(Il faut savoir que, outre les cosmétiques et les livres – que j’achète juste pour décorer mon bureau et faire croire que j’ai beaucoup lu et réfléchi, mais en fait je souligne des passages et je corne les pages selon un algorithme aléatoire, plus sophistiqué cependant que celui des copies qu’on jette du haut de son escalier et qu’on note en fonction de la marche sur laquelle elles sont tombées –, mon principal pôle de dépense, c’est mon kiné. Parce qu’à force de me trimballer bouquins et bécane antédiluvienne de 14 kg sans la batterie, à force aussi de m’endormir dans mon transat « Travailler plus pour gagner plus » ou sur mon fauteuil Poang de chez Ikea, j’attrape des torticolis tout à fait handicapants pour qui prétend travailler.)
Une fois arrivée sur la splendide page d’accueil du moment (c'est la photo d’une réunion de travail particulièrement réussie : pour moi, c'est presque aussi exotique qu'un mafé de poulet), j’ai hésité à me rendormir. Mais ce cauchemar m’avait tellement bouleversée qu’il me fallait trouver une occupation. J’ai bien songé à me revernir les ongles mais, pour une fois, je savais que cela ne suffirait pas à me vider la tête. Dès que je fermais les yeux, je voyais revenir sous mes paupières l'horrible petite puce qui effaçait en bondissant le fruit de mes efforts. Je me suis donc replongée dans l’article que je devais rendre quinze jours auparavant, à paraître dans une revue de rang A (j’avais envoyé une photo de mes ongles au comité de lecture et il avait tellement adoré qu’il m’avait donné un blanc-seing, mais bon, il fallait quand même que j’écriv[iss]e quelque chose, maintenant) et j’ai essayé de comprendre la citation d’Umberto Eco qui lui servait de point de départ.
J’étais en pleine pause réflexive après avoir relu la première phrase, contemplant mon écran d’un œil pensif, pendant que l’autre – œil – vérifiait que les coloris de mon pyjama étaient bien coordonnés avec ceux de mon nouveau sautoir, acheté à la faveur des soldes et de la pause méridienne, quand soudain l’écran est devenu tout noir. J’agite faiblement le mulot, tapote nerveusement une ou deux touches, rien. J’essaie de l’éteindre, enlève la batterie, remets la batterie, appuie sur « Reset » et tous les boutons à portée de mes petits doigts, toujours rien. Je le prends, je le retourne, je le secoue, j’hésite à lui balancer un ou deux coups de pieds, à c’te feignasse d’ordinateur, puis je me dis non, que ça se verrait que j’ai fait exprès de le casser. Mon cauchemar est en train de devenir réalité. Il faut que je m’adresse à un spécialiste.
(à suivre...)
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