lundi 25 mai 2009

Le colloque: la suite (7)

Désespérée, le rimmel low cost dégoulinant sur mes joues et la goutte au nez, je m’en ouvre une semaine plus tard à mon Grand Gourou de l’époque – mon directeur de thèse. Il m’écoute attentivement, compatit abondamment, et conclut par une déclaration qui me marque à jamais : « le paresseux est plus loyal que les autres hommes, il ne fait pas semblant de travailler », et puis, surtout : « maintenant, il faut oublier ».


Ce qu’il s’empresse de faire puisque, deux mois plus tard, il m’appelle un beau matin pour m’annoncer que l’un des membres de mon jury a oublié (la capacité d’oubli est une qualité remarquable chez certains universitaires) qu’il avait deux soutenances en même temps. Mais que je ne m’inquiète pas, il a pris une petite initiative qui ne pourra que m’enchanter : il assiste à un colloque en compagnie de l’éminent spécialiste, et il a pris la liberté de lui demander de siéger à ma soutenance. Il se contentera de lire le rapport de l’absent qui a toujours tort, mais c’est-y pas gentil de sa part ? cela donnera du lustre à votre soutenance, croyez-moi. La seule petite chose à faire, c’est de lui envoyer votre thèse, pour le remercier.

Encore abrutie de sommeil, l’œil vague et le cerveau embrumé, je parviens à articuler d’une voix pâteuse : « Méééé, mééé, c’est pas possib’ ! Z’avez quand même pas oublié ce qu’il m’a fait ?
– Ah non, quoi donc ?
– Il a pillé (je meugle dans le combiné) mon Déeuhaaaaa.
– Ah j’avais oublié. Scusez-moi. Mais là c’est trop tard, cocotte, il m’a déjà dit oui ».
Je jette un œil désespéré sur mon gros bébé de 850 pages, qui trône fièrement sur mon bureau. Au terme de dix minutes de négociation hargneuse, j’obtiens de mon directeur un sursis : l’exemplaire ne sera remis qu’au moment de la soutenance. Comme ça au moins, l’éminent spécialiste ne pourra publier ma thèse, en substituant juste son nom au mien, qu’après ma brillante prestation d’obscure précaire.


Pendant le mois ultime qui me sépare de la soutenance, je rumine amèrement un moyen de faire payer à l’éminent spécialiste cette terrible trahison. Puis-je faire précéder toutes les occurrences de son nom par « ce saligaud de X » ? lui faire une spéciale dédicace « à mon plus grand plagiaire » ? imprimer une page sur deux à l’envers ? les coller une à une avec une goutte de vernis ?
Le jour de ma soutenance, l’exemplaire est prêt. Bête et neutre. J’ai capitulé. Mais l’éminent spécialiste n’arrive pas. Il n’est pas là à 13h45, histoire de serrer des mimines humides. Il n’est pas là à 14h, quand je m’entraîne à la respiration du petit chien pour me calmer. Il n’est toujours pas là à 14h30, quand j’achève mon speech étourdissant, et pas davantage à 15h. A 18h30, quand enfin on peut aller se pinter au champagne offert par la maman de Milou, on ne sait toujours rien de son sort. Aidée par les bulles euphorisantes, je me prends à rêver : et s’il avait eu une attaque ? et s’il était mort pile le jour de ma soutenance ? Ce serait beau, non, quand même ? Trois jours plus tard, j’apprends par hasard qu’il s’est trompé de fac : entre Paris XV et Paris XVI, il faut dire aussi que la différence est minime.

(à suivre...)

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