS TRAITEREZ AU CHOIX LE SUJET 1 OU LE SUJET 2”. Ah !… me dit-elle, mutine. J'avais pas lu… Je hausse les épaules, fataliste. Avoir-pas-lu, c'est un des trucs qu'ils font le mieux, mes pubescents, même les années sans grève. Avoir-pas-travaillu aussi, tant qu'on y est. Je sais, bien sûr, que dans la houle blond-brun-dreads-pink-casquette-palmier-houpette ethnique qui ondule devant moi au rythme des dendrites qui crépitent, il va s'en trouver une demi-douzaine pour composer en ahanant sur les deux sujets, au mépris de la consigne imprimée et de mon rappel oral. Ils rendront, en retard, leur copie en geignant qu'ils n'ont pas eu le temps de finir, et j'hésiterai comme toujours à leur révéler qu'ils se sont échinés pour rien, parce qu'ils sont distraits, parce qu'ils ne prennent pas le temps de lire, parce qu'ils ne savent pas réfléchir. Illustration éclatante de la technicité de mon sacerdoce : feignasse, c'est un métier, qui demande parfois d'investir un petit peu de travail efficace pour s'en épargner beaucoup d'inutile. Méditez là-dessus, chers petits, c'est le métier qui rentre.

En attendant, moi, j'ai mieux à faire. Le moment est enfin venu où je vais m'assoupir sur une chaise, relevant juste de temps à autre un sourcil, lorsqu'une main levée signalera que là-bas tout en haut on manque de papier — et normalement, Machin, qui est galant, me fera signe d'un mouvement du menton que je peux me replonger dans mon article sur les vertus détoxifiantes du thé vert, et je le regarderai d'un oeil reconnaissant et ironique escalader l'amphi Paré tout seul, comme un brave Saint-Bernard, avec son tonnelet de copies en rab.

Ah, mais non ! Pas encore… D'abord, il y a ce fameux Powerpoint avec les vases grecs ! Nantie désormais d'un câble VGA, j'allume toutes les machines dans le bon ordre. Ah, mince, l'ordinateur s'éclaire et puis non, finalement, redevient tout noir. J'éteins, je rallume, je croise les doigts, Machin par-dessus mon épaule fait une prière vaudou en tripotant sa barbiche, la machine se lance, le Poherpoint frétille, puis refuse de se mettre à changer les vases tout seul, Machin tripote les touches, suggère quelques améliorations (faites-moi penser à ne plus rien accepter du prof de grec), bidouille deux réglages, et lance le diaporama… Triomphe ! Ça tourne comme il faut. Je jette un œil par-dessus mon épaule, pour voir si toute ces belles images s'affichent aussi merveilleusement, noirs profonds et bistres lumineux, que sur l'écran du PC. Ah, bah, tiens, non. Ça doit être lié au fait que l'amphi est allumé plein pot (eh oui : bois, alu brossé, verre dépoli, l'Amphi Paré, aussi classe qu'une salle de réunion pour Conseil d'Administration d'un Hedge Fund à Saint-Barth, est plongé même en juin dans une semi pénombre permanente qui oblige à faire cramer trente rampes de 500 W pour que les étudiants puissent y entrevoir leurs propres doigts – on glissera pudiquement sur la facture d'électricité engendrée par le coûteux bidule, on n'est pas des sauvages, on est en médecine). Du coup, un spot halogène est braqué directement sur l'écran blanc, et les jolis vases grecs amoureusement photographiés par l'autre imbécile de lâcheur font à peine une vague ombre grise sur la toile éclairée de plein fouet. Après quelques minutes de fouille vaine, Machin déniche l'interrupteur. On tente un truc. Brouhaha : on a éteint tout l'amphi. Non, non, pas de panique, je rallume. On tente le second bouton. Rien se passe. Les vases grecs, écrasés de lumière, sont à peine discernables, on se croirait sur l'Acropole un 15 août à midi, ça va pas le faire. Machin tourne sur lui-même, vire, volte, avise une grosse molette blanche là-bas sur un mur, la tourne — hoooo ! Grogne l'amphi, déjà la première fois on avait pas trouvé ça drôle, écrire dans le noir ! Pas de panique, Machin tourne délicatement la grosse mollette, la lumière revient sur les impétrants mais pas le spot sur les vases grecs. On est sauvés. Je vais pouvoir m'avachir et plonger dans l'argent polissage des bouts de mes ongles !

Je me retourne alors pour attraper ma chaise. Pas de chaise. Je regarde Machin. Pas de chaise lui non plus. On se tourne tous les deux vers la vaste corolle déjà odorante de l'amphi : aucun espoir de ce côté-là, ce sont des strapontins boulonnés dans le sol. Ce qui veut bel et bien dire qu'on est condamnés à surveiller cette épreuve debout l'un et l'autre. Ça commence un peu à moins me faire rire, cette surveillance…

Mais il apparaît très vite que les chaises ne nous auraient de toute façon été d'aucune utilité : nous avons à peine fait le désolant constat de leur absence, qu'une main se lève au fond de l'amphi. Ça ne pouvait pas être autrement : une fois qu'on en a ôté les indispensables marges ainsi que les zones destinées à l'anonymat (anonymat purement théorique, puisque le manque de secrétaires nous oblige à décacheter nous-mêmes les copies afin de remplir les relevés de notes…), il reste 17 centimètres carrés disponibles pour écrire sur chaque page de la copie standard. Un gratte-papier qui a déjà épuisé la surface allouée veut qu'on lui apporte des réserves. Machin, d'un pas alerte, monte à l'assaut. Mais voilà qu'en bas déjà ça réclame du brouillon. Veillant à ne pas m'entraver dans la rallonge du portable, je m'en vais en soupirant faire la vivandière du brouillon rose (ou vert), et pendant deux heures, Machin et moi pratiquons la gambade acrobatique dans les gradins, paquets de feuilles vierges sur le bras, voyant avec anxiété baisser le niveau du tas de papier qui nous a été chichement alloué pour l'épreuve. De loin en loin un temps mort inespéré nous laisse tous deux debout derrière le pupitre, gavés d'ennui, dansant bêtement d'un pied sur l'autre, chuchotant à mi-voix des banalités sur les coucheries du jour ou les ragots de la semaine, relançant parfois d'un index impatient le Pahurpounkt qui fait mine de se mettre en veille. Puis du coin de l'oeil nous apercevons une mimine aux ongles mauves désespérément tendue vers les caissons en bois blanc du plafond, et nous voilà repartis dans la tournée des papivores. Passionnant métier.

La soixantième minute à peine échue, les étudiants les plus à cheval sur le règlement nous signalent qu'ils sont décidés à faire valoir leur droit au retrait — bref, ils se barrent. Nouvel exercice acrobatique : j'improvise autant de tas qu'il y a de sujets, je trouve la bonne liste d'émargement pour chaque tas, je ménage un coin de table (pas trop près du PC !) pour que les futurs récipiendaires puissent apposer leur paraphe, et Machin et moi commençons notre petite chorégraphie : je guide du regard et d'un maternel sourire l'étudiant abruti par l'effort vers le paquet qui correspond au sujet inscrit sur sa copie (à ce stade, ils ne savent plus du tout comment s'appelle leur prof, ni même le cours pour lequel ils viennent de composer), d'une main j'attrape la copie, de l'autre je glisse sous leurs yeux embrumés de fatigue la liste d'émargement (poussant la sollicitude, lorsque je connais leur nom, à pointer d'un ongle finement poli la ligne correspondant à leur patronyme, car à cette heure-là ils ne maîtrisent plus non plus l'ordre alphabétique). Pendant ce temps, Machin expérimente les mille et une manières de tendre affablement son stylo à demi-décapuchonné à l'étudiant qui, bien qu'il ait passé les 120 précédentes minutes à écrire, découvre brutalement et avec effarement que, oui, pour signer, il lui faut un outil, avec la pulpe de l'index ça risque de rien donner. Evidemment, cette petite gymnastique répétitive ne bascule jamais dans le fastidieux, puisqu'il faut dans le même temps continuer, à un rythme de plus en plus frénétique, à abreuver les candidats en copies, les étudiants les plus prolixes ayant hélas une fâcheuse tendance à aller s'installer dans les gradins les plus inaccessibles de l'amphi.

