Le bagne… La conférence brillante, rigoureuse et prodigieusement angoissée d’un jeune doctorant a tout à coup fait craquer l’épaisse couche de vernis dont j’avais enduit mes ongles et ma mémoire. Je ME revois, recevant mon invitation au premier colloque de ma vie:
Aussitôt assaillie par les symptômes habituels du travailleur névropathe (enthousiasme, appréhension, alternances de surexcitation et de tachycardie, lectures frénétiques, pages noircies puis aussitôt brûlées, etc.), je m'attaque à la préparation de la conférence que je suis censée prononcer, conférence qui, crois-je naïvement, marquera mon entrée dans le monde savant. Pendant des nuits je me shoote à la note-en-bas-de-page, parfois mélangée avec du contrôle-de-citations-sur-douze-éditions-différentes, et je m'octroie même une ou deux fois, sur le coup de quatre du mat, le luxe suprême de la retraduction-de- l'original-en-latin-que-personne-n'a-lu. Pas peu fière, et totalement inconsciente du danger (alors qu'il est manifeste que je galope tout droit vers l'infarctus du cerveau), me voilà donc au matin de la première séance du colloque, attifée comme une première communiante, les tempes bourdonnantes et la robe bien sage, dandinant mon inexpérience et ma volonté de bien faire sous le nez de barbons blasés que je crois séduire quand je me contente - mais hélas je n'en ai alors nulle conscience - d'agiter sous leur nez le spectre de ce qu'ils détestent et fuient avec une prudence désormais consommée : le plaisir de bosser comme un noeud sur un sujet dont tout le monde se tamponne sauf moi – et peut-être aussi la silhouette exquise d’une jeunesse à jamais perdue.
Consciente de ma toutepetitesse et de l’obscure précarité qui tombe de mon étole élimée, je vais humblement m'asseoir au dernier rang d'une vaste salle de conférence, dont la charpente médiévale résonne de l'écho des micros. Le maître de cérémonie prend alors la parole et présente les orateurs de la matinée : littéralement submergée par le déferlement de titres prestigieux, bercée par les noms exotiques des universités lointaines comme le Marius de Pagnol par l'idée des Îles Sous-le-vent, je rêve de gloire en ouvrant mes esgourdes, prête à capter la moindre écume de savoir dans le flot d'intelligence qui, j'en suis sûre, va déferler.
(à suivre...)
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