lundi 30 mars 2009

LGF fait cours (3)




Les jours où j’ai cours, lasse de l’amer repos où ma paresse offense mon devoir, je me lève de (très) bonne heure pour parvenir à l’accord parfait dans mon maquillage, qui rehaussera la couleur discrète masquant mes cheveux blancs (c'est dur d’être une feignasse) et celle de mes ongles impeccablement limés. Ensuite, je fais le vide dans ma cervelle (pas très dur : il suffit de se prendre pour un directeur de cabinet en temps de crise), et je prends un petit-déjeuner léger, un bavoir géant en plastique autour du cou, des fois que ma tartine de Nutella voudrait laisser des traces sur la surface immaculée que sa blancheur défend (celle de ma chemise). Quand je sors, de l’éternel azur la sereine ironie accable la grosse feignasse que je suis : et dire que je vais aller m'enfermer, avec un temps pareil, alors qu’on serait si bien dehors, à se balancer dans un hamac, à humer l'odeur d'herbe fraîchement coupée des pelouses du parc…

Mais non, il faut aller faire le guignol :
a. devant un amphi bondé d’étudiants aussi avachis que chevelus pour le CM de L1 ;
b. devant 35 étudiants non moins avachis pour le TD de L2 ;
c. devant les candidats alertes et aiguisés de l’agrégation interne.

Non, ce n’est pas un QCM, c’est le programme de ma matinée (sans pause, siouplaît, parce que là, on a un problème de salles, et après, un dixième des étudiants a cours de langue, donc on est coincés, et l’après-midi, c’est réservé aux UE libres — décision de notre bien aimé doyen assisté de son conseil —, donc on peut pas faire autrement, vous comprenez ?). Je dois donc m'appuyer 330 minutes de cours consécutives, et j'aimerais bien vous y voir, tiens. Essayez donc de parler à voix haute et devant un auditoire modérément passionné par vos propos pendant ne serait-ce qu'une grosse demi-heure, et là vous verrez si votre eye-liner est vraiment waterproof. Mais quand il faut aller au turbin, n'est-ce pas, la pire des feignasses doit bien payer un peu de sa personne. Et puis bon, je l'ai choisi ce boulot, non ?

Me voilà donc descendant à pas comptés la pente de l'amphi pour gagner, tout en bas, la minuscule estrade qui m'est dévolue, en tâchant de ne pas me tordre une cheville, et en gérant avec un doigté sublime né d'une longue pratique une démarche alerte et nonchalante, presque détachée, comme si l'on me tirait d'une haute rêverie pour me rappeler à ma condition de passeuse de savoir.
Bref, je crée une ambiance du tonnerre, je suis une sorte de pythie classieuse, une sibylle parfumée, glamour à mort mais hyper profonde, et le moindre de mes battements de cil est calculé pour promettre aux étudiantes envieuses les trésors de la littérature emballés dans la fine fleur du vrai chic parisien. Puis je prends place sur l'estrade (c'est le premier moment critique : là, il ne faut pas se casser la gueule, trois marches mais inégales bien entendu, sinon ce serait trop facile), et j'essaie d'allumer simultanément, avec la désinvolture dédaigneuse du pilote de ligne qui fait ça tous les jours, l’ordinateur, le micro, les lumières et le vidéo-projecteur de l'amphi. C'est le second moment critique. Ça passe ou ça casse.

Invariablement, il y en a au moins un qui ne marche pas, de préférence le projo qui ne reconnaît pas l’ordi, et donc ton diaporama, que t’as passé une semaine à le préparer amoureusement, et qui faisait quand même un merveilleux support pour allumer des petites lumières dans les regards bovins de ton public (8h30, c’est quand même vachement trop tôt, non ?), eh ben tu peux te le coller où tu veux, d'autant que désormais une clef USB 1 giga ça se glisse n'importe où. Mais je parviens tout de même à conserver un flegme quasiment britannique pendant qu’un étudiant va chercher Bobby, ou Roger. Eh, ça fait toujours dix minutes de perdues (de gagnées), et ça, c’est quand même pas rien quand tu vois ta centaine d’étudiants de L1 une heure trente par semaine sur 12 semaines. Comme disait ma grand-mère (à propos de l'écossage des petits pois, certes, mais ça s'applique quand même) : c'est toujours ça de plus en moins.
Puis Bobby arrive, je salue Bobby, je range mon poudrier incrusté aux armes de l’Université, Bobby me réexplique pour la quinzième fois de l’année la combinaison de touches pour basculer l’écran (mais c’est bien ce que j’ai fait, je vous assure), et le cours peut commencer.

Le micro me pose un problème. D’abord, je ne peux pas bouger à travers la salle pour exhiber ma nouvelle paire de chaussures (des babioles en simili-croûte d'iguane avec une bride cirée à froid hypra-choucarde, on dirait que j'ai les chevilles d'Ava Gardner, c'est péché de planquer un truc pareil derrière le bête contreplaqué du bureau). Ensuite, je ne sais pas où mettre mes notes : entre le micro et moi, ça fait des parasites ; un peu à côté du micro, je m’attrape un torticolis ; sous le micro, je dois loucher de très déplaisante façon pour ne pas voir le micro. Bref, gnaime pas les CM avec micro. L'authentique feignasse est une artiste, pas un présentateur télé, bon sang. Enfin, je me lance.


(à suivre...)

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