mardi 7 avril 2009

LGF fait un cours magistral (2)

La suite, c’est qu’il faudra mettre mes notes en forme, définir un plan (une fois, puis deux, puis trois, puis douze, pfff, quelle galère), m’obliger à rédiger des passages entiers pour tester la solidité d'une hypothèse, la fécondité d'un rapprochement, l'efficacité d'une formule (cette folle intensité laborieuse, c'est mon côté feignasse schizophrène). Cette opération prend un temps et une énergie incroyables. Je vous le donne Emile: c'est dans cet effort que se réalise l'improbable alchimie par la grâce de laquelle une montagne de références poussiéreuses, de lectures anciennes et de littérature secondaire boursouflée va se trouver broyée, synthétisée, distillée, pour qu'enfin les quelques gouttes lumineuses de concentré d'essence de travail tombent dans les oreilles fatiguées des étudiants. Et le concentré d’essence de travail, croyez-en une experte en cosmétiques et parfums, c’est quelque chose (tout cela à condition bien sûr que j'aie préalablement assommé mon hypertrichose palmaire). Un cours vraiment réussi, je m’en suis rendu compte à mon grand désespoir, ça n'est pas un sujet excessivement passionnant comme les Impensés de Blaise Bigard qui le détermine : c'est plutôt le tour de force qui a permis de tirer (mais ne les avais-je pas exclus de mon vocabulaire, ces mots-là?), d'un objet apparemment ultra-spécialisé et hyper-casse-bonbons deux heures de conférence qui vont aimanter le regard (originellement bovin, je le rappelle) des étudiants et aiguiser celui, jaloux, des étudiantes, ulcérées de me voir conjuguer l'assurance classieuse de la femme-femme avec l'éloquence talentueuse de la savante (je me jette quelques fleurs aujourd'hui, désespérée que mes fidèles lecteurs aient cessé de m'envoyer des marques d'amour).

Donc, lorsque l'invraisemblable mécanique fonctionne, au prix d’efforts que ma morale réprouve, un gros tas de papier rébarbatif fleurant bon la bibliothèque moisie peut se transformer en pétillement d'idées, en mosaïque pour synapses, en feu d'artifice de stimulation corticale pour mes étudiants qui, certains au moins, sortiront de l'amphi avec des fourmis au bout des doigts et l'envie bizarre de dévorer dans la nuit trois pleins rayonnages, je le sais, j'ai été comme eux, en tout cas ça m’est arrivé quelquefois, et je me plais parfois à croire que cette alchimie-là opère encore et que dans l'amphi désormais déserté dans lequel je me dépêche de ramasser mes papiers en éteignant d’un doigt agile la lumière, l’ordinateur, le rétroprojecteur et le micro, quelques âmes perdues ont trouvé ce que l'Université n'existe que pour leur offrir, comme elle me l'a offert à moi-même il y a, euh, bon, n'épiloguons pas sur ces questions de dates qui n'intéressent personne.

Seulement, pour obtenir ce résultat incertain, et c’est là mon drame, il a fallu non pas des heures, non pas des journées, ni des semaines, ni même des mois. Il a fallu des années. Des années à accumuler les notes, à discuter avec d'autres feignasses enthousiastes (non, ce n’est pas un oxymore), à affronter des colloques pas tous intéressants pour y dénicher la perle, à éplucher d'énormes thèses arides pour y chercher la note de bas de page qui change tout, à répéter des centaines de fois les gestes intellectuels qui sont désormais devenus des réflexes et qui me permettent de circuler sans me filer un bas ni me tordre un escarpin dans le dédale des textes, des idées, des émotions. Un cours magistral, c'est du jus de temps vieilli en fûts (je me suis donné du mal pour la trouver, celle-là, j'espère que vous l'afficherez au-dessus de votre hamac).

( à suivre)

4 commentaires:

  1. nous sommes trop feignants pour écrire des commentaires!
    Merci à vous pour tous ces billets!

    RépondreSupprimer
  2. Avis des lecteurs :

    Pourquoi récidiver avec « bovins » ? Alors que vous nourrissiez peu à peu l’image d’un parterre d’étudiants doucement hypnotisés sous le coup de vos charmes infaillibles.
    D’autant que là, le tableau pèche par certaines mentions scabreuses : "Impensés" de Blaise Bigard (prout ! je vous le donne Emile, comment vas-tuyau de poêle ?) et quand ça ne sent pas vaguement la sueur (élément rédhibitoire pour toute feignasse se respectant), on est en plein salon de l’agriculture : « fleurant bon la bibliothèque moisie », « Un cours magistral, c'est du jus de temps vieilli en fûts »… Bonjour les effluves ! Le jeune mâle ne s’y retrouve plus…

    Gare à la débandade !

    RépondreSupprimer
  3. Vous filez un mauvais coton, vous ! Si maintenant vous vous mettez à travailler... Quel modèle donnez-vous à la jeunesse qui veut rejoindre le troupeau des GF ? Tttsss... Et puis pour être vraiment girly futile, il vous manque l'ordinateur portable rose fuschia. Gris métallisé, c'est beaucoup trop sérieux !
    Et puis une vraie GF se contente de lire un que-sais-je en lieu et place de cours magistral, c'est largement suffisant.

    RépondreSupprimer
  4. Allons, cher Harry, qui a contemplé les yeux humides et gracieux des vaches sait que leur placide rumination est l'amie de l'authentique feignasse. Quant au salon de l'agriculture, outre qu'il rappelle les meules de foin où la sieste est si douce, un brin d'herbe sucré entre les dents, il faut reconnaître qu'on y a pratiqué il n'y a pas si longtemps une manière de congédier les Vrais Défenseurs du Travail qui a quelque charme, elle aussi... Enfin, pour la Souris des Archives : chère Souris, attendez donc dès demain le troisième volet de ce billet, qui vous rassurera sûrement (quant au portable, il est gris, c'est vrai, mais sa housse est bel et bien fuchsia, je vois que nous sommes entre feignasses du même monde).

    RépondreSupprimer