samedi 9 mai 2009

Billet TLF à cogiter

"Nous faisons actuellement l'expérience d'une crise du jugement, qui est le résultat d'espérances déraisonnables quant à la quantité de publications qu'on peut attendre d'un universitaire. Je ne dis pas qu'il n'y ait pas de bonnes publications – c'est loin, très loin d'être le cas – mais on a peine à distinguer la valeur des bons livres dans la quantité de ceux qui sont tout juste passables, et
d'autres qui ne le sont même pas. Je proteste ici au nom des bons livres, noyés dans le flot des mauvais. Et je ne veux pas dire que les productions de qualité moyenne ne devraient pas être publiées.
Les chercheurs ont besoin d'écrire. Et, en fait, il faut faire paraître bien d'autres choses que ce qui est réputé "excellent", car ce qui est "excellent" ne correspond guère qu'à la dernière définition de ce qui est à la mode ou de ce qui ne soulève pas d'objection particulière.
Le problème est ici celui de l'accent mis sur la production, sans aucun souci de la réception. L'équilibre entre ces deux éléments – la production et la réception – a disparu. Il faut en restaurer la symétrie. La difficulté vient d'avoir fait dépendre la titularisation des enseignants du nombre de publications, des publications que bien peu lisent. Je ne veux pas dire qu'aujourd'hui aucune publication n'est lue, mais que c'est le cas de beaucoup d'entre elles. Souvenez-vous de la vieille devinette philosophique que les enfants se passent de génération en génération à l'école : si un arbre tombe dans la forêt sans qu'il y ait personne à côté, est-ce qu'il fait du bruit ? Eh bien, la version d'école doctorale de la même question pourrait bien être la suivante : a-t-on affaire à une contribution au savoir, si personne ne la lit ? "

Lindsay Waters, L'Eclipse du savoir, tr. fr. Paris, Allia, 2008, p. 33-35.
(ed. originale : Ennemies of Promise. Publishing, Perishing, and the Eclipse of Scholarship, Prickly Paradigme Press, Illinois, 2007)
L. Waters est une des directrices éditoriales des Harvard University Press.

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