jeudi 12 mars 2009

La Grosse Feignasse monte un colloque (phase 1, I)

"Je prévois une Iliade de maux..."


"Comment ça, c’est moi qui dois faire l’affiche du colloque ? Mais j’ai pas touché un pinceau depuis l’école primaire, moi ! On n’a personne dont c’est le boulot, de faire l’affiche ?

- Tu sais bien que depuis que Bobby est parti, on doit faire ça nous- mêmes. Et puis tu déconnes ou quoi ? Personne ne te demande de toucher à un pinceau. Tu fais l’affiche sous InDessin."

Sous qui ? Qu’est-ce que c’est que ça, InDessin ? (par précaution, je murmure cette dernière phrase à la fois in petto, à mi-voix et pour moi-même, vaguement consciente que je trahis là un scandaleux manque de Maîtrise des Technologies de l’Information et de la Communication Electronique, alors que bon, c’est tout de même le 8e des dix points du cahier des charges de la formation des enseignants édicté par le Soviet Suprême du 19 décembre 2006, un peu de sérieux, bon sang). Et comment ça Bobby, il est parti ? Parti où ? J’ai dû rater un épisode.
Gêné par mon silence persistant, le collègue reprend :

" Tu verras, c’est tranquille, InDessin. Si tu connais Pikchureshoup, ça va tout seul.
- Mais je ne connais PAS Pikchureshoup!
- Arrête ton char ! T’as l’agreg et tu connais pas Pikchureshoup? A quoi ça sert, les concours ?

Ben, à l’époque pas si ancienne où je les ai passés, ça ne servait pas à apprendre le maniement d’outils informatiques aux noms grotesques qui se démodent un tout petit peu moins vite que les baskets de mes étudiants de 2e année. Ça aussi, évidemment, je le garde pour moi. Je soupire, exténuée, et je lâche l’affaire :

"Bon, c’est d’accord, je m’y mets. Tu peux me graver Pikchuremachin sur un disque ?
- Pas de problème. Et je te prépare un modèle d’affiche. Allez, je file. A plus.

Je reste un temps immobile, interloquée. Commet une feignasse de mon espèce a-t- elle pu avoir l’idée saugrenue de se lancer dans une aventure pareille ? Monter un colloque… quelle idée, aussi ! Une modeste journée d’études aurait fait l’affaire. Rien que le verbe aurait dû m’alerter : « monter » un colloque, tout de même, ça fait peur. On monte une montagne (horribile dictu – oui, je sais, je me la pète un peu), on monte à l’assaut (horribile visu), on monte de quelques places dans le classement de Shanghai (horribile auditu) : j’aurais dû me douter que « monter un colloque », ça ne s’appelait pas comme ça par hasard. D’ailleurs, cette fichue métaphore a sa raison d’être : monter un colloque, c’est un peu comme monter un mur, parpaing après parpaing, mais sans mortier ni fil à plomb. Un château de cartes en béton, qui mille fois manque s’effondrer. Et puis, il faut dire que c’est vivement contre-indiqué pour mon hypertrichose : c’est toujours au moment de se repoudrer le nez qu’il faut se mettre au travail – enfin, plus exactement, aux travaux.

Au début, on m’a demandé de trouver un titre, pour l’annonce. Ben oui, l’annonce : dans la mesure où notre boulot de feignasses de profs commence désormais un peu avant le 1er septembre pour s’arrêter un peu après le 20 juillet, notre boulot de feignasses de chercheurs est obligé de se loger dans les interstices, d’empiéter sur des cours, de chevaucher des conseils, de se glisser entre les dossiers. Résultat : il faut commencer à faire de la pub pour un colloque douze à quinze bons mois à l’avance si l’on veut avoir la moindre chance d’y obtenir les intervenants les plus intéressants, et surtout d’y glaner un peu de public (tant il est vrai que rien n’est plus mauvais pour le moral qu’un colloque dont les orateurs sont plus nombreux que les auditeurs…). Donc, le titre. Ça ne m’avait pas éreintée, ça, d’ailleurs. Le titre, il s’était imposé presque naturellement : « Otium, feignants et feignasses, des rois fainéants à l’oisiveté de Montaigne ». Mais ce n’était que le début.

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