Drame des lettres : la filière s'est féminisée depuis des décennies déjà, et je me prends parfois à rêver de proposer, le soir, dans des amphis drapés de tentures grenat, qu'illumineraient de place en place les lueurs tremblotantes de chandelles complices, des cours d'initiation aux subtilités de la littérature, exclusivement réservés à la partie XY de la population. J'y ferais découvrir les subtilités de Vaugelas et les sophistications de Rotrou à des aréopages de sénateurs trapus, de banquiers velus, de chefs d'entreprise à l'orthographe en déroute, de ministres au bac bidon. Tout ce qui nous gouverne de viril et d'assuré viendrait y prendre une magistrale leçon faite de nuances, de flexions, de contre-exemples et de méandres, et ce public plus adulte, aux épaules carrées, apporterait une double consolation à mon narcissisme et à mon hypertrichose égalements éplorés.
Je suis sûre qu'ils adoreraient m'entendre parler de la Princesse de Clèves. Sous les effets conjugués d'un blush impeccable et d'un subjonctif imparable, leurs yeux s'embueraient, leurs certitudes frémiraient, et Nicolas lui-même viendrait me voir à la fin, ému, révélé à lui-même, merci, merci, vous m'avez montré la voie et la lumière, je comprends désormais que la vraie littérature seule peut sauver notre monde des méfaits de la performance vaine et du profit imbécile, il m'offrirait son coeur et un carton de vernis à ongles coûteux, et Carla ne s'en remettrait jamais, ah ah, elle déciderait de se retirer à jamais au couvent de Notre-Dame du Perpétuel Chagrin, et consacrerait dorénavant sa vie à laisser des exemples de vertu inimitable, tandis que je deviendrais Ministre-Muse de la Culture et que je boirais du champagne millésimé dans de classieux coquetèles avec Christian Bigard et Jean-Marie Clavier.
Mais je m'égare. La vérité, c'est que j'ai face à moi, aujourd'hui comme hier, 74,9% d'étudiantes, 20,3% d'étudiants, et une fraction incompressible d'individus au sexe indéterminé couverts de cheveux gras que ma morale réprouve (car on peut contester l'archaïsme des frontières du genre sans pour autant négliger le minimum vital de soins capillaires au jojoba, flûte!).
Bon, cela étant, l’avantage d’avoir des étudiantes, c’est qu’on peut profiter des TD pour parler chiffons. C’est pour elles profondément réconfortant de découvrir que je suis une femme comme les autres, avec mes forces (toujours le vernis parfaitement assorti à mes tenues) et mes faiblesses (le fard à paupières, c’est là que je pèche). On n'imagine pas le temps que les étudiants passent à scruter, détailler, évaluer l'apparence physique de leurs profs. Ils savent que la vraie leçon que nous leur enseignons est une leçon de vie. Et, le jour pas si lointain où on s'avisera de leur demander de nous noter, j'aime autant vous dire que les futées comme moi, qui soignent amoureusement le moindre détail de leur présentation, partiront avec une longueur d'avance dans la grande course au classement.
Tenez, un exemple : les repérages. Tout le monde vous dira que ce qui compte, pour réussir un cours, c'est une bonne préparation : âneries cacochymes ! tragique anachronisme ! Ce qui compte, pour réussir un cours, ce sont les repérages. Tout est dans le repérage. Ainsi, j’essaie toujours de réserver les meilleures salles, celles où il y a du soleil et de la place pour installer mon transat, celles dont les baies vitrées subtilement tamisées font à mes pommettes délicatement poudrées un halo digne d'un réflecteur Harcourt.
Et je fuis, en revanche, les cagibis étriqués dont le néon bleu qui grésille donne un teint de flétan mort à la plus pimpante des bimbos ; j'évite les salles pourries qui donnent sur le parking souterrain et envie de se flinguer. L’obscurité et les relents d’essence, c’est un coup à dépigmenter ma colo, et surtout c’est un milieu hostile pour mon chemisier blanc. Très important aussi, le chemisier blanc. Issu d’une patiente et intense réflexion, menée depuis mes tout débuts d’apprentie feignasse. Quand je fais cours, je m’autorise toutes sortes de fanfreluches – chemise, tunique, chemisier, bustier, top, blouse, cardigan, T-shirt à col rond, en V, tunisien, avec manches bouffantes ou papillon… Mais pour la couleur, hors du noir et du blanc, point de salut.
Il est loin le temps où, naïve et fraîchement débarquée de ma province natale, j’allais faire cours en chemisier mauve, bleu ciel ou vert amande : rillettes sous les bras, ça ne pardonnait pas. Depuis, je m’en tiens au noir et blanc, associé à mon bon vieux déodorant Narta fraîcheur Cologne (après des dizaines d’essais, ça reste le must) : très important pour la concentration et la bonne conduite du cours, de ne pas se laisser distraire ou perturber par ses glandes sudoripares, portes ouvertes au traumatisme et à la dépression enseignante. Je recouvre le tout d’un gilet facile à enlever (pas le pull où tu risques de révéler ton nombril joliment piercé en l’enlevant ; ça, je le laisse à mes – toujours aussi rares – étudiants mâles), et je l’assortis à une jupe ou un pantalon fluides, qui laissent deviner mes jambes superbement galbées, et des chaussures ouvertes, qui permettent à mes fans de découvrir toutes les nuances de mon nouveau vernis et de courir se l’acheter à la sortie du TD.
(à suivre)
Ah! merci, chère Grosse Feignasse... Comme il est doux de flâner par ici, par ces temps de fainéantise obligatoire (même plus besoin de se justifier, de faire semblant, quelle tristesse, quel désoeuvrement!), alors que de vaillants étudiants bloquent nos amphis, nos bureaux...
RépondreSupprimerEn tant qu'apprentie-feignasse, je savoure vos messages et demeure pensive: il va falloir tout revoir, car l'apprentie-feignasse que je suis est loin d'être experte: maquillage et tenue laissent à désirer, souvent on me prend pour l'étudiante et non pas pour l'apprentie-feignasse respectable que je suis sensée être.
Je vais de ce pas (enfin, de ce pas, n'exagérons rien: ne pas se précipiter vers les temples néonisés de la consommation dans n'importe quel état non plus) consacrer mes précieuses heures de travail à revoir mon look. Vêtements, coiffure, maquillage, chaussure, tout est à revoir.
Merci de me guider sur la dure et longue voie d'apprentie-feignasse, car n'est pas feignasse qui veut, cela va de soi!