Enfin, le doyen est passé jeter un oeil sur les copies par-dessus nos aimables épaules, et a remis un petit coup de moulinette, en substituant à nos UE de littérature en première année un vaste mais ambitieux Tronc Commun de Bouillie Pour Chats. On s’était bien appliqués, en tirant la langue, à calculer nos Hachesureux et nos effectifs San-Remo, mais il a sorti de sa besace le calcul d’un « coefficient d’érosion » qui anticipe sur le fait qu’un quart de nos étudiants vont se décourager avant Noël, ce qui justifie que les 5 groupes de TD du premier semestre peuvent se réduire à trois dès janvier. Il a rappelé l’existence d’une Péréquation Humanitaire qui nous oblige à rétrocéder un cinquième de nos moyens à des petites filières à faible effectif.
De ma petite mimine exténuée (j’avais depuis longtemps remisé les breloques), j’ai refait une trentième fois le calcul des heures, des coefficients et des crédits ECTS - expérience ruineuse pour le moral autant que pour le physique d’une authentique paresseuse. Mais c’était bon. Nous y étions parvenus. Nous avions la licence la moins coûteuse du parc universitaire français. Nous allions former des diplômés qui auraient fait moins de littérature que pendant leurs années de lycée. Le doyen était content de nous. Il a fait péter trois bouteilles de Champomy, et on a trinqué dans des gobelets en plastique-imitation-cristal à 0,35€ le lot de cent. On avait sauvé la boutique. L’équipage au grand complet, réunie sur le pont pour l’occasion, s’apprêtait à nous porter un toast. Le président lui-même allait descendre de sa cabine pour nous exprimer sa reconnaissance, nous avions respecté la LOLF et anticipé sur la LRU, nous avions préparé une licence « à coût constant » que les services de com allaient maintenant s’occuper de vanter dans les salons et les foires du Bassin d’Emploi, masquant l’étique volume horaire sous le fard de dispositifs d’Aide à la Réussite dont le ronflant des noms n’aurait d’égale que la totale absence d’existence réelle. Nous étions les héros du jour. L’Employé du Mois de notre Alma Mater à nous. J’aurais mon portrait en pied dans la salle du Conseil.
« Eh, tu la lâches, à la fin, l’enveloppe ? » Ça, c’est le prof de XVIIe, mais qu’est-ce qu’il me veut ? Des brumes délicieusement enivrantes du Champomy émerge progressivement l’image d’une enveloppe de kraft brun, gonflée de feuillets raturés. La Maquette. Non, c’est pas vrai, je me suis endormie dessus ! J’ai déjà fait le coup, je sais. LGF est narcoleptique, je vous l’avais pas dit ? Vous devriez essayer, ça peut aider, dans cet univers impitoyable. « - Ah, euh, excuse-moi, j’ai un peu perdu le fil dans la dernière discussion. On en est où finalement, de La Maquette ? » Et dans un éclair, je comprends que j’ai dû m’assoupir depuis pas mal de discussions, parce que sa réponse me douche : « - Ben, comme on avait dit. On a repris l’ancienne maquette. Mais on a supprimé toutes tes options. Tu comprends, ça faisait trop d’heures. »
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Maître Waillant GmBH
RépondreSupprimer“Bei wem ist es immer warm”
à ses derniers collaborateurs
salutem
« (…) Et c’est ainsi qu’ils ont fait de l’obstruction jusqu’à maintenant. Je ne sais pas ce qui va arriver maintenant. Je pense que l’université disparaîtra à cause de ces poètes qui sont nombreux à un point que c’en est incroyable. (…)
Et je me souviens du temps où, quand un maître allait aux bains, il avait plus de pensionnaires derrière lui que maintenant, les jours de fête, quand ils vont à l’église. En ce temps-là, les étudiants étaient aussi discrets que des anges. Alors qu’aujourd’hui, ils vont de tous les cotés et n’ont aucune considération pour les maîtres. Ils veulent tous habiter en ville et prendre pension hors du collège, si bien que les maîtres n’ont vraiment presque plus personne à table.
De la même façon, dans la dernière promotion, il n’y a eu que dix bacheliers. Et, quand nous avons fait passer l’examen, les maîtres ont parlé d’en recaler quelques uns. Alors, j’ai dit : « Jamais de la vie ! Car, si vous en recalez un seul, plus personne ne se présentera à l’examen, ni ne se préparera aux diplômes. Ils iront tous chez les poètes ! Et ainsi, nous les avons repêchés. (…)
L’autre jour, pendant un examen, j’en ai interrogé un :
- Dis-moi comment ça se fait que tu ne répondes rien ?
Il m’a dit qu’il était comme ça timidique. Alors, je lui ai répondu que je ne pensais pas qu’il était si timidique que ça, mais plutôt qu’il était comme ça ignorantique.
Alors, il a dit :
- Par Dieu ! Non, Seigneur Maître ! J’ai beaucoup de connaissances en moi, mais elles ne veulent pas sortir.
Alors, je lui ai accordé la dispense. Vous voyez à quel niveau sont tombées les universités.
J’ai un pensionnaire que j’ai interrogé l’autre jour au sujet d’un délit. Et voilà qu’il s’est rebellé et qu’il s’est aussitôt mis à me tutoyer.
Alors, je lui ai dit : « - Je m’en souviendrai le jour de ton diplôme ! » en insinuant ainsi qu’il serait recalé. Il m’a répondu :
- Et moi, je chie sur vous et sur vos bacheliers, et je vais partir pour Thélème, où les précepteurs ne se moquent pas comme ça de leurs élèves et ne font pas des blagues pareilles pour leur faire passer le baccalauréat ! Mais quand quelqu’un est instruit, on lui rend les honneurs, alors que s’il est ignorant, on le traite d’âne comme un autre !
Et je lui ai dit :
- Toi, ribaud ! Est-ce que tu voudrais mépriser le diplôme du baccalauréat, qui est une grande dignité ?
Alors, il a répondu qu’il se fichait même de la maîtrise. Et il a dit :
- J’ai entendu dire par un ami, qui a étudié à Thélème, qu’il a vu là-bas que tous les maîtres ès arts qui venaient de France étaient traités comme des bizuths, contrairement aux simples étudiants ! Car à Thélème, on méprise ceux qui sont reçus bacheliers ou maîtres en France.
Et voilà les abominations qui se passent ici !
C’est pourquoi je voudrais que toutes les universités s’accordent pour condamner ensemble tous les poètes et les humanistes qui ruinent les universités. »
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