(la suite)
C'est à cette étape qu'on voit si t'es une vraie Grosse Feignasse ou un simple tire-au-flanc débutant, voire un thésard. Tout est affaire de minutage et faut rien laisser au hasard. Normalement, à ce stade, tu passes ton badge dans le portique et la machine t'autorise à descendre à l'étage des chercheurs. Bien sûr, une fois par an, le truc s'allume et tu peux pas passer. Là, bingo! Ta carte est périmée. Tu passes par le guichet "accueil de l'Est" et tu en prends pour une heure. Mais des chances comme ça, ça peut pas arriver tous les jours! Donc les autres jours, tu passes le portique, tu passes les doubles portes, tu t'envoies les deux escalators façon Voyage au centre de la Terre, tu repasses le portique, et là, devant le vigile débonnaire, tu présentes ton badge et la machine te dit "réservation expirée – accès interdit". Ça pour le réussir, faut un peu s'entraîner. Une histoire de timing. Ce matin, du cousu main: obligée de m'adresser au guichet dans mon dos. “ah, ben c'est bête, j'avais réservé ma place et mes livres, vous croyez que?…" Ben non, Madame, votre réservation a expiré depuis trop longtemps, l'aurait fallu appeler, maintenant vos livres ils sont repartis en magasin. Va falloir refaire une commande.
Yes! Je viens de gagner trois quarts d'heure! On me réserve une nouvelle place, je vais y poser mes affaires, je réserve de nouveau mes bouquins, et me voilà bien obligée d'attendre qu'ils arrivent, au café de l'Est, devant un bon petit double-café avec cannelés! Le bonheur tient à peu de choses…
Arrive tout de même un moment où la feignasse de base se dit qu'elle devrait rejoindre sa place. Le bon goût veut qu'au café de l'Est on respecte un certain turn-over, ce qui permet à ceux qui viennent là que pour draguer d'avoir un peu la paix. Je regagne ma place, le voyant clignotant me dit que mes livres sont arrivés: damnation, il va falloir bosser. Léger coup au moral. Le me rends à la banque, et c'est là que je découvre qu'aujourd'hui, bon sang, j'ai la BARAKA! La fille me dit “pour vos ouvrages, vous avez une réponse”. (là, je traduis, pour les pas habitués de la béhènèffe: “vous avez une réponse” veut dire “vous avez une réponse négative”: on veut pas vous le laisser consulter, ce bouquin!). Le plus dur dans ce cas-là c'est de réprimer un hululement de joie. Je prends l'air contrarié, j'ai vu faire des collègues plus expérimentés, normalement le Professeur des Université fait ça très bien. Ah? Dis-je. C'est ennuyeux.
( à suivre…)
Très grosse feignasse également, habituée aussi à feindre cet air contrarié en bibliothèque (j'ai choisi naturellement exprès un corpus difficile à sortir des magasins ; pourquoi du reste prendre le risque d'abîmer le patrimoine en l'exposant à des grosses feignasses qui risquent d'y apposer des projectiles de rouge à lèvres ou de vernis à ongles ? Ainsi je glande depuis plus de dix ans ; car, c’est bien connu, pour cultiver son hypertrichose palmaire de façon optimale il faut être un minimum stratège au départ et bien choisir son sujet d'étude). Habituée aussi à feindre cet air contrit de temps en temps en bibliothèque, à savoir quand je prends la décision courageuse de sortir de mon bô fauteuil IKEA -- car les feignasses que nous sommes, certes grassement payées à ne rien faire, en général ne peuvent se payer le club en cuir -- fauteuil où, il ne faut pas le dire, je joue la plupart du temps au "Démineur" sur mon portable au lieu de rédiger le cours du cned pour l'agrégation (activité payée naturellement un prix astronomique et source d’une reconnaissance particulièrement gratifiante) ou corriger la centaine de dossiers qui attend toujours, et que je déplace régulièrement en mélangeant exactement de la façon que vous décrivez. Dire que, de surcroît, on m’a collé, ce semestre, un amphi le mardi à 8h du mat’, quelle poisse, comment vais-je faire ? Franchement, on veut ma mort dans mon UFR (de musicologie : discipline de feignasses s'il en est, on ne cherche quand-même pas le vaccin du sida, faut pas stresser donc)… Bref, grosse feignasse aussi, je suis stupéfaite de voir dévoilées toutes ces petites astuces professionnelles sur la place publique !!! Encore que, vous n’avez pas encore parlé des colloques auxquels vous vous êtes débrouillée à vous faire inviter, choisis, faut-il le préciser, en fonction exclusivement de la réputation des petits fours de la pause-café, et la somptuosité des repas – naturellement organisés à l’étranger ou par CNRS ou sociétés savantes, car petits fours, pas même somptueux, à la fac française, c’est de la science-fiction, et les repas en général il faut avoir une affection, qui relève de la pathologie, pour les self des restaus-u – mais je vous fais confiance. De fait, je vais faire suivre vos aventures à une grosse quantité d'autres grosses feignasses comme vous et, si vous permettez, comme moi aussi : elles seront ravies de savoir qu'il y a d'autres feignasses aussi grosses qu'elles. En vous remerciant par la même occasion.
RépondreSupprimerPS – Aujourd’hui, je ne joue pas à « Démineur » mais au lancer de sandales : http://www.classement-de-sandales.net/explications.html
Super, aujourd'hui un lien très intéressant pour passer le temps, merci !
RépondreSupprimerJe réponds avec quelques lustres de retard à ma collègue feignasse musicologue: merci pour tous les tuyaux et les astuces professionnelles, qui m'ont bien inspirée! Le classement de sandales, une merveille pour une grosse feignasse en grève, entre deux AG et la confection de super banderoles. Le bô fauteuil Ikea, j'ai le même à la maison. Et les colloques... ils arrivent, ils arrivent. C'est juste que je suis très feignasse et que c'est très long à raconter.
