La grève, ça embêtait drôlement le roi et le pape, qui avaient besoin d’une élite cultivée, qui avaient aussi de gros besoins en fonctionnaires. Mais le monde et les temps changent...
La menace de dispersion, elle, était super efficace pour une raison très simple : pour les habitants de Paris, qui s’enrichissaient en louant chambres, hôtels et maisons, les étudiants mâles et turbulents constituaient une manne financière. Il faut dire qu'à la fin du XIIIe s., pour autant qu’on puisse en savoir quelque chose, Paris comptait environ 200 000 habitants, pour entre 5 et 10 000 étudiants. Soit une proportion énorme, comparable, par le déséquilibre qu’elle impliquait entre étudiants et habitants, avec celle de… 1968 ! J'avais beau ne pas y être, il devait y avoir une sacrée ambiance dans la capitale. Et perdre un tel groupe de consommateurs, même un peu agités du bocal, c’était ruiner l’économie locale…
La disparition d’une université, quoi qu’on en dise, ça provoque une série incalculable de dommages collatéraux. Les autorités médiévales l’avaient bien compris, elles...
Un autre truc, c’est que les clercs (il faut bien insister sur le fait que c’étaient des clercs, pas des nénettes à vernis Pink Chiffon) ont habilement su jouer plusieurs autorités l’une contre l’autre — celle du roi ou de la régente qui avait plus de couilles que lui, celle de l’évêque de Paris sur lequel on ne dira rien et qui était représenté par le chancelier (qui accordait la licence, on nous le rappelle un peu aujourd'hui), et surtout celle de la papauté sur laquelle on ne dira rien non plus et qui, bien que ou plutôt parce que lointaine, leur fut fort utile (alors qu'aujourd'hui, la papauté, comment dire?…). Elle avait tout intérêt à laisser se développer des centres de haute culture intellectuelle tels que les universités (mais si! c'était ça, les universités!), véritables viviers de fonctionnaires assurant une meilleure centralisation de l’Eglise et de prédicateurs aptes à combattre efficacement l’hérésie (quelles belles missions elles avaient, les universités...). La première arme, avant la grève et la dispersion, ç’a été l’arbitrage de la papauté.
C'est marrant, si on y réfléchit cinq minutes... A la fin du XIIIe siècle, l'Université pouvait s'appuyer sur le Pape pour s'opposer victorieusement au roi de France. Au début du XXIe siècle, paf, c'est le monde à l'envers : c'est au contraire le roi de France (enfin, ce qui en tient lieu) qui s'appuie sur le Vatican pour finir de relooker l'Université au démonte-pneu. Eh oui : quand notre Sarko Ier, par le truchement de son très volatil ministre des affaires étrangères, négocie en décembre avec le nonce apostolique la reconnaissance par la République des diplômes délivrés par les universités catholiques sur le territoire national, puis lorsqu'au mois de mai il entérine les résultats de cette négociation dans un décret qui accorde la collation des grades pour tous les diplômes canoniques ou profanes aux susdites universités catholiques, il nous fait un bel enfant dans le dos. Non seulement il abroge d'un trait de son Auguste Plume rien moins que 129 ans de laïcité universitaire, mais il donne d'une main aux universités du Pape ce qu'il est en train de prendre de l'autre aux Universités de la République, c'est-à-dire le pouvoir de définir elles-mêmes le contenu et la valeur de leur formation.
Bon, notez, ça a des côtés marrants. Jean-Marie Bigard va enfin devenir Maître de conférences en poiladologie à la Faculté Catholique Notre-Dame du Lâcher de Salopes : une bonne crise de fou rire, ça vaut un steak. Evidemment, on rigolera moins quand les mêmes universités catholiques délivreront des doctorats de cosmologie ou de science naturelle pas du tout rétrogrades, ou quand on pourra suivre en France avec un diplôme tout ce qu'il y a d'officiel un cursus de biologie non-darwinienne ou d'astronomie pré-galiléenne.
Au fond, la seule chose qui n'ait pas changé, en sept siècle, c'est l'incapacité totale du Souverain à imaginer le bordel dans lequel on se met quand on se colle tous les universitaires à dos...
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