Pourtant la fête semble toucher à sa fin, et les derniers rangs clairsemés se vident, tandis que les retardataires que nous sollicitons de façon de plus en plus impérieuse transpirent à grosses gouttes en tâchant de vaincre la crampe au poignet, comme si leur vie dépendait de ces quatre dernières phrases qu'il veulent absolument rédiger avant de se ruer sur le dernier bus pour le centre-ville et ses happy hours. Il ne restera bientôt plus que notre tiers-temps thérapeutique, qui est lui-même en train de finir de composer sa copie sur le PC ronronnant que j'ai branché sur sa table. Soudain, la porte coupe-feu de l'Amphi Paré s'ouvre à deux battants dans un fracas où l'on devine un secret dédain pour les lentes fumigations moites qui accompagnent l'exercice de la pensée. Un petit bonhomme râblé et rouscailleur se catapulte dans l'amphi, hirsute, le teint mat, l'oeil féroce, campé dans ses pompes de chantier. D'un regard il a pris la mesure de l'assistance, et il pointe sur nous un doigt accusateur. "Hé faut décarrer, maint'nant, passque je ferme", nous annonce-t-il d'une voix rauque doublement filtrée par le Trois-Villages du Bar des Chèques Postaux et par une moustache poivre et sel à laquelle la Boyard Maïs a conféré de jolis reflets jaunes. Hein, fermer ? Mais fermer quoi ? Sa grande gu..., suggérè-je, étant donné qu'il est en train de piauler dans une salle d'examen dont la tranquillité doit être impérativement préservée, comme le rappelle le règlement.

En réalité, il s'avère qu'il ne compte absolument pas fermer ladite grande gueule, mais bien le bâtiment, et par suite l'Amphi Paré dans lequel composent encore une bonne cinquantaine d'étudiants. Ah bah oui, hein, il est 19h20, c'est l'heure à laquelle il ferme, donc c'est pour ainsi dire l'heure de fermer, donc il ferme, hop, c'est aussi simple que ça. Et on sent poindre sous son syllogisme en granit un soupçon d'agacement, comme si peut-être le fait qu'il se trouve encore des zigotos pour s'agiter, suer et peiner dans ce bel amphi pile à l'heure où il doit le fermer lui causait une sorte de désagrément. Bref, il manifeste de façon tout à fait déchiffrable l'intention de ne pas rester cantonné aux strictes bornes de la courtoisie. Comme j'ai moi-même la très nette impression que mes mots ne vont pas tarder à dépasser ma pensée (sans effort, d'ailleurs, étant donné l'allure d'escargot de ladite), Machin intervient façon monsieur-bons-offices et hasarde l'hypothèse que, peut-être, éventuellement, sans vouloir mettre en doute la parole de Son Excellence ni aller supposer la moindre mauvaise volonté de sa part, il a omis le fait que ce soir, exceptionnellement, l'amphi devait rester ouvert pour éviter que les étudiants convoqués à leur épreuve d'examen ne soient contraints de dormir dans leur jus, sur place, sans autre possibilité que de s'abreuver de jus de chaussette instantané au distributeur du hall, en attendant que l'ouverture matinale ne les libère à 7h30 pour une bonne douche (tiens, d'ailleurs, maintenant qu'il en parle, c'est vrai que la matière grise dégage une bonne belle odeur de fauve…). Là, Cerbère grommelle, peste, vitupère, serre les dents, fait trois tours sur lui-même, observe les étudiants aux yeux battus qui viennent rendre leur copie froissée ; puis il choisit de traiter la question par un franc mépris en faisant claquer derrière lui la double porte de l'amphi, pendant que Machin me glisse perversement à l'oreille : “On lui dit qu'en plus le tiers-temps nous tient là jusque 20h30 ?…”

(à suivre…)

lundi 15 juin 2009

LGF surveille un examen (2)

