vendredi 15 mai 2009

Le colloque: la suite (3)

Le jour de l’inauguration (en fait un soir, comme ça on oblige les colloquants à arriver la veille, et on peut commencer la première journée à huit heures du mat’, frais comme des gardons), je m'en suis tirée comme une chef. Le DRAC avait les yeux embués d'amour, le vice-président blablatait, l’adjoint à la culture en était à son troisième vernissage de la soirée et il s'est, avec un abandon surprenant, avachi sur mes épaules (je portais une ravissante robe coquetèle noire à fines bretelles, à la fois sobre, élégante et juste ce qu’il faut de sexy pour que chacun gardât à l’esprit ma silhouette gracieuse dès lors qu’il évoquerait le grandiose colloque sur l’otium qui s’était tenu, en avril 2009, à l’université de Feniazville), l’air attendri et la bouche pâteuse, limite baveuse. il y avait un extraordinaire coucher de soleil sur la grande salle vitrée de la bibliothèque, qui allumait des reflets cuivrés sur mes épaules dénudées, bref ce colloque inauguré par tellement de pontes qu’il avait fallu multiplier les cellules de crise préalables pour fixer le protocole commençait sous les meilleurs auspices. Il va sans dire que les petits pâtés de la boucherie Sanzot ont fait les délices des invités, qu’ils ont sifflé en moins de quarante-cinq minutes chrono les cinquante bouteilles de jus de raisin à bulles prévues pour l’occasion, et que tout le monde est rentré à l’hôtel, en titubant et en se disant que, décidément, ce colloque commençait bien.

Ceux qui n’avaient pas eu la judicieuse idée de passer à l’hôtel avant le coquetèle ont pu y découvrir, superbes quoique floutés par les vapeurs d’alcool, un joli badge aux couleurs de l’université de Feniazville, sur lequel était inscrit, dans une magnifique police Garamond, le nom de chaque colloquant, badge qui ne manquerait pas de faire naître d’inoubliables conversations aussi amicales qu’érudites. Le badge lui-même était épinglé sur une ravissante pochette surprise en carton plastifié bleu, remplie de prospectus vantant les charmes de la région, l'excellence de ses pizzerias, la qualité de ses boutiques de prêt-à-porter, et insistant surtout, sur un recto-verso A4 quadri pas bon marché du tout, sur l'audace architecturale, la fonctionnalité incroyable, et le niveau de prestation abudhabien du nouveau Centre Interrégional des Congrès récemment sorti de terre sur les ruines d'une ancienne léproserie (inutile de préciser, bien entendu, que la présence dudit prospectus revêtait un caractère purement provocateur, le tarif de la location horaire du Palais de la Pensée excluant catégoriquement qu'un quelconque colloque universitaire s'y tînt un jour et, partant, qu'un quelconque des destinataires du processus susnommé bénéficiât ailleurs que dans ses fantasmes de cette débauche de modernité criarde farcie d'écrans à plasma inutiles).

Une fois passé le choc du prospectus pour le Centre Interrégional, il ne restait plus à déballer qu’un programme artistement plié en trois, dont le tiers des informations était d'ores et déjà obsolète en raison des inévitables annulations de dernière minute et autre changement impromptu d'intitulé des conférences préparées dans le train. Enfin, last but not least, chaque participant se voyait gratifier du fameux stylo qui bave, spécialement conçu pour vanter, du fond de la corbeille où on l’aura remisé, le nom de mon alma mater. Par ailleurs, la pochette bleue renfermait aussi le précieux dossier de remboursement de frais, dont j’espérais secrètement qu’il passerait directement à la poubelle en même temps que les prospectus, mais bizarrement ça n’arrive que très rarement. J’avais plaidé, lors de ces réunions, en faveur d’un flacon de déo pour les femmes et de mousse à raser pour les hommes (ou l’inverse) mais, faute de pouvoir y faire figurer le logo de mon Université, j’avais échoué. J'avais également défendu, toujours en vain, le principe de la mini-pochette de bonbons Haribo déposée sur l’oreiller des participants, et celui du préservatif avec logo fluorescent, qui, lui, ne serait-ce qu’en hommage à David Lodge, ne manquerait pas de servir à plus ou moins brève échéance. Mes collègues m’avaient regardée avec une moue désapprobatrice, « allons, soyons sérieux ».

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