lundi 2 mars 2009

Cauchemar du 22 février: ça se poursuit...

Quand même, il a bien fallu démarrer la bête. J'ai ouvert le capot, ça rutilait pis qu'au Fouquet's, ça bourdonnait d'un air suffisant comme un TGV nain. Les tempes bourdonnantes, j'ai créé un fichier et je me suis mise à rédiger, la gorge sèche, un compte-rendu de réunion sur les nouvelles stratégies de l'innovation pédagogique pour contrer les conduites d'échec des étudiants multi-redoublants en premier cycle. J'avais le sentiment que la machine, tout en faisant mine d'afficher docilement les mots que je tapais précautionneusement sur le clavier tout neuf, m'observait en douce. J'avais raison. Soudain, elle interrompit ma frappe d'un gracieux « bling-bling » assourdi, et le mot que je venais de saisir brilla fugitivement. Je le contemplai, fascinée. C'était le mot « innovation ». Il redevint doucement noir et familier.

Le coeur battant, craignant de comprendre, je tapais « performance » : « bling-bling ». Puis « évaluation » : « bling-bling » derechef. « Réforme » : pareil. Au fond, ça ressemblait un peu au virus qui avait peut-être tué mon vieux compagnon de route crasseux et poussif, sauf que ce virus-là n'en était pas un. C'est intégré, exprès. Ma nouvelle machine possédait une fonction remarquable: elle m'aidait à bien penser. J'ai remercié in petto le vendeur pour sa clairvoyance : ça, les bénéfices de mon nouvel achat, je ne pouvais effectivement pas les ignorer. Je me suis amusée pendant des heures à chercher les suites de mots qui déclenchaient le maximum de jolis « bling-bling » de félicitations. Un coup de génie de la recherche, ce truc. L'alliance de Pavlov et de Steve Jobs.

Mais ça n'en est pas resté là. Hélas, quelques jours plus tard, j'ai dû accepter de prendre quarante-huit heures de retard dans mon programme « yoghourts brassés et graines germées » pour refaire tout mon planning d'enseignement du semestre. Parce que, si la SurMachine me félicitait doucement lorsque je lui soumettais les « bons mots », elle avait des réactions peu équivoques quand je tâchais d'avancer la préparation de mes cours.

Par exemple, si je commence à citer la Princesse de Clèves, elle aboie « imbécile ! » d'une voix neuilléene. Si je me mets à construire une argumentation, ça devient « ça m'emmerde ! oooh, que ça m'emmerde ! ». Si j'essaye de réserver des places à la Comédie Française, le logiciel plante, et une horrible voix geignarde répète « casse-toi, pov'con ! casse-toi, pov'con! » jusqu'à ce que je redémarre (là, j'avoue que j'ai été bluffée : je ne savais pas que cette phrase était libre de droits). J'ai bien tâché de contourner les interventions permanentes de cette mécanique ultra-sophistiquée, mais il faut avouer que ça devenait usant, sans compter que je n'avais plus mes cosmétiques habituels pour m'aider à m'évader de ce monde cruel dans une orgie de sels de bains et d'onguents coûteux.

Alors, j'ai cédé : j'ai tourné le dos aux insultes et, sublimant dans le travail (ce mot !) mon addiction aux acides gras poly-insaturés et aux divers usages de la gomme de karité, j'ai courageusement entrepris de laisser la machine me guider pour élaborer un nouveau projet de recherches, entièrement innovant, réformé de fond en comble, performant en diable. Je tâtonnais, et la bécane me gourmandait en sourdine, ou me cajolait gentiment, m'indiquant par l'alternance de l'aigre et du sucré les voies qu'il fallait que j'emprunte et celles que je devais définitivement délaisser.

Au bout d'une demi-journée de pseudo-travail, même pas décoiffée, je pus enfin déterminer les trois axes de recherche que la programmation de la SurMachine m'indiquait comme potentiellement porteurs étant données mes spécialités : j'avais en effet atteint les plus grandes concentrations de délicats « bling-bling » en analysant un texte vraiment « porteur de valeurs » et dont « la vertu éducative est avérée » (Harry Potter), puis en ébauchant une lecture sémiotique de l'humour tout en finesse de Jean-Marie Bigard (« la salope sauvage, tu la vois tourner du cul au loin, mais tu la tires jamais »), et enfin en abordant la vision du monde développée dans les chansons de Mireille Mathieu (« Un monde joli est un monde / Où l'on vit sans peur ») et de Carla Bruni (« tout le monde a cherché quelque chose un jour / mais tout le monde ne l'a pas trouvé »).





2 commentaires:

  1. Euh, vous pourriez pas vous occuper des machines de mon labo ? Je vois que vous savez leur causer aux SurMachines

    L'offre est détaillée ici :
    http://zazaa.blogspot.com

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