mercredi 1 avril 2009

LGF en AG (2e essai)



Une semaine et 1200 mails plus tard, il y a eu une nouvelle AG, dans l’amphi A (c’était en gros, en gras, on pouvait pas le louper). Et là, il s’est passé un truc incroyable. On était en train de débattre du premier point de l’ordre du jour, à savoir comment devait s’intituler cette AG.

J’explique pour les feignasses qui n’ont jamais mis les pieds dans une AG et qui ignorent donc à quelle casuistique subtile il faut constamment se livrer : il y a l’AG d’enseignants-chercheurs (sauf que l’alma mater nourrit aussi, plus mal que bien – y peuvent pas s’acheter autant de vernis à ongles que moi – d’autres grosses feignasses qui sont censées juste enseigner), l’AG « du personnel » avec les BIATOSS, et puis, surtout, la méga AG « unitaire » (rarement unie), qui devient la plupart du temps une AG étudiante, où l’on commence par voter sur l’ordre du jour (« alors on commence par le bilan, puis les perspectives, puis les revendications : tout le monde est d’accord ? – Ben non, moi je trouve qu’il faudrait commencer par les revendications » ; donc on essaie toutes les combinaisons possibles et on vote : quand on est quelques milliers, ça prend un peu de temps, une vraie bénédiction pour les feignasses qui n’ont rien d’autre à faire de leurs journées) et qui dure des plombes, si bien que des feignasses comme moi ne restent jamais suffisamment longtemps pour voter sur les trucs vraiment importants.

Bref donc, là, il fallait commencer par savoir comment baptiser l’AG, surtout pas unitaire mais avec quand même une poignée d’étudiants « observateurs » installés au fond de la salle (c’est toujours derrière eux que je m’assieds, comme ça ils ne peuvent pas voir que je passe l’AG à me limer les ongles).

Je disais donc qu’on débattait du premier point quand un collègue, d’habitude très réservé, a demandé la parole. Il était assez hésitant au départ, mais son discours a progressivement pris de l’ampleur, et il nous a convaincus, enflammés, galvanisés. Nous l’écoutions dans un silence à la fois recueilli et plein d’ardeur ; même l’étudiant-de-Sud semblait en transe. Un nouveau monde se créait sous nos yeux, plein de savoir et de cosmétiques gratuits, où l’Université serait un phare étincelant, éclairant des citoyens qui, grâce à nos lumières écologiques et à basse consommation (parce que, quoi qu’on en dise, un chercheur en littérature, ça coûte pas bien cher, j’en reparlerai peut-être un jour, là j’ai trop la flemme) pourraient voter en connaissance de cause et lire La Princesse de Clèves au coin du feu à leurs enfants et leurs petits-enfants éblouis. Quand il s’est arrêté de parler, nous nous sommes tous levés, les larmes aux yeux, pleins d’amour pour nos prochains (y compris pour le collègue qu’on n’a jamais pu blairer), nous nous sommes pris par la main (nonobstant nos hypertrichoses palmaires) et nous avons chanté ensemble « Debout, les feignasses de la terre ». C’était beau.

Au cœur de cette communion extatique, j’ai malheureusement dû lâcher la main de mon voisin pour chasser une mouche qui bourdonnait contre mon oreille « Kressss, Kresss » (j’avais l’impression qu’elle répétait « Pécresse, Pécresse »), et j’ai heurté une table en bois qui avait eu le mauvais goût de se placer sur le chemin de mon hypertrichose. Le choc m’a fait tomber de mon nuage de crème Nivea fouettée. J’étais seule dans l’amphithéâtre déserté, avachie sur mon siège et la tête posée sur une pile de tracts syndicaux. J’entendais juste le froissement des papiers balayés par un jeune homme vêtu d’une blouse verte, qui m’a regardée d’un drôle d’air.

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