lundi 4 mai 2009

On a fait La Maquette. Ma quête du Graal (2)

La messe étant dite, j’avais dégainé le top en strech super moulant que je n’ose pas forcément porter en amphi mais quel dommage de le laisser dans l’armoire, les bracelets qui font drelin-drelin quand j’agite ma menotte en prenant des notes, et j’attendais que les idées fusent. Le coup du stylo et des bracelets drelin-drelin, je suis spécialiste. En réunion, les collègues sont tellement soulagés que quelqu’un prenne en note les débats qu’ils tolèrent parfaitement qu’à part noter leurs bavardages tu ne fiches rien de constructif, surtout pas proposer des idées. J’ai remarqué ça très tôt dans ma carrière, je ne me pointe jamais en réunion sans une batterie de stylos, un bloc-note fourni, et des bracelets breloques qui en s’agitant soulignent que « euh, moins vite, là, je bosse moi ! ».

Cette fois-ci, la breloque, c’était vital. C’est que le président, là, il voulait qu’on soit imaginatifs, qu’on libère les forces du désir et de la création. On avait carte blanche. Allez-y les gars, pourvu que ça soit créatif, pétillant, brande niou, avec de la mousse autour et du fondant dedans. C’est le genre de truc qu’il faut pas trop nous dire, nous. Ce mardi-là, faut avouer, on s’est un peu lâchés, façon collégiens devant un buisson de mûres. On en avait partout. Il voulait du nouveau, du créatif, du qui brille et qui fait pschitt avec de la plus-value intellectuelle ? On allait lui montrer de quoi on était capables. Au bout de l’après-midi, on lui avait ficelé une licence de lettres à me donner des crampes dans la breloque. Ça allait mousser, j’avais à peine eu le temps de prétexter une pause-pipi pour aller voir sur ma page page failleceboucque si le groupe « je fais moi-même mon blush avec des carrés Conté écrasés » avait gagné des abonnés.

On avait explosé notre quota d’heures de Méthodologie Générale, de Méthodologie Disciplinaire et de Méthodologie Transdisciplinaire, on avait tartiné la maquette de Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication, nos piou-pious allaient être les cadors de l’Environnement Numérique de Travail, les cinquième dan de la Recherche Documentaire en Autonomie, les yokozuna de la Remédiation Individualisée en Monitorat. Ils allaient faire tellement de langues anciennes qu’ils seraient les seuls diplômés français à parler latin couramment ; ils comprendraient le créole mieux que Césaire et la Langue des Signes mieux qu’Emmanuelle Laborit, et ils seraient même capables de voir que page 12 de son Cours de linguistique générale Saussure s’était un peu gouré, enfin il avait été imprécis. Pour ne rien dire des cours de littérature : des matinées de fascinants one-man-show en amphi, des après-midi entières passées sous les arbres à deviser de Racine et de Chateaubriand avec leurs professeurs, des soirées au coin du feu à lire des fabliaux et de la poésie sonore, des heures entières d’entraînement à l’oral, des exercices écrits, des séminaires, des conférences… Ce mardi-là, on s’était quittés contents de nous. En tout cas, les collègues étaient contents. Moi, je m’inquiétais un peu pour ma flemmingite aiguë, qui venait de prendre un coup dans l’aile.

(à suivre...)

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