mercredi 11 mars 2009

On s'la coule douce en colloque (3)

Seulement, cette causerie, ça n'ouvre droit qu'aux Bonnes Grosses Nuits d'hôtel. Si on veut être remboursé aussi du trajet, ça suppose d'en faire un peu plus, par exemple assurer une présidence de séance. Je suis toujours volontaire. Ça, rien que de penser que c'est considéré comme un boulot, je m'étire d'aise! Ça consiste tout simplement à s'asseoir à côté de celui qui parle, pour qu'il ne se sente pas trop seul, et à lui désigner la montre discrètement au bout d'un moment, pour lui redonner courage en lui montrant que c'est bientôt fini.

Pour enrober le tout et ne pas trop laisser voir qu'on est payés à rien foutre, il faut quand même essayer de "rebondir" (oui, je sais, le mot est dégueulasse, ça fait penser à du mouvement) à chaque intervention. Moi, j'ai un truc imparable, et qui me tient éveillée en plus (parce que oui, j'ai oublié de dire: le seul inconvénient à être président de séance, c'est qu'il ne faut pas dormir, c'est pile la place où ça se voit): je note à la volée une ou deux citations du gars qui parle (bon, pas Genette ou Ricoeur, parce que tout le monde les a déjà mises dans sa propre communication), et je lui demande d'un air fin, pour relancer le débat (c'est pareil, "relancer", j'aime pas trop comme verbe, ça soulève le coeur un peu, non?…), si ce qu'il a voulu dire, c'est bien ça, et est-ce qu'il n'y aurait pas un paradoxe à penser que…? J'aime bien le coup du paradoxe, ça en bouche un coin à tout le monde, et le gars qui vient de parler essaie de s'en dépatouiller un moment, ça me laisse le temps de penser à ma prochaine question, sauf si une des feignasses avachies dans l'amphi fait mine de lever une paupière, dans ce cas je ne la loupe pas et fais signe de lui porter le micro, avant qu'elle se rendorme.

Ça n'a l'air de rien, comme ça, mais ça demande un peu de doigté, un peu de technique. Par exemple, la dernière fois, en notant mes citations, j'avais pas fait mouche, et au moment de reprendre la parole pour faire sentir combien tout ce qu'on venait d'entendre était pertinent, et ô combien ça élevait le débat et comme ça remettait profondément en jeu tout ce qu'on croyait savoir sur le sujet, voilà que mon œil tombe sur les notes que j'avais prises d'une main molle, et làs! J'avais pris des citations inutilisables. Par exemple, j'avais noté "peu importe" — c'est vrai, le type l'avait dit, ça, mais va construire une phrase avec un paradoxe à base de "peu importe", toi! Comme quoi, feignasse, c'est un métier.


Un colloque a TOUJOURS lieu dans un Centre de Recherches hyper classe.
C'est intellectuellement nécessaire.

1 commentaire:

  1. "et à lui désigner la montre discrètement au bout d'un moment, pour lui redonner courage"

    Ah ah ah, c'est excellent ! C'est tellement vrai : les gens n'imaginent pas à quel point exposer pendant 20 minutes est éprouvant nous, les feignasse ; le rôle du président de session est essentiel sur ce point !

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