« Ah, ma p’tite dame, là c’est l’disque dur qui est mort, on peut rien faire pour vous ». Instant de vertige orgasmique : « vous voulez dire que mon ordinateur ne marche plus ? du tout ? et qu’il ne remarchera pas ? jamais ? – Ben oui, ma p’tite dame, désolé. – Mais j’ai des articles à rendre, des cours à imprimer, des mails à envoyer : comment vais-je faire ? – Vous avez fait une sauvegarde ? » Blanc. Creux, gouffre, abîme au niveau de l’estomac (c’est bien mon cauchemar qui recommence). « Vous voulez dire que toutes les données sont irrécupérables ? – Ah ben ça, fallait y penser avant, ma bonne dame ; ça va être difficile. » Le cauchemar se poursuit. Toutes les précieuses secondes, minutes, heures, jours que j’ai volés à mon indéracinable nature de feignasse ; tous ces textes ; toutes ces pensées profondes ; tous ces supports de cours destinés à être utilisés, réutilisés, reréutilisés, tout ça, c’est perdu ? Y va falloir que je me retape tout ??? Et ce fainéant de réparateur qui n’est même pas foutu d’y faire quelque chose…
Cheminant tristement sur le chemin du retour, je me surprends à reprendre espoir : avec les brillantes initiatives du petit Nicolas et les coupes sombres dans les budgets des labos, mon directeur va sûrement me dire qu’on ne peut pas me racheter une bécane de sitôt. Dans ce cas, à moi le soleil et le calypso, l’ananas, la noix de coco, etc.
Je m’installe donc confortablement dans mon fauteuil Poang, un masque hydratant et deux rondelles de concombre sur la tronche, et je fais à l’aveugle le numéro d’un collègue. Quand je lui raconte ma mésaventure en essayant d’avoir l’air très désemparée, ledit collègue me ricane au nez (enfin presque, disons qu'il me ricane au combiné) : « Et qu’est-ce que tu crois ? Que la fac va te racheter un ordinateur ? Allons donc, ma vieille, même pas en rêve ! Tu vas faire comme tout le monde : c’est toi qui vas t’en payer un, et vite. » Ah, ça, par contre, ce n’était carrément pas prévu : dans la budgétisation mensuelle, et ô combien rationnelle, de mes émoluments de lémurien, je n’avais pas envisagé la nécessité d’investir dans ces instruments indispensables à ma production intellectuelle – ce qui est une grossière erreur, quand on y songe. Après tout, puisque j'achète mes livres, mes cartouches d'encre, mes billets de train, mes trombones, mes crayons, mon lait de soja et mon autobronzant moi- même, je ne vois pas pourquoi je devrais trouver bizarre d'acheter moi-même mon ordinateur, hein ? D’ailleurs le logiciel « Money » a même une rubrique « Frais professionnels non remboursés », que j’utilise avec une étonnante constance.
Mes rondelles de concombre me tombent des yeux, métaphore puissamment symbolique de cette lucidité soudaine, qui est, comme le disait mon pote René, « la blessure la plus proche du soleil ». Il va falloir que je prenne rendez-vous avec mon banquier et que j’obtienne un crédit sur trois ans à un taux avantageux. Il va encore me dire que je dépense mon argent n’importe comment, et soupirer « Ah ! ces universitaires… ! Vous me faites penser au professeur Tournesol : vous n’avez aucune conscience du monde réel… » (je trouve très vexant d’être comparée au professeur Tournesol, dont la mise en pli et la manucure laissent beaucoup à désirer). C’est vrai que les banquiers, eux, sont ancrés dans le réel, ils sont évalués et performants (s’il n’y a pas d’évaluation, il n’y a pas de performance, il faut le savoir) – à part l’écureuil qui a trop joué avec ses noisettes et quelques autres, mais c’est un détail.
Cheminant tristement sur le chemin du retour, je me surprends à reprendre espoir : avec les brillantes initiatives du petit Nicolas et les coupes sombres dans les budgets des labos, mon directeur va sûrement me dire qu’on ne peut pas me racheter une bécane de sitôt. Dans ce cas, à moi le soleil et le calypso, l’ananas, la noix de coco, etc.
Je m’installe donc confortablement dans mon fauteuil Poang, un masque hydratant et deux rondelles de concombre sur la tronche, et je fais à l’aveugle le numéro d’un collègue. Quand je lui raconte ma mésaventure en essayant d’avoir l’air très désemparée, ledit collègue me ricane au nez (enfin presque, disons qu'il me ricane au combiné) : « Et qu’est-ce que tu crois ? Que la fac va te racheter un ordinateur ? Allons donc, ma vieille, même pas en rêve ! Tu vas faire comme tout le monde : c’est toi qui vas t’en payer un, et vite. » Ah, ça, par contre, ce n’était carrément pas prévu : dans la budgétisation mensuelle, et ô combien rationnelle, de mes émoluments de lémurien, je n’avais pas envisagé la nécessité d’investir dans ces instruments indispensables à ma production intellectuelle – ce qui est une grossière erreur, quand on y songe. Après tout, puisque j'achète mes livres, mes cartouches d'encre, mes billets de train, mes trombones, mes crayons, mon lait de soja et mon autobronzant moi- même, je ne vois pas pourquoi je devrais trouver bizarre d'acheter moi-même mon ordinateur, hein ? D’ailleurs le logiciel « Money » a même une rubrique « Frais professionnels non remboursés », que j’utilise avec une étonnante constance.
Mes rondelles de concombre me tombent des yeux, métaphore puissamment symbolique de cette lucidité soudaine, qui est, comme le disait mon pote René, « la blessure la plus proche du soleil ». Il va falloir que je prenne rendez-vous avec mon banquier et que j’obtienne un crédit sur trois ans à un taux avantageux. Il va encore me dire que je dépense mon argent n’importe comment, et soupirer « Ah ! ces universitaires… ! Vous me faites penser au professeur Tournesol : vous n’avez aucune conscience du monde réel… » (je trouve très vexant d’être comparée au professeur Tournesol, dont la mise en pli et la manucure laissent beaucoup à désirer). C’est vrai que les banquiers, eux, sont ancrés dans le réel, ils sont évalués et performants (s’il n’y a pas d’évaluation, il n’y a pas de performance, il faut le savoir) – à part l’écureuil qui a trop joué avec ses noisettes et quelques autres, mais c’est un détail.
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