vendredi 12 juin 2009

LGF surveille un examen (1)

Aaah, le joli mois de juin... Ses journées à rallonge, ses révisions sur le gazon du campus, ses sandalettes et ses pantacourts sentent déjà un peu l'huile solaire et la friture à beignets. Normalement, vers cette saison, on glisse doucement de la première session des épreuves du second semestre à la seconde session des épreuves du premier semestre (relisez lentement), et moi je prends mon pied, rapport au fait que surveiller des exams, c'est presque déjà comme la plage ! Je peux même me payer le luxe de faire un peu de la lèche dans les secrétariats pédagogiques : c'est toujours bon à prendre, et ça fait passer la pilule de mes innombrables absences absolument injustifiées (injustifiées, injustifiées, faut voir : qu'est-ce que j'y peux, moi, s'il y a des soldes absolument n'importe quand, dans ce pays ?), parce que je suis toujours disposée à remplacer avec le sourire un collègue défaillant. Faut dire qu'à cette saison, ça défaille sec, chez les collègues. A croire qu'il n'y a que moi pour aimer ça, la sieste devant un amphi bourdonnant de jeunes cervelles en surchauffe. Au fil des semestres, j'ai mis au point la préparation tip-top, la check-list en béton : le dernier numéro de Marie-Claire (celui avec le régime minceur) habilement dissimulé sous une jaquette "Revue de la BNF" arrachée à la BU (de toute façon, personne ne la lit) ; ma pince à épiler design et mon miroir de poche en racine de prunus nain ; un brumisateur pour s'il fait chaud ; des barres de céréales bio avoine-luzerne-cranberries dont l'emballage ne crisse pas quand on l'ouvre ; des chaussures légères dont on peut se défaire discrètement sous le bureau si les pieds gonflent…

Pourtant, j'ai senti très tôt que rien n'allait se passer comme prévu. Il faut dire qu'on courait avec un sérieux handicap. D'une part, pour éviter que les gauchistes enragés, manipulés et sûrement payés par l'Anti-France ne viennent s'opposer physiquement à la tenue des examens, consigne a été donnée aux secrétariats pédagogiques d'organiser les examens sur le campus de médecine, dont les bâtiments d'alu brossé, de verre dépoli et de bois des îles sont opportunément situés à trois quarts d'heure de bus du centre-ville, de sa fac de lettres aux couloirs décrépis couverts de graphs, et de ses trotskystes hystériques et certainement caténairoclastes. D'autre part, étant donné que la moitié de l'UFR est toujours en grève, les secrétaires ont un peu chargé la barque pour remédier à la pénurie de surveillants : “on vous a mis ensemble avec Monsieur Machin, hein, dans un grand amphi. Vous aurez aussi les étudiants de l'option "Mythologie grecque et souffrance sociale", si vous voulez bien, ils ne sont pas nombreux”. Bon, va pour Machin, et pour les mythes grecs. Ça ne fait jamais que trois épreuves différentes dans le même amphi. Et puis finalement, on a aussi écopé des étudiants de l'UE "La féminitude dans l'art latino-américain" et des inscrits à l'option “Marginaux et marginalité dans l'Irlande précolombienne”, à moins que je mélange. Tous ces braves petits sont donc convoqués un beau jour à 17h30 dans l'Amphi Ambroise Paré pour plancher sur ces différents "PIPOTI" (Programmes d'Innovation Pédagogique par Option Transversale Interfilière).

Le jour venu, je me prépare soigneusement, mais je ne peux pas m'empêcher de flairer le coup tordu. Tous mes chakras se referment et j'ai le karma qui couine. D'abord, il faut que je parte avec pas mal d'avance, parce que le campus de médecine est loin, et que j'ai de bonnes chances de me perdre et de passer vingt minutes à errer entre les chênes rouvres et les acacias robiniers en cherchant le bâtiment Z 56 dans lequel se trouve l'Amphi Paré, où m'attendront le prof de mythologie grecque, ainsi que Machin et tous nos impétrants. Ensuite, non seulement je trimballe quatre kilos de copies vierges et de réserves de brouillon (sans compter les cinq enveloppes brunes et ventrues qui recèlent les précieux sujets), mais en plus, aujourd'hui, à titre exceptionnel, je dois me coltiner deux ordinateurs portables avec alimentation, rallonges et chargeurs. Milou, il lit la presse, et depuis qu'il a vu qu'à Toulon on vendait des diplômes aux Chinois et qu'à Clermont-Ferrand les étudiants roumains venaient payer leur carte d'étudiant avec des rouleaux de billets, il me charrie un peu sur notre train de vie, à l'alma mater. Ce qui fait que ce soir quand il m'a vue partir avec mes deux ordinateurs, moi qui ne sors d'habitude qu'avec un délicat baise-en-ville et surtout pas de cartable, il m'a demandé en ricanant si on avait un deal “diplômes contre portables" avec une filière polonaise.

Oui, parce que les deux ordinateurs en question, ils sont un peu polonais. Le premier, il doit servir à un étudiant handicapé qui a droit à un tiers-temps supplémentaire et une aide à l'écriture. C'est prévu dans la loi, convenu avec la médecine préventive, et on a bien rassuré le jeune homme en lui garantissant que oui, pas de problème, pour cette épreuve comme pour les autres, on lui apporterait de quoi composer, qu'il n'avait pas à se faire de souci. Mais à moi, c'est un autre discours qu'elle a tenu, Geneviève : “Bon, voilà le portable pour le tiers-temps, je vous le donne, mais c'est pas sûr qu'il marche, hein !”. Donc ça va être la surprise… Le deuxième, il m'a été fourgué par le prof de mythologie grecque qui, finalement, au dernier moment et sans que ça soit en rien prévisible, a dû se décommander de la surveillance, “mais j'allais très bien me débrouiller, c'était simple, le sujet consistait en une analyse iconographique, une série de vases grecs qui défilerait en boucle à l'écran, sous forme de Powerpoint, je n'avais qu'à lancer la machine, ça tournait tout seul”. Tout seul, mon œil…
(à suivre…)

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