jeudi 19 février 2009

La Grosse Feignasse à la BNF (fin)



Oui, m'explique-t-on. “Celui-ci, ben il est trop abîmé” (personne l'a lu, depuis le dépôt légal il y a 153 ans, mais les bouquins visiblement ça s'use si on s'en sert pas). Trop génial. Un de moins.
“Euh, celui-là, il manque à l'inventaire” (ma parole, mais c'est mon anniversaire!!).
“Celui-ci, il est à la réserve des livres rares, on peut vous le laisser consulter mais là-haut.” Non mais, elle m'a regardée, je vais pas en plus monter un étage, en prenant des ascenseurs qui font trop peur?! Je décline sa proposition, finalement il était pas si important ce bouquin.
Reste le quatrième. J'allais pour faire la gueule, je me reprends à temps, je prends le livre en mains, mon œil morne se pose dessus… hosannah au plus haut des cieux! Les pages sont pas coupées! “Siouplé… Mademoiselle… Il faudrait, euh… le découronner” (je sais le mot, ça fait des tas de fois que ça m'arrive, j'ai du mal à prendre l'air agacé tellement ça me donne des palpitations, c'est mon jour de chance c'est mon jour de chance!).

Vingt minutes, je gagne vingt minutes! Je vais faire péter mon high score! Le temps que la jeune fille appelle une personne digne de découronner un livre du XIXe siècle au coupe-papier en bois, je file dans les toilettes super secrètes de l'étage, il faut pousser des tas de portes lourdes mais on a un spot incroyable pour se refaire l'épilation sourcils.

Je reviens une demi-heure plus tard, finalement j'ai profité j'ai fait aussi un raccord maquillage. Le livre a les pages coupées. Parfait. Je m'installe. Mon article va fourmiller de détails vrais vraiment lus dans des livres d'époque, j'ai un sursaut de courage, allez poulette au travail. Ça me dure… au bas mot une quarantaine de minutes. Chais pas, une nausée, le besoin de me dégourdir la gambette, les mains moites faut que je retourne les laver, je me reprendrais bien un p'tit café moi. De fil en aiguille, c'est presque l'heure de manger. Je repasse à ma table, juste le temps de m'assurer que les sièges vraiment sont pas confort, trop lourds, trop profonds, impossible de s'avachir, vraiment non pas possible de se concentrer il vaudrait mieux que je fasse une vraie pause. Je décide que j'ai assez lu mon petit livre coupé, je le rends à la banque, m'affaire fiévreusement autour des ordinateurs (j'aime bien, tu mets ta carte, il te reconnaît, hop, tu l'enlèves, tu la remets, il te reconnaît, hop…hop…), commande trois autres livres pour l'après-midi, et me mets en quête d'une flemme de base pour agrémenter ma pause-dînette.

C'est pas que ça manque, là-bas, on pourrait même dire que c'en est un nid, et que ça erre dans les couloirs moquettés de rouge, et que ça bavasse devant les cafés, assis avec un casse-croûte sur les marches où c'est écrit qu' “il est interdit de manger en dehors des cafés”. Je me dégotte une paire de traîne-savate de mon acabit, deux littéraires de la fac de X… qui sont venus flemmasser une journée à la capitale — parce qu' à force de se la couler douce toujours à la même place ça finit par se voir. De fil en aiguille, nous voilà menés au milieu de l'après-midi, j'ai l'idée que je passerais bien à ma table, tiens, pour voir si les choses ont bougé un peu là-bas. En chemin, je vais bien croiser un ou deux prosimiens de mon espèce. Ça manque pas, je me prends encore une ch'tite demi-heure dans la vue.
A ma table, la loupiote me dit qu'on m'attend à la banque. Et là, mazette, j'en crois pas mes yeux, le sang palpite à mes oreilles, limite je vais me sentir mal de joie:

“panne de compactus. Vos livres ne peuvent pas vous être communiqués”.

Ça, c'est ce qu'on appelle une journée grandiose!

6 commentaires:

  1. une feignasse qui poste à 07h30 du matin... tout se perd...

    RépondreSupprimer
  2. Pas confortables, les sièges ? PK22 de Poul Kjaerholm ? http://www.danish-furniture.com/designers/poul-kjaerholm/#poul-kjaerholm-pk-22
    (enfin, c'est ce qu'on voit sur la photo). Mais François Mitterrand avait les mêmes dans son salon.
    Ah vraiment, c'est à vous dégoûter de porter tant d'attention à un public qui, décidément, ne la mérite pas.

    RépondreSupprimer
  3. En matière de "spot incroyable pour se refaire l'épilation des sourcils", les toilettes du tgv sont remarquables aussi, foi de turbo-prof.

    RépondreSupprimer
  4. Ah, je vois que j'ai affaire à une connaisseuse…

    RépondreSupprimer
  5. Affligeant... Je crois que même Adorno n'avait pas prévu un scénario aussi catastrophique dans sa critique du devenir de l'université : l'invasion des midinettes dans le secteur de la recherche. Les nazis étaient trop rudimentaires ; le génocide de l'esprit se fera par la médiocrité auto-satisfaite, sans tambours ni grandes processions, juste médiocrement...

    RépondreSupprimer
  6. Chère GF,

    montez donc à la réserve : non seulement l'ambiance y est calme et feutrée, mais en plus, si jamais on vous laisse consulter un livre, c'est justement un et un seul, jamais deux à la fois, ce qui permet de vraiment glandouiller.
    Sinon je vous suggère aussi de profiter des grèves qui paralysent la maison depuis samedi (hier un piquet de grève empéchant l'accès à l'établissement, de quoi bien feignasser au soleil du matin)

    RépondreSupprimer