Laissé tomber le prospectus avec les machins écrits tout petit. Préparé le nécessaire pour la causerie aux lycéens de première. Alors, voyons, de quoi je vais leur parler à ces ados, pour que ça leur paraisse sexy, les Lettres ?
Puis d'un coup je me suis dit : pauvre sotte! "parler", comme si c'était "parler" la clé du succès!
J’avais de toute façon préparé mes claquettes et mon paréo de soie aux couleurs rayonnantes, des fois que des papas séduisants accompagneraient leur progéniture, mais je n’en aurai même pas besoin.
De mes ongles désormais parfaitement polis-vernis, j'ai tapoté sur mon clavier, de mes mains soigneusement poncées-adoucies, j'ai caressé le mulot, jusqu'à produire un Pouerpoïnt hyper glamour sur les études de lettres. Je n'ai gardé que l'écume de la crème du glam. Evacués, les TD à cinquante-douze, les semestres qui ne font que deux mois et demi, les règles byzantines de compensations des unités de valeur. Evacués aussi, les bouquins abscons à lire, les références aux sacro-saintes bibliographies, le poncif sur l'excellence, la valeur-travail, la réflexion personnelle… pas glam, pas glam, pas glam, tout ça, coco!
Au terme de cette opération de cosmétique — et le cosmétique, ça me connaît! — le programme des études de Lettres n'a rien à envier à un “Fashion Fair testeur général” de chez Parce que je le vaux bien. Un fond d'écran saumon foncé, sobre et de bon goût. Un léger camaïeu de prune pour les titrages, assorti à mon fard à paupières (j'avais choisi “regard mystérieux” pour la journée POU). Je teste le déroulé de la chose: une merveille! Le fondu-enchaîné nous ballade glissando d'une bibliothèque universitaire lumineuse (il y a même des étudiants avec des portables, ça laisserait presque supposer que derrière il y a des prises pour qu'ils puissent les brancher) à la librairie locale spécialisée en littérature et assidûment fréquentée par des étudiants aux grands fronts et aux yeux candides, qui sont venus là en laissant derrière eux l’affreux Relay de la gare, qui ne propose que de l'Amélie Lévy et du Paolo Musso, avec de petits excursus dans des lieux aussi photogéniques qu'improbables: l'opéra, le théâtre, le magasin Parce que je le vaux bien, le cinéma d'art et essai…
J’ai réfléchi aussi à une jolie épigraphe, une chouette citation que je pourrais mettre en tête de mon ppt. J’ai pensé à un truc un peu osé, une citation inspirée de Jean-Marie Bigard (« un chercheur en littérature néo-latine, c’est un peu comme un deuxième trou du cul : c’est rigolo, mais ça sert à rien ») ou du petit Nicolas (Nicolas le Petit, peut-être, ce serait mieux) lui-même (« Dans les universités, chacun choisira sa filière, mais l'État n'est pas obligé de financer les filières qui conduisent au chômage. (…) Vous avez le droit de faire littérature ancienne, mais le contribuable n'a pas forcément à payer vos études de littérature ancienne si au bout il y a 1000 étudiants pour deux places. (…) Le plaisir de la connaissance est formidable mais l'État doit se préoccuper d'abord de la réussite professionnelle des jeunes. ») Ça m’aurait aussi permis d’expliquer pourquoi ils vont devoir payer 3 000 euros d’inscription pour se crever les yeux sur des textes latins, et d’ajouter pour les rassurer que l’agrégation de lettres classiques, paix à son âme, ça mène à tout, vu que Christine Albanel et Xavier Darcos ils l’ont tous les deux et qu’ils font des trucs absolument formidables (mais si on va par là, on peut même dire qu'on peut foirer toutes ses études et faire Président quand même).
Finalement, j’ai assorti l’écran d’accueil à mon transat, avec un sobre « Travailler plus pour gagner plus ». J'ai évité soigneusement tout ce qui pourrait effaroucher ces feignasses-qui-s'ignorent-encore-mais-ça-ne-saurait-tarder: cours dispersés aux quatre coins de la ville qui te ratatinent les ongles de pied, TD de langue vivante à 50 où tu peux même pas installer ta serviette de plage, étudiants obligés de faire Espagnol parce que le TD d'Allemand a lieu en même temps que le CM obligatoire de littérature française, absence de boutiques de cosmétiques dans un rayon de 200 m autour de la fac… J'ai effacé d'un coup de mulot magique tous les lieux super moches et dopés à l’amiantostérone (à peu près tous les amphis, les deux tiers des salles de cours, la cafète, le restau U et 75% des cités U, sans parler des taudis sans fenêtres loués à prix d'or en ville par des particuliers sans scrupules), tous les moments d’abattement profond (la semaine où l’on essaie désespérément de se bricoler un emploi du temps qui tienne, avec pour chaque cours, si possible, le nom du prof, le site, et, luxe suprême, le numéro de la salle; les matins frileux de novembre où l'étudiant se casse le nez sur une porte close parce que le prof a oublié de venir / est parti en colloque sans penser à prévenir / s’est cassé la binette de son transat en voulant attraper une bière / est malade et a prévenu mais la secrétaire, elle est en formation et n'a pas pris le message / a choisi de demander une salle moins pourrie sans que le service des salles ait eu l'idée d'en avertir les étudiants). Ah la vie universitaire! Si c'est pas un miel pour les feignasses, quand même... Depuis le 6 mai 2007, s'est même renforcé un rituel qui me permet des siestes et des séances de barbotage prolongés dans ma rutilante baignoire: les deux / trois / quatre semaines de blocage de la fac par des groupuscules gauchistes / ultra-gauchistes / MLF (Mouvement de Libération des Feignasses) / anarchistes / anarcho-syndicalistes / libertaires / anti-fascistes, pas contents / fâchés / opposés à la loi LRU / l'augmentation des frais d'inscription à l'université / le CPE / l'expulsion des étrangers / la hausse du prix du vernis à ongles / la réforme des concours / le port de la Rolex avant 50 ans / la recherche bling-bling / le mépris (je me sens soudain atteinte de flemmingite aiguë, tant la liste est longue). Tout ça, oublié, le temps du visionnage extatique d'un pouerpoïnt qui n'est finalement pas sans rappeler un épisode un peu mou de La Croisière s'amuse…
Tiens, ça me donne une idée, je vais m'habiller tout en blanc comme le commandant Stubing. Je serai juste plus femme-femme que lui, mais avec le même sourire ultra-blancheur éblouissant qui guidera de sa lumière les pauvres lycéens paumés dans le dédale de bâtiments conçus en dépit du bon sens cher à Nicolas le Petit. La journée POU, cette année, ça va avoir du chien!
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