mardi 28 avril 2009

LGF fait un TD (2)

La concentration est à son maximum, les antennes invisibles sont aux aguets, afin de percevoir les plus subtiles vibrations de mon regard bleu azur. Celui-ci, telle l’aile délicate du papillon, se posera tour à tour sur chacun des crânes plus ou moins chevelus que l’on persiste à me présenter. Il va forcément s’arrêter sur un malheureux incapable de percevoir lesdites vibrations et qui, levant le nez à ce moment-là, se composera aussitôt un œil de cocker implorant, mais trop tard, tant pis pour lui : « Rémi, vous commencez ? ».

Rhô là là, comme il est content d'être venu, Rémi. Lorsqu'il sent les mâchoires du piège se refermer sur lui, il se recroqueville dans ses Campers trouées en maudissant le réveil « Inspecteur Gadget » offert par Tante Agathe, à cause duquel, et donc transitivement de laquelle, il s'est levé à l'heure et par voie de conséquence se trouve céans sur le grill. Le Travail Dirigé, aujourd'hui, pour Rémi, ça n'est pas l'Ile aux Enfants, c'est une séance de maïeutique aux forceps. Je me glisse alors instantanément dans ma panoplie de Socrate, en négligeant le fait que le brave hellène était moche comme un pou, et que comme en un Silène le meilleur s'y cachait à l'intérieur, parce que ça c'est une idée vraiment dure à avaler pour Nous-les-Femmes – mais je n'ai pas le choix, il va falloir ça pour parvenir à produire les questions pertinentes grâce auxquelles ce jeune esprit encore mal dégrossi (et embrumé par la 8°6 du matin) finira par accoucher d'une pensée dont il n'a pas encore la conscience.

« Quelle(s) est (sont) la (les) notion(s) mises en jeu ici ? – Ben, euh…, ça parle, euh…, comme qui dirait, heu, de p’tits romans ? » Argh, le chemin de la maïeutique sera long et hérissé d’épines, ce matin. Mais il ne faut pas doucher de façon cinglante cet enthousiasme juvénile (je faisais ça, quand j’étais apprentie- feignasse vêtue de probité candide et de lin mauve : au pauvre étudiant timide et tremblant qui avait osé une réponse un peu approximative, je répliquais « ben non, gros naze, c’est pas ça », et j'ai mis du temps à comprendre pourquoi personne ne voulait plus intervenir dans mon cours) : « Mouiii, nous avons effectivement affaire à un genre en prose, vous êtes sur la bonne voie. Mais plus précisément ?… Est-ce que le nom de l’auteur pourrait vous aider ? – Ben, c’est, heu, comment j’vais dire, ben, c’est Bodler, quoi ! – Oui, Baudelaire, excellent, vous le connaissez sans doute pour une autre de ses œuvres, laquelle ? ». Retour au silence. « Est-ce que quelqu’un d’autre veut intervenir ? ».

Tu parles, Charles. Maintenant qu'un des gars de l'équipe s'est fait pécho, les autres sont des Mohicans. Un esprit non entraîné pourrait croire que la salle est vide, tant l'assistance a développé de talent pour disparaître dans le crème pisseux des murs, se fondre dans le bois tailladé des tables, couler dans les ressorts grippés des strapontins. Je plane au-dessus des eaux en rêvant vaguement de siestes dans ma méridienne, et je jette un coup d’œil rapide à ma montre (pas une Rolex, mais pas grave, j’suis pas un homme et j’ai pas 50 balais) : aiguilles engluées, ce fructueux échange n’a même pas duré cinq minutes. Il me reste encore quatre-vingt-cinq minutes à tenir. C’est là qu’un choix cornélien s’offre à moi.

(à suivre...)

1 commentaire:

  1. quel suspense, je n'en puis plus,
    aurai-je le courage d'aller lire la suite?

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