– Puisque vous abordez le sujet le premier, je rassemblais précisément mes souvenirs, Lefuneste : oui ou non, ai-je déjà eu l'occasion de vous dire que vous étiez une larve ?
– Parce que vous trouvez que refuser de sortir quand le ciel déclenche une pareille artillerie de solides pulvérulents gros comme des boulets, c'est réagir en larve ?
– Pis. En cocon. Et je pèse mes mots. Remarquez, nous n'obligeons personne, nous autres qui avons le corpore sano autour d'une mens sana. On ne lutte pas contre la sélection biologique naturelle. Mais ne venez pas vous plaindre quand vous serez éteints, vous et ceux de votre tribu de pusillanimes. Les intempéries, c'est comme les contributions : on les affronte ou elles vous submergent. Ah, évidemment, il y faut de l'héroïsme, et le mépris du soin-soin. Je n'en disconviens pas. Si vous êtes dépourvu de la moindre volonté, que vous avez le muscle blafard et le grand-flemmard hypertrophié, on ne saurait vous le reprocher : c'est de toute évidence la lente dégénérescence d'une consternante lignée de pantouflards qui aboutit en vous à l'inévitable faillite. Par bonheur, à ce stade-là, on n'a plus non plus d'enfants, ce qui soulage les experts en prévision. En revanche, prenez mon cas : aucun mérite. Paf : dès le berceau, voilà que je me suis retrouvé de ceux qui vont fouiner dans la banquise, histoire d'ajouter quelques anecdotes au patrimoine de la race humaine. Il y en a qui écrivent l'histoire, et d'autres qui ont besoin de lunettes pour la lire. C'est comme ça.
Greg, Pas de pitié pour Achille Talon, Dargaud, 1976
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