Un dernier tour dans l’appartement pour m’assurer que je n’ai oublié ni les sachets de tisane Nuit tranquille ni les boules quiès, et voilà que mon regard tombe sur une grosse enveloppe arrivée au courrier en début de semaine, et abandonnée à peine ouverte sur le guéridon de l’entrée. Damned ! le bouquin que je dois commenter pour la Revue de Critique Littéraire ! Vite, un coup d’œil au courrier glissé dedans : “en vous remerciant… votre accord… très honorés… voudrez bien… 5000 signes … dernier délai”. Dernier délai, mais ça veut dire qu’il faut que je le fasse cette semaine de VACANCES ? Il reste un nano-interstice entre les copies de première année et le bord de la valise, j’y fourre le truc, ils se sont pas gênés d’accepter cette thèse à peine réduite, 500 pages, de mon temps…
Il est temps que je parte, mon humeur de vacancière en viendrait à se ternir. Quelle poisse, la valise est trop lourde maintenant, et là ça fait une bosse, je vais me faire mal en la traînant, il vaut mieux que je prenne le temps de la refaire. La mort dans l’âme, je retire un polar (sur la plage, je lirai la thèse, tiens), je replie soigneusement le pyjama en shashi, j’arrange le tout. En allant reposer le polar sur le bureau, mon regard tombe sur le manuel publié par cette fille qui veut entrer dans l’équipe de recherches que je coordonne cette année (c’est une coordination tournante, c’est malheureusement mon tour). Zut : j’avais dit que je lui ferais ma réponse une fois que j’aurais lu ce qu’elle a écrit — c’est vrai, ça : on ne va pas prendre le risque de recruter une bosseuse, une stakhanoviste de la note de bas de page, elle va nous plomber notre moyenne, il faut donc que je m’assure au préalable que c’est pas une de ces fourmis laborieuses qui mettrait une ambiance épouvantable dans l’équipe. Je pose son manuel contre la trousse de toilette, et tant que j’y suis j’hésite : puisque j’en suis à alléger le bagage, crème pour les mains, ça peut faire aussi les pieds, non ? Au fond, les pieds, ce sont d’anciennes mains, si on y réfléchit bien (oui, à l’échelle géologique plutôt, pas à l’échelle cosmétique).
J’en suis là de mes tergiversations quand un épouvantable souvenir me traverse l’esprit : est-ce que je n’aurais pas, totalement imprudemment, ou anesthésiée ce jour-là par l’abus de tisane Nuit tranquille (j’en prends aussi le matin, avant les réunions de labo, pour me mettre au diapason), accepté de participer à cette journée d’études au mois de mars ? Le temps de fouiller dans les papiers accumulés sur le bureau (les mains pleines de crème pour les pieds, histoire de vérifier si je fais bien de prendre la crème Spécial mains sèches pour les pieds aussi, ou si je ne devrais pas plutôt prendre la crème Pieds sensibles qui ferait aussi les mains), l’abominable vérité apparaît dans toute sa cruauté : oui, j’ai accepté de participer à cette damnée journée sur Joyce et la métempsychose. Et mars, si on y réfléchit bien, c’est quasi demain. Là, il va falloir faire un choix drastique : je retire de ma valise les trois flacons de lotion “repos du cheveu”, “repos du cuir chevelu” et “masque velours apaisant” et je les remplace par mon ordinateur portable: mon dossier «Joyce-métempsychose » doit être dedans, pas le temps de vérifier.
En bougeant l’ordinateur de la place qu’il occupait sur mon bureau, j’exhume deux rapports de stage des étudiants de master. Ah, je les avais complètement oubliés, ceux-là ! Bon, foutu pour foutu, et puisque le soin capillaire apaisant-reconstituant reste à la maison, je cale les rapports de stage entre le portable et la thèse, et je boucle la valise. Là, c’est la dernière fois que je touche à ce bagage, je pars en vacances, un point c’est tout !
Tu prétends te la couler douce en préparant mollement une valise, mais je t'ai bien vue, à la manif', enseigneuse, chercheuse, paresseuse! Hélas, on ne voyait pas tes jolis ongles peints: les manifs, ça devrait toujours être sous un plein soleil! On crierait depuis les terrasses des cafés!
RépondreSupprimerhttp://www.flickr.com/photos/jkc75/3330825217/in/set-72157614844078008/
Damned! je suis découverte…
RépondreSupprimerBon, puisque le masque est tombé, autant aller dans le sens de Anonyme: LES MANIFS, EN TONG!
La Grosse Feignasse