Bref, j'arrive sur le campus, je trouve péniblement le bâtiment Z 56 où on nous a remisés, “parce que là vous serez bien, au calme, pas comme ici avec tous ces blocages. Et puis, là-bas sur le campus, ils ferment tard, vous pourrez rester tranquillement jusqu'à la fin de l'épreuve”. Devant l'Amphi Paré, foule des grands jours. Je fends la masse d'une épaule sûre et me glisse lestement jusqu'à la double-porte — enfin, aussi lestement que possible quand on charrie les sacoches décousues de deux ordinateurs portables, plus les copies et le brouillon sur un bras, et sur l'autre les cinq enveloppes de sujets qui menacent de glisser lamentablement et de se vider devant les étudiants. Evidemment, je suis la première. Le prof de grec excusé, Machin pas arrivé, j'ai trois minutes pour me poser et installer le fameux Pahouerpouêt. Hors de la vue des étudiants restés sagement attendre à l'extérieur que sonne l'heure des hostilités, je peux m'effondrer de manière peu présentable au pupitre de ce vaste amphi suréquipé, le temps de reprendre souffle et contenance. On est en fac de médecine, c'est moins la chienlit que chez nous, et je vois que les services techniques ont imprimé une petite notice très claire permettant de connecter n'importe quel ordinateur au video-projecteur fixé au plafond ; le tableau noir est surmonté d'un vaste écran blanc, tout baigne. Voilà, je lis sur les petits boutons: “Abaisser l'interrupteur. Appuyer sur ON. Connecter l'ordinateur à la prise VGA”. Enfantin, en effet. La prise VGA, je la vois. Je sais que mon collègue m'a laissé le petit adaptateur qui va bien, les deux rallonges (ah, bonne idée : la prise est super loin) et même le détrompeur au cas où la prise serait protégée, je suis parée. Voilà, j'ouvre le PC, je branche le petit adaptateur, je le connecte au câble VGA… Euh, le câble VGA?…

Affreux tas de couillons béats ! Bande d'andouilles malfaisantes ! Quel possesseur de portable se trimballe AUSSI avec un câble VGA ? Normalement ils sont fixes, et déjà dans les salles, nom d'une vergeture ! Et là, rien ? Un coup d'œil à la montre et je comprends que j'ai dix minutes pour sauver l'épreuve de vases grecs. Dure épreuve pour une feignasse comme moi. Je remballe tout : les PC, mon sac à main avec le Marie-Claire, les quatre kilos de copies, les enveloppes avec les sujets ultra-confidentiels, je tente une sortie digne et je me mets à courir dans tout le bâtiment à la recherche de quelqu'un qui saurait où trouver quelqu'un qui, un vendredi soir à 17h17, aurait un câble VGA à me prêter. J'ai l'impression d'être dans un jeu télévisé japonais crétin, je sue, je souffle, j'entends presque les rires enregistrés et les commentaires désobligeants de l'animateur. Mes chakras m'avaient prévenue : cette surveillance sentait l'arnaque. Gagné : au lieu de me décontracter les orteils en suçotant mes barres avoine-cranberries, je participe à une espèce de pastiche idiot de Fort Boyard. Evidemment, le bâtiment est exclusivement réservé à des amphis. Pas un bureau. Je galope en traînant la patte, rajustant tous les vingt pas les sangles des sacoches à portable. Au détour d'un couloir, une aimable femme de ménage finit par me dire avec gentillesse : “Ah, mais il faut aller au Secrétariat, c'est là, juste derrière ! Venez, je vous montre”. Elle a raison de me montrer : en fait de juste derrière, c'est au moins à 400 mètres, dans un autre bâtiment, derrière une rangée de peupliers, une allée carrossable, et deux collines artificielles à la pelouse galeuse. Je me hisse dans le bâtiment que mon guide providentiel m'a indiqué avant de replonger dans la jungle qui semble lui être familière. C'est bien ma chance : c'est là que crèche justement le service informatique ! J'avise une porte. Fermée. Une autre. Fermée. Une troisième. Tout le couloir. Fermé, fermé, fermé. L'angoisse m'étreint : il est 17h22, je n'ai ni vérifié les cartes d'étudiants, ni fait l'appel, ni — a fortiori — distribué copies et brouillons, et je n'ai même pas de quoi passer le sujet. Tout à coup, miracle : au fond du couloir, un bureau ouvert. J'entre, il est désert. Au fond, deux portes. Je frappe, au hasard. Second miracle ! Quelqu'un. Une adorable responsable de la scolarité, qui me répond, “mais oui bien sûr, un câble VGA, mais j'en ai justement un là, n'oubliez pas de venir le remettre dans la boite aux lettres, parce que (petit rire), non, à 19h30, je ne serai plus là…”

