Et c'est là qu'intervient le troisième bénéfice de ma nouvelle acquisition. En m'aidant à définir un nouveau champ de recherches plus conforme à l'esprit du temps, elle m'a ouvert des horizons. C'est génial : avec ce truc, je peux écrire des tonnes d'articles à toute vitesse en ne travaillant quasiment pas, puisque l'essentiel du boulot consiste à répéter ce que tout le monde sait déjà. Pendant que je tape au kilomètre des pages et des pages d'articles aussitôt expédiés aux quatre coins de la e-République des lettres, la machine me répète en permanence « publish or perish ! publish or perish ! » ; et ce qui est fabuleux, c'est que j'ai même retrouvé un vieux spray Narta qui me permet de faire tout ça sans transpirer. Je suis prise de fièvre, je rédige sans arrêt, pas une seconde pour réfléchir.
En huit jours, je suis citée partout dans Google, des blogs reprennent mes articles, on va peut-être même me traduire en anglais. Je suis devenue en un rien de temps spécialiste de « l'influence de l'univers de Harry Potter sur les chansons de Mireille Mathieu et les sketches de Jean-Marie Bigard, étude comparée des valeurs essentielles véhiculées dans ces trois oeuvres » ; il est même question que je prononce une intervention de 12 minutes dans un colloque international sur les figures modernes de la culture, l'été prochain, à Dubaï. Je suis une chercheuse bling-bling, le top de la feignasse, la rolls de l'hypertrichose. Maintenant, même avec un masque au concombre, j'aurais l'air d'être en train de penser ; c'est sublime ; je crois que je vais aller acheter des substituts de repas.
Et puis mes collègues, à qui j'ai montré mes dernières productions, m'ont juste fait cette remarque : «tu vas être recrutée pour écrire les discours présidentiels ». J'ai d'abord pensé que c'était parce qu'ils étaient jaloux, et puis j'ai réfléchi. Des heures d'activité fébrile, creuse et hypnotique ne m'ont pas encore fait tout à fait passer le goût de la sieste, l'amour du bouquin langoureusement médité, à plat ventre sur une peau de bête, devant la grande cheminée du salon. Je me suis frotté les yeux, et j'ai vu l'état lamentable de mon bureau : hyper-rangé, rien ne dépassait, il n'y avait pas même une pile de livres au pied de mon fauteuil pour menacer de s'écrouler sur les derniers brouillons d'une conférence urgente.
Et là je me suis dit : ma vieille, tu déconnes. Ton hypertrichose palmaire est précieuse, tu dois la cultiver. Où sont les lenteurs d'antan ? Les idées ruminées, mains croisées sur le giron, les yeux perdus dans les reflets de l'écran ? Les introductions vingt fois réécrites, jamais satisfaisantes, entre deux théières de Pétales de Printemps ? Les projets de recherche échafaudés dans un demi-sommeil, orteils en éventail pour que le durcisseur sèche, pendant que le soleil fait des taches claires dans les moulures du plafond ?
Prise d'une mélancolie souriante, redevenue moi-même, j'ai rapporté ma super machine chez le vendeur. Il a tenté de me démontrer qu'il n'avait pas le droit de la reprendre, mais je lui ai opposé une inertie souriante durcie au feu des conseils d'UFR. Il a fini par soupirer exactement comme la SurMachine quand je tapais un imparfait du subjonctif, et il m'a laissé emmener un vieil ordi d'occase, qui souffle comme un hippopotame. Mon banquier m'a lâché les basques, j'ai pu réinvestir dans une trousse de survie (cinq flacons de vernis à ongle, un peu de poudre, du blush, un soin contour des yeux, une verroterie pour les oreilles, des galets régénérants pour les bains chauds), et je me suis même offert une folie (une chouette édition de Rabelais et deux gros pots de glace au chocolat blanc et aux brisures de cookies). Je suis rentrée chez moi, j'ai fait une bonne sieste sur mon ordi tout pas neuf, suivie d'une «bathroom session ». Qu'est-ce que c'est chouette, dites donc, Alain Souchon, avec la réverbération de la salle de bain : « la boîte a coulé / mais pouce / on va se la couler / douce. / La pilule, on va se la dorer / J'ai le parachute, chut, doré ».
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