mercredi 6 mai 2009

On a fait La Maquette. Ma quête du Graal (4)

Le mardi suivant, on avait rendez-vous avec le doyen cette fois - je dis « on », c’est-à-dire les bons-à-rien du premier mardi, vu que les autres, ils étaient repartis vers les aventures cosmopolito-intellectuelles dont les obscurs lampistes de l’enseignement supérieur, grouillots de la pédagogie de premier cycle et Cendrillons du LMD – MCF fraîchement débarqués, ATER en transit, PRAG et moniteurs surexploités – ne peuvent que rêver tristement en mâchonnant un jambon-beurre devant leur ordinateur suranné. Donc, voilà tout un tas de feignasses réunies devant le taulier. Et là, pendant qu’on se lime amoureusement les ongles tout en feuilletant sous la table le catalogue Nouvelles Frontières, là-haut au bout de l’amphi, laissant l’esprit voguer sur l’écume des mots et attendant le moment de la péroraison où traditionnellement tombent les coups, le doyen, lui, tout seul à la tribune là-bas, s’échine à nous expliquer qu’à force de lâcher les forces du désir dans les champs de l’imagination, on est en train de dilapider l’argent du ménage. A ce rythme-là on va lui claquer la grenouille. C’est là qu’il lâche les mots terribles : San-Remo. Hachesureux, ça vous coupe net le bonhomme. Il est temps de mettre un peu de pragmatisme dans toute cette chienlit de forces, de désir et de créativité. Désormais et à partir de dorénavant et dès qu’on pourra l’appliquer, on aura chacun un paquet d’heures à esquinter, pas la peine de venir pleurnicher après pour en ravoir, il n’y aura pas de tournée de rab, maintenant au boulot, je ramasse les copies dans une semaine.

Il a fallu revenir la queue basse, le vernis à peine sec, la rêvasserie brutalement interrompue ; expliquer aux copains le coup de San-Remo et du Hachesureux ; plier les forces du désir et de l’imagination, pour pas qu’elles se froissent au cas où elles devraient resservir. Ça avait des airs de lendemain de saoulographie. La consigne nouvelle manière était bien moins sexy, en fait terriblement terne : exit le glam qui fait pschitt, on avait une semaine pour inventer une licence pas chère. Ça tombait mal, j’avais stretching, je pouvais pas rester pour faire dring dring avec mon mignon poignet, mais je vous fais confiance, les gars, allez-y, tranchez dans le lard.

Las ! Autant nous, les feignasses, on est bons pour aller s’inventer des licences pas sensées pleines de tout un tas de cours que non seulement on adorera faire mais qui en plus permettront vraiment à nos étudiants de devenir de bons littéraires, autant quand il s’agit de dégainer les calculettes et d’enfiler nos costumes de mousquetaires de l’enseignement supérieur (« le pays où la licence est moins chère »), on est tout de suite moins emballés. Il a pourtant bien fallu s’y mettre, jour après jours, au caviardage de La Maquette. On est tous passés en Jivaro-mood. On a calculé si par hasard on pourrait pas comprendre Tacite en faisant seulement 17 heures de latin par an. Supputé qu’une heure trois quart de linguistique c’était bien suffisant. Argué qu’autant d’options, finalement, nuisait à la cohérence du cursus. Que l’éparpillement menaçait. Avancé timidement qu’au fond, tous ces cours de littérature, est-ce que ce n’était pas les materner un peu, et leur ôter la possibilité d’heures de lectures intimes, de découverte personnelle des oeuvres, lâchés dans les rayons de la bibliothèque universitaire comme de grands braques mouillés dans les sous-bois un matin de novembre, la truffe au ras du sol et la queue frétillante ? On a divisé des CM en deux sous-TD, converti des ECTS d’Ancien Français en coefficients de langues vivantes. On a négocié une mise en commun du cours d’Anglais avec les étudiants d’Italien ; suggéré que la méthodologie se fasse en amphi (« une bonne rafale de slides sur la recherche doc, ça passe, non, coco ? ») ; compensé la disparition du cours magistral de littérature au premier semestre par une demi-heure de tutorat avec des étudiantes de master, sur la base du volontariat. Gratté quatre heures ici, six heures là - il y aurait des cours qui s’interrompraient en février, mais on était lancés, pas moyen de nous arrêter dans notre frénésie d’économies.

(à suivre...)

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