Ivre de bonheur et de soulagement, je parcours en sautillant le chemin qui me ramène à l'Amphi Paré, les portables et les copies brinqueballant gaiement sur mes épaules découvertes et mes mignons avant-bras. Je pousse du pied la porte à deux battants, façon saloon, et je fais une entrée fracassante, cheveux collés au front et joues marbrées, dans l'amphi désormais bondé. Mon collègue Machin est arrivé, il a fait entrer les troupes, on se lance. Consignes de placement. Rangement des sacs. Vérification des cartes. Distribution des copies, feuilles de brouillon par couleurs alternées. Alors que nous nous croisons dans une travée avec nos piles de papier joliment coloré, Machin me glisse à l'oreille : “Elle t'a dit, Geneviève, pour les feuilles ?…” Hein ? De quoi, pour les feuilles ? Ben, oui, m'explique Machin à mi-voix, c'est un peu la pénurie, à vrai dire. Fin de budget ? Mauvaises prévisions ? Réassort oublié ? Quoi qu'il en soit ce sera très dur d'aller jusqu'à la fin de la session avec le stock actuel, alors si on pouvait éviter de gaspiller… Bon, d'accord, je ne suis plus à ça près. Grotesque pour grotesque, je rationne le papier. Quoi ? Vous voulez deux copies ? Vous vous croyez en Amérique ? Vous pouvez pas écrire serré, non ? Et le brouillon, vous croyez que c'est gratuit ? Vous êtes obligé de gaspiller, hein ? Pouvez pas optimiser, non, en utilisant le verso, par exemple ? Comment ça, c'est du papier pelure, on voit à travers, on ne peut plus se relire ? Ah, je vous jure, ces étudiants maternés, assistés, pouponnés toute l'année, ils n'ont pas conscience de la crise ! Décidément, nos ministres ont bien raison de vouloir rationaliser tout ça. Je distribue donc chichement mes précieuses feuilles d'examen, avec la moue hautaine de celle qui a conscience de la vraie valeur des choses, en songeant avec un mélange d'horreur et d'incoercible gaieté au jour béni où tous les examens se dérouleront devant un poste informatique, casque sur les oreilles, voix de synthèse façon Roissy Charles de Gaulle et objectif zéro empreinte carbone enfin atteint.

Vient le délicat moment de la distribution des sujets. Moi, à la cantonade : euh, “Vases grecs”, vous levez la main ? Mais Machin est parti de l'autre côté de l'Amphi et il distribue “Irlande précolombienne”, ce qui fait qu'on ne sait plus qui lève la main pour quoi, je redescends trois fois tout en bas, remonte trois fois tout en haut, ouf on en vient à bout, maintenant c'est au tour de mon sujet. J'ouvre l'enveloppe en kraft d'une main fébrile. Geneviève m'a prévenue : “à l'imprimerie, ils n'ont pas pu agrafer les trois feuillets, Kevin est en stage et Roger se souvenait plus où était la clé de l'armoire pour les agrafes ; ça ira comme ça ?” Ce qu'elle n'a pas dit, Geneviève, c'est que Roger, il n'a pas davantage pensé à trier les feuilles. Ce qui fait que je monte les gradins avec, étalés sur l'avant-bras, trois paquets de sujets, et qu'à chaque main levée, je dois glisser une feuille de chacun des paquets, sans rien faire tomber — et sans en glisser deux à la place d'une, parce que les feuilles, c'est un peu comme les copies : j'en ai juste le nombre. Faites-moi penser à dire deux mots à Kevin, quand il reviendra de stage avec la clé du placard et la notice de la trieuse…

(à suivre…)