Le jour où je le récupère pour le glisser dans mon cartable, il a l’air relativement inoffensif. Il peut même rester presque aimable et compatible avec mon hypertrichose palmaire pendant quelques jours, le temps de le feuilleter distraitement en attendant que le masque régénérant aux algues marines fasse effet, et de glaner çà et là quelques formules justes et rassurantes. Il a l’air anodin, comme ça, pile de papiers parmi tant d’autres piles de papiers.
Et puis, au fur et à mesure que l’échéance de la remise des notes approche, le supplice chinois qu’il porte en lui devient de plus en plus évident, et il subit une curieuse métamorphose. Il devient hostile, hérissé d’épines, agressif, tourmenteur. Il émet une fluorescence subliminale qui attire mon regard comme un aimant chargé d’ondes maléfiques. J’essaie de le pousser dans un coin, de le cacher sous un monceau de chemises multicolores, de l’ensevelir sous les innombrables ouvrages à lire pour mon prochain article, de le perdre négligemment à la piscine, de malencontreusement l’oublier sur une banquette de métro, de l’attacher distraitement à un arbre sur une aire d’autoroute, rien n’y fait. Il revient tarauder ma conscience, il hante mes cauchemars et, tant que je ne me serai pas assise face à lui, un stylo rouge à lèvres et vengeur à la main, il ne cessera plus de prendre des proportions alarmantes.
Donc voilà, c’est le jour J. J’ai fait le calcul, à raison de 20 mn par copie en moyenne, il va me falloir au moins treize heures pour venir à bout de mon modeste paquet de 40 devoirs (mon hypertrichose a failli faire une crise d’épilepsie en constatant que je songeais à évoquer la correction des 120 copies de L1, je dois faire attention, ses nerfs sont fragiles en ce moment, je m’abstiens donc). Sachant que 20 mn, c’est dans les bons jours, quand j’ai passé une nuit paisible et reposante, que j’ai pu faire deux siestes + un bain de soleil + une séance d’UV le jour précédent, que mon esprit n’est pas préoccupé par la préparation d’un colloque sur l’otium, la rédaction d’une communication urgente ou la soutenance imminente d’un mémoire que je n’ai pas encore eu le temps de lire (autant dire que les bons jours, ils se font rares), il faut généralement compter une marge de 5/10 mn supplémentaire par copie, soit au moins deux heures de plus au total. Comme je dois rendre mes copies avant la fin de la semaine, et que je ne suis pas wonderwoman mais super feignasse, je n’arriverai pas à tenir un marathon non stop de treize à quinze heures. La conclusion est donc claire : je ne peux plus repousser l’échéance.
(à suivre)
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