RépondreSupprimerChère GF,
RépondreSupprimerIl ne faut pas désespérer, vos initiales ressemblent déjà à ceux d'une collection de poche qui publie de vrais livres de littérature et de philosophie, grâce d'ailleurs au dur labeur de quantité d'autres TGF qui préfèrent rédiger des "commentaires" et des "présentations", soit écrire en mots tout petits (encore que, plus gros ça prendrait plus de place sur la page, on aurait fini plus vite et on retournerait au Démineur)sur les textes des autres, les vrais écrivains, mais qu'on ne lit plus sauf dans les concours administratifs où on espère devenir guichetière de catégorie A.
Aussi, pour vous récompenser de votre acharnement méritoire à ne rien faire, je vous suggère une petite chanson de grève, composée dans un moment d'inexplicable énergie, pardon, j'espère que je vais me ressaisir.
C'est d'après Boris Vian, tout le monde connaît, sauf la guichetière, le guichetier oui en revanche, parce que c'est un homme donc un Rang A et il a plus de culture, de beauté et d'intelligence que les rang B, c'est mathématique.
Elle s’appelle LRU,
elle a déjà plus d’un an,
Et c’est tout bénef’
pour l’ministère des finances
Mais pas pour les chercheurs,
en pleine désespérance.
Depuis qu’elle est votée,
chacun dit en la lisant :
Bourrée de Pécresse
Il faut la changer
Faut la faire réanalyser
Par les chercheurs pour la débarrasser
De son souci de tout casser
Sinon on deviendra cinglés
Elle s’esquive tous les jours
dans de faux amendements
Qui font passer le temps
aux syndicats hagards
Reçus en douce le soir
Pour pouvoir montrer
Le lendemain des textes
toujours invertébrés
Bourrée de Pécresse
Faut la faire changer
Il n’y a rien à espérer
Même si on commence à être crevés
On a quand même été blousés
Par l’vote au beau milieu d’l’été
La CPU aime la loi,
Elle apprend à y nager
Toutes ses dispositions
doivent bien l’inspirer
Mais les basses manœuvres
vont enfin rencontrer
Une vraie opposition,
massive et baraquée
Bourrés de Pécresse
On va dessaoûler
Facs et écoles, c’est heureux,
CNRS, on voit comment faire mieux
Et ces feignasseû de chercheurs
Ont repris toute leur vigueur.
Adieu la Pécresse
Fini la Pécresse
Elle va changer d’texte
Tout va s’arranger
(ce qui nique les pharisiens)
En échange, chère GF, j'aimerais bien savoir si vous connaissez un rouge à lèvres qui tient bien quand on mange les petits fours en colloque, je veux dire qui ne RETIENT PAS les miettes et ne laisse pas non plus trop de traces sur les coupes à Champomy des pots d'UFR. Merci d'avance. Sur ce je vais chercher mon déambulateur pour aller à la manif traîner des pieds sans cadence.
C'est bien ce concert de louanges. J'aime beaucoup aussi la chanson...
RépondreSupprimerMais, il y a un manque, que je m'empresse de souligner : il faudrait songer à une indexation du blogue de LGF à la BNF. à l'attribution d'un côte. Hisoire de pouvoir justifier le temps passé ici à lire (et à rire).
Parce que ce n'est pas comme ça que j'avance dans mes copies d'agreg non plus... ni dans le choix d'un vernis assorti à la couleur de mon stylo pour corriger les dites copies (on a beau être une feignasse, on n'en reste pas moins élégante, jusqu'au bout des ongles).
une côte. Et Histoire.
RépondreSupprimerUn jour, mon prince... je reprends. Un jour, je réussirai à poster un commentaire avec toutes les lettres de tous les mots, et dans le bon ordre. Peut-être.
On attend aussi l'info sur un rouge à lèvres vraiment adapté aux colloques...
Quand je pense que certains osent dire que les recherches littéraires ne servent à rien. Ils ne doivent pas lire les avancées décisives dans les commentaires de ce billet. Pffff
Mais, chère Lori, la chanson peut vraiment servir dans les manifestations, du moins quand on a le courage d'y aller parce qu'il n'y a rien d'intéressant au cinéma. Personnellement je suis trop fatiguée pour la chanter, c'était déjà épuisant à écrire et j'ai une névralgie cervico-brachiale professionnelle que j'entretiens avec amour, pour faire honneur à l'éthique TGF. Quant au rouge à lèvres, j'ai reçu des préconisations de collègues qui vont encore parfois dans des colloques (alors que pour draguer la Béhène suffit, c'est idiot) mais on ne peut pas citer de marques.
RépondreSupprimerAh la névralgie cervico-brachiale, LA meilleure amie de l'hypertrichose palmaire! Pour le rouge à lèvres, mon truc que j'ai lu dans "Elle" glissée à l'intérieur d'une double copie d'agreg que j'étais censée corriger, c'est 1. mettre le rouge à lèvre; 2. l'enlever en pinçant un mouchoir entre tes lèvres (très glamour); 3. remettre le rouge à lèvres. Tu me diras, ça ne règle rien pour les miettes...
RépondreSupprimerA six mois de distance et deux colloques de plus, je confirme :
RépondreSupprimer1) Que la question des miettes n'est pas réglée
2) Ni les autres en général
Nous sommes entrés dans le règne managérial de la FEPARO (Feignasserie Par Objectifs) et ça va saigner
Salut et fraternité (euh, sororité, il y des féministes dans la salle)