mardi 2 juin 2009

Chronique de la vie universitaire au XIIIe siècle (1)



Nous sommes en l’an de grâce 1200, sous le règne du bon roi Philippe-Auguste. Le rôle de Paris comme capitale du royaume se confirme, et son aura culturelle est immense : on vient de très loin pour étudier dans la nouvelle Athènes...

Les écoles épiscopales et monastiques sont florissantes, mais la culture est également dispensée par des maîtres privés, qui enseignent sur le Petit-Pont et aux alentours. Parmi les plus célèbres d’entre eux, Adam du Petit-Pont, d’origine anglaise et disciple de Pierre Lombard, et un certain Abélard… La seule condition pour « ouvrir une école », c’est-à-dire souvent enseigner dans la rue, est d’obtenir une autorisation du chancelier, la licentia docendi, ancêtre de notre chère et menacée licence. Ça peut paraître tranquille, surtout quand on a sué sept ans sur sa thèse, mais qu'on se rassure: il fallait des lustres pour devenir docteur, et avoir atteint un âge canonique (35 ans) pour devenir docteur en théologie. Je serais encore trop jeune (hu! hu!).

Ces maîtres licenciés, qui enseignent librement, constituent, avec les étudiants, un groupe mal vu par les bourgeois. Il faut dire qu’ils n’y vont pas de main-morte, les bougres ! L’emploi du temps de l’étudiant type – jeune mâle célibataire souvent déraciné – consiste à « courir parmi les rues et les places, les tavernes, les chambres des prostituées, les spectacles publics, les cérémonies et les chants, les repas et les banquets publics, les yeux vagues, la langue pendante, l’esprit pétulant et l’aspect négligé » (c’est le pseudo-Boèce qui le dit). Quand il n’étudie pas, l’étudiant trompe l’ennui en buvant, en se battant, en violant la bourgeoise… La belle vie, quoi !

Un beau soir de cette année 1200, une rixe éclate dans une taverne : à la suite d’une altercation entre le serviteur d’un étudiant noble liégeois et le cabaretier, ce dernier est proprement rossé, et son estaminet dévasté. Le prévôt de Paris organise alors une expédition punitive : il attaque, avec l’aide providentielle de citoyens armés, l’hôtel où logent les étudiants liégeois. Cinq personnes sont tuées, dont le maître du serviteur responsable de la rixe. Ferait beau voir, aujourd'hui, qu'on nous tue nos étudiants… il faut aussi reconnaître qu'ils sont de plus en plus rares à avoir des domestiques. Si?…

A la suite de cette expédition vengeresse, maîtres et élèves portent plainte auprès du roi en menaçant de cesser l’enseignement et de quitter la ville si le prévôt n’est pas châtié. Je vous entends ricaner d’ici : qu’est-ce qu’il en a à foutre, le roi, qu’une poignée de maîtres et d’étudiants menacent de cesser l’enseignement, ou d’organiser une fuite de cerveaux ? Il s’en bat les roubignolles, le roi. Eh bien détrompez-vous ! Face à la menace brandie, le gouvernement, pris de panique, cède aussitôt. Non seulement Philippe-Auguste fait emprisonner le prévôt et ses complices, mais en plus il accorde un privilège exorbitant aux étudiants : s’ils sont saisis en flagrant délit par le prévôt, celui-ci devra les remettre à la justice ecclésiastique. Autrement dit, ils échappent, purement et simplement, à la justice royale – et chaque prévôt lors de son entrée en fonction devra prêter serment de respecter cette charte devant les étudiants…

Vous aimeriez bien savoir comment ils ont fait, nos aïeux, vous voudriez en prendre de la graine, hein ? Quel incroyable moyen de pression ils avaient trouvé, ces maîtres et étudiants, pour obtenir comme ça, d’un claquement de doigts ou presque, ce qu’ils voulaient ? C’est vrai que ce serait utile à savoir pour nous, pauvres universitaires qui nous épuisons depuis plus de seize semaines à « inventer chaque jour une nouvelle forme de lutte », de la grève des cours à la rétention des notes, en passant par la ronde des obstinés, les lectures de la Princesse de Clèves, le procès en Sorbonne de Nicolas et Xavier, les vers de Phédresse et Hydarcos, le gros ventre de Pasquet Fiscal, j’en passe et des meilleures.

Alors, trépignez-vous, impatients, c’était quoi, les armes incroyablement efficaces de nos vaillants ancêtres ? Je vous le donne Emile encore une fois : la grève (la suspension des cours) et la dispersion. Ça vous en bouche un coin, hein ?

(à suivre)

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire