Arrive enfin le grand jour. Non, pas le Vrai Grand Jour, celui des petits fours et des discours inauguraux mais le jour tout de même où les affiches bricolées sur InDessin avec le logo qui va bien sortent enfin des presses de l’Imprimerie (ne pas oublier la majuscule de déférence) de l’Université. Avec un petit pincement d’angoisse, et une lime à ongles (j’aime pas attendre), je me rends à l’heure dite au service repro (ce service dont le nom seul suffit à faire trembler le plus téméraire d’entre nous : c’est bien simple à la fac, il y a deux personnes avec qui tu ne peux pas te fâcher, c’est Roseta, la secrétaire qui s’occupe de ton groupe de L2, et Kevin de la repro). Bref, j’arrive, enfin, pas à l’heure dite, c’est assez impoli, ai-je appris depuis que je travaille ici : il faut courtoisement laisser un délai d’une petite demi-journée entre le moment où Kevin te garantit que « oui, oui, pas de problème, ce sera fait » et le moment où Roger t’annonce que « ah, ben non, je les trouve pas vos travaux… ah, ben si, ils sont là, il les avait pas mis sur la pile. Bon, ça vous va dans une petite heure ? ».
Donc, avec ma petite demi-journée de mou, je me pointe au guichet « retrait des travaux ». Ah, Kevin n’est pas là. Mais pas de problème, Roger, lui, va me sauver la vie, comme dix-sept fois par semestre. Il commence par pas les trouver, mes affiches, Roger. « Vous êtes sûre que vous les avez bien déposées ? ». Ben tiens, non, je passais par là et je me suis dit tiens si j’allais em... la France qui se lève tôt en lui demandant de me rendre des travaux que je n’ai pas déposés ! Mais non, c’est une blague, mon Roger il me connaît, il aime bien me faire monter comme le lait sur le feu, je le vois qui se fout de moi avec un demi-sourire et je fais mine de rien en repoussant les petites peaux là et là au bord des ongles pendant qu’il remue des tas de sujets d’examens — théoriquement classés top secret mais qui volent tout de même au vent mauvais —, des piles de polys au bord de l’effondrement, quelques mégalithes de dossiers de psychologie du développement — ceux-là, on apprend vite à les repérer, à cause des dessins d’enfants à problèmes sur chaque page ; c’est toujours assez rigolo à voir avec le papa tout bizarre, la maman sans bras et la maison de traviole — et un himalaya de brochures « réussite en licence » (les fameuses brochures en couleur dont, entre collègues, nous avions tant parlé l’an dernier, et qui n’ont été prêtes que le lendemain du jour où on devait les distribuer, bref, bonnes à pilonner désormais).
« Dites voir » — je sursaute, revoilà mon Gégé — « ces affiches, vous les avez déposées quel jour précisément ? » Là, le Roger, j’ai l’impression que c’est plus tellement qu’il me fait marcher, il a viré gris pâle. En vieille routière des services repro, je prends un ballon d’oxygène et lui ré-expose posément en une phrase aussi dense que compréhensible — une sorte de tirade sublime : « C’est en ces lieux funestes, que je vins déposer / Mardi, avant midi, le nécessaire CD » — l’historique de la chose, que je suis venue donc mardi dernier, avec un CD contenant mon extraordinaire affiche créée sous InDessin et enregistrée sous les mille et un formats imaginables qu’une imprimerie pourrait avoir la fantaisie d’utiliser, avec la séparation de couleurs moulée au bol, le PDF machin, les polices idoines, l’image en quarante cinq millions de pixels sous format TIFF, jpg, gif et tutti quanti… mais j’ai à peine le temps d’énumérer les innombrables ravissements des standards informatiques en vigueur que le Roger se frappe le front. « Un CD ? mais pourquoi ? vous n’aviez pas d’original ? » Ben si un original j’en avais bien un, mais non je l’ai pas donné, parce que Kevin, justement, jugeait qu’imprimer à partir d’un fichier, ça serait vraiment plus bath, pour mon colloque, les rouges plus rouges, une douceur comme au premier jour, le Dash 3 de l’impression numérique, juste pour voir si les couleurs d’origine peuvent revenir… « Ah, mais c’est embêtant, ça. Vous l’avez encore, le CD ? » Hum, il me semble que je viens de dire que le CD, je l’avais donné à Kevin mardi dernier, et que, justement, peut-être, si on demandait à Kevin… « Oui, bonne idée — note Roger tout à coup fine mouche — mais Kevin, là, il est parti en congés ! » Ah ?… Pour longtemps ?… Quinze jours ? Au début du semestre, tout de même. Oui, en effet c’est ennuyeux. Je n’ai pas insisté. Ça devenait glissant et puis si quelqu’un pouvait comprendre les vacances, c’était bien moi. Mais Kevin, il l’a sûrement laissé quelque part sur son bureau, le foutu CD, non